Il fait bon être fan de science-fiction depuis quelques années. 2023 fut un cru d’exception au cinéma, et 2024 pourrait bien être encore meilleur. Après The Creator de Gareth Edwards et Mars Express de Jérémie Périn, ce fut au tour de Dune 2 réalisé par Denis Villeneuve de créer la sensation fin février. Néanmoins, sa mainmise sur la SF pourrait finalement être de courte durée. Le nouveau film d’Alex Garland risque d’embraser le coeur des spectateurs à sa sortie en avril 2024.

Civil War en quelques mots

Civil War est un film d’anticipation (sous-genre littéraire et cinématographique de la science-fiction situant ses récits dans un avenir proche) réalisé et scénarisé par Alex Garland. Cet auteur et cinéaste britannique s’est illustré par le passé avec sa plume sur 28 Jours plus tard (2002), Sunshine (2007) et Dredd (2012) avant de passer derrière la caméra et de proposer aux cinéphiles Ex machina (2014) et Annihilation (2018). Avec son budget de 50 millions de dollars US, cette production A24 mise sur un casting piochant tantôt dans les stars hollywoodiennes tantôt dans la jeune garde du cinéma indépendant pour dépeindre la chute d'une démocratie.

L'histoire de Civil War débute quelques années dans le futur au cœur d’une Amérique du Nord proche de l’implosion. Alors que l’effondrement des Etats-Unis se profile suite aux déclarations de sécession de plusieurs états et à la réaction armée du gouvernement fédéral, des journalistes dont le personnage interprété par Kirsten Dunst (la trilogie Spider-Man de Sam Raimi) tentent de couvrir cet événement historique majeur. La seconde guerre civile américaine pourrait bien être fatale au pays des libertés.

Le casting du film Civil War : Nick Offerman (Président), Kirsten Dunst (Lee), Wagner Moura (Joel), Jefferson White (Dave), Nelson Lee (Tony), Evan Lai (Bohai), Cailee Spaeny (Jessie) et Stephen McKinley Henderson (Sammy)

Civil War sort au cinéma en France le 17 avril 2024.

Une fracture cinématographique

Je me dois d’être sincère avant de me rendre sur le front. J’entretiens un rapport indécis avec le réalisateur Alex Garland, ou plutôt la filmographie d’Alex Garland qui a su par le passé m’enchanter tout autant que me décevoir. Ex Machina et sa mise en pratique du test de Turing furent une révélation pour moi. A contrario, Annihilation avec Natalie Portman a fait naître un sentiment de déception rarement ressenti chez moi. Savoir ce cinéaste sur un sujet aussi délicat que la seconde guerre civile américaine, aussi fictive soit-elle, avait de quoi me faire frémir… dans tous les sens que ce terme est en mesure de receler.

Civil War a l’intelligence de débuter in media res alors que les Etats-Unis sont en proie à un conflit interne, et ce depuis plusieurs mois. Le gouvernement fédéral est acculé et sur le point de perdre face aux forces armées de l’Ouest menées par les États séditieux de Californie et du Texas. Il n’est pas ici question de suivre la naissance d’une guerre fratricide et encore moins les troupes qui y prennent part. Alex Garland fait le choix (sensé selon moi) d’embrasser le point de vue d’une poignée de reporters de guerre et d'imprimer sur pellicule la chute d'un pays.

Il me paraît évident que l’assaut du Capitole mené le 6 janvier 2021 par des partisans du président sortant Donald Trump a profondément marqué le cinéaste qui s’emploie à imaginer le pire pour mettre en garde le peuple américain, mais aussi le reste du monde. Au même titre que les soldats et les insurgés engagés en première ligne, nos journalistes sont au cœur de l’action, mais sans jamais prendre partie. Cela permet au réalisateur de mettre en scène les deux camps sans se ranger d’un côté ou de l’autre, et de présenter aussi crûment que possible les pires exactions commises au nom de leurs convictions profondes.

Il est d’ailleurs désagréable (et c’est voulu ainsi) d’assister à la fin d’une démocratie qui se revendiquait il y a encore peu comme “le pays des libertés”. Dans Civil War, la liberté des uns empiète sur celle des autres, et vice versa. Et nous sommes en première ligne pour découvrir l’horreur dans son plus simple appareil. Les protagonistes, témoins “voyeurs” d’une Histoire qui s’écrit devant leur objectif, sont des junkies shootés à l’adrénaline documentant les pires facéties d’une humanité qui a perdu ses repères, et eux avec tant ils courent après le “cliché” parfait.

Je ne peux que m’incliner devant la performance tout en finesse d’une Kirsten Dunst rongée par son addiction à son métier et hantée par ses souvenirs. Et le reste du casting n’est pas en reste. Cailee Spaeny crève l’écran en reporter d’images avide d’apprendre et de se faire un nom quitte à se mettre en danger. Pour ceux qui aimeraient la revoir au cinéma prochainement, il ne faudra pas attendre bien longtemps. Cette actrice américaine tiendra le rôle principal dans Alien : Romulus. 2024 est définitivement l’année de la révélation pour elle, et c'est amplement mérité.

Il ne me reste plus qu’à évoquer rapidement la guerre en elle-même, qui certes est omniprésente, mais s’est se faire “discrète”. Les affrontements, peu nombreux, suffisent à faire naître une vraie tension et exposent une Amérique du Nord en proie aux flammes. L’action est filmée au plus près et adopte un point de vue documentaire… filmé caméra à l’épaule uniquement quand cela s’avère pertinent. Les gunfights et autres séquences de guérillas n’en sont que plus crédibles de par leur réalisme saisissant et leur “rareté” relative.

Il existe plusieurs “science-fiction”, celle qui explore les confins de l’univers, celle qui déclenche une guerre galactique, celle qui déclare la guerre aux machines, et celle qui reste terre à terre et dépeint un futur proche sombre. Civil War est à l'anticipation ce que Star Wars est au Space Opera… ce qui se fait de mieux. La création d’Alex Garland se tient fièrement aux côtés des films Les Fils de l’Homme (2006), Her (2013) et Bienvenue à Gattaca (1997), chacun dans son propre registre.