En février 2021, le monde découvrait The Day Before, une expérience à mi-chemin entre The Division et The Last of Us avec des décors à en décrocher la mâchoire drapés d’un raytracing mis en vitrine sur les réseaux de NVIDIA. “Notre objectif est de créer le meilleur MMO de survie”, lâchaient les co-fondateurs du jeune studio thaïlandais Fntastic dans les colonnes de Gaming Bolt. La même année, ils sortaient Popnight, un jeu de cache-cache multijoueur moyennement bien reçu, notamment en raison de soucis techniques, de problèmes de serveurs et d’une attente interminable lors des matchmakings. Mais difficile de se montrer insensible face aux belles promesses d'univers post-apo en monde ouvert de The Day Before, à sa liberté d’action digne d’un DayZ et sa dimension PvE à en faire pâlir la concurrence. Le titre est prévu en 2022. On s’imagine même qu'il pourrait faire de l'ombre au potentiel multijoueur de The Last of Us. Le premier coup de massue survient au printemps suivant, alors que le public frétille d’impatience à l’idée de tâter le terrain de survie du jeu. Les développeurs changent leur moteur et choisissent la voie de l’Unreal Engine 5, obligeant un délai supplémentaire de plusieurs mois pour convertir leurs données et exploiter dignement l’outil. Rien qui n’ébranle toutefois les espoirs, le studio calmant les ardeurs à coup de nouvelles images boostées une fois encore par les capacités bluffantes du DLSS 3 de la marque NVIDIA. “Mouais, c'est peut-être trop beau pour être vrai”, commencent tout de même à souffler certains. Le temps passe et The Day Before enchaîne les reports, justifiant de soudaines difficultés légales en raison de problèmes juridiques liés à la marque. Pendant ce temps, jamais une séquence de gameplay n'est montrée. Les joueurs s’agacent et perdent confiance à l’heure où le fiasco Abandoned a déjà plombé le moral des troupes.

Cacher le gameplay sous le tapis, la technique qui ne trompe plus

Arrive finalement le 2 février 2023, date à laquelle Fntastic se décide enfin à publier un premier extrait de gameplay de The Day Before, offrant quelque chose de concret aux spectateurs. Sur son Discord, le studio présage une présentation “à nul autre pareil”, qu’une portion de la communauté qualifie plutôt de “catastrophe sans nom”. La vidéo en question dévoile un personnage qui se balade, pendant environ dix minutes, dans un monde ouvert, dans une boucle d'ennui assez assommante. On reproche même à certaines séquences cinématiques de ressembler étrangement à des plans de la bande-annonce du monde Zombies de Call of Duty : Black Ops Cold War. L’un des jeux les plus wishlistés sur Steam devient alors officiellement une arnaque aux yeux de nombreux joueurs. Quelques reports et accusations de plagiat inédites plus tard, The Day Before s’approche finalement d’une date de sortie en accès anticipée étonnamment palpable, le 7 décembre. Et à quelques heures du moment fatidique, Fntastic insiste : “Ne nous accusez pas d’arnaque”, “Nous avons travaillé dur, et sommes heureux que notre jeu voit enfin le jour afin que tout le monde puisse l'explorer”. Mais le constat est sans appel ; « Un sacré jeu de m*rde qui est vendu à 40€ », « 30 minutes, c’est le temps qu’il m’a suffi pour savoir que ce jeu n’en valait pas la peine », « bel et bien l’arnaque qui était prévue », « vraiment une catastrophe », peut-on lire, entre autres, sur la page Steam recensant les évaluations “extrêmement négatives” du jeu qui propose une carte plus petite que prévu, des véhicules presque inexistants et surtout de gros problèmes de serveur. Le rêve de MMO de survie ultra ambitieux s’est très vite révélé n’être qu’un simple shooter multi à extraction criblé de bugs. Le nombre de joueurs a chuté de près de 90 % en quatre jours, et le jeu est entré dans la liste des 10 jeux les plus mal notés de tous les temps sur la plateforme Steam.

Quatre jours après ce lancement catastrophique, Fntastic annonce le pire : la fermeture pure et simple de son studio, expliquant avoir “failli financièrement” et que “tous les revenus reçus” sont utilisés pour rembourser leurs dettes. L’entreprise présente ses excuses et admet même s’être trompée sur ses propres capacités à réaliser un jeu ambitieux. Un aveu de faiblesse qui a probablement généré la vague de haine de nombreux joueurs qui voient leur nouvel achat laissé à l’abandon.

Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais malheureusement, nous avons mal évalué nos capacités. Créer des jeux est incroyablement difficile.

Quelques heures plus tard, c’est le CEO de Fntastic qui efface son compte Twitter, supprimant en un clic sa présence d’internet. Le site officiel de l’entreprise est également rasé, ne laissant aucun moyen de les contacter. Pareil pour la chaîne YouTube. Sur les réseaux, certains prennent la situation à la rigolade. Bohemia Interactive, studio auquel on doit le jeu DayZ., a même eu l'idée de reprendre le communiqué d’excuse de Fntastic dans la forme pour célébrer le 10ème anniversaire du jeu. L’éditeur, Mytona, est laissé seul dans la galère et offre aux joueurs mécontents de leur rembourser le jeu, indiquant par ailleurs être “en contact avec Fntastic concernant l'avenir du jeu". Mais à l’heure où nous écrivons ces lignes, le jeu vient d’être retiré de Steam. Bientôt, l’entreprise thaïlandaise ne sera plus qu’un souvenir amer, uniquement retraçable par des sources tierces, conséquence d’une communication jugée mensongère et d’ambitions démesurées, comme c’est déjà arrivé par le passé.

La communication, c'est la clé

Si certains lancements chaotiques n’empêchent pas toujours les studios de couler des jours heureux par la suite, ils causent à d’autres une condamnation bien plus terrible. Cette année encore, c’est le studio Daedelic, culte pour ses grandes licences d'aventure comme la saga Deponia, qui annonçait fermer sa division de développement. En cause : la sortie désastreuse du jeu Le Seigneur des Anneaux : Gollum, pourtant lui aussi rempli de belles promesses avant sa publication. Avec une moyenne de 35/100 sur Metacritic, il a hérité du titre officieux de pire lancement de l’année, poussant même le studio à faire son mea culpa sur les réseaux sociaux, dans une lettre vraisemblablement rédigée par l’éditeur Nacon via ChatGPT. Dans une interview accordée au média allemand GameTwo, des employés ont joué la carte de l'honnêteté, abordant les multiples difficultés rencontrées au cours du développement du jeu, et notamment le faible budget alloué qui n'était que de 15 millions d'euros. "Il y a des gens qui travaillent sur le jeu depuis 10, 15, 20 ans et qui sont bons, mais ils ne peuvent pas faire de magie parce qu'on ne leur a pas donné les fonds nécessaires", a notamment déclaré le développeur Paul Schulze. Ces derniers ont reçu une vague de soutien de la part de quelques confrères sur les réseaux sociaux, conscients des problématiques rencontrées. Danni Carlone, aujourd'hui artiste chez Santa Monica, a notamment ouvert le bal en affichant sur sa page le triste score de Sonic Boom : L'Ascension de Lyric, seulement de 32% sur Metacritic, et sur lequel il a travaillé avant d’apparaître dans les crédits de God of War Ragnarok.

Les jeux sont difficiles à faire. Quel que soit la note, chaque projet a des points positifs et des leçons à apprendre. J'affiche mon jeu avec le "score le plus bas" parce que je suis fier du temps que j'ai passé à travailler avec certaines de mes personnes préférées dans cette industrie ». Certaines choses échappent parfois à votre contrôle, soyez tolérants les uns avec les autres - Danni Carlone.

L’histoire renvoie forcément à d’autres souvenirs douloureux, comme cette fois où Electronic Arts avait fermé les portes de Maxis Emeryville, le studio à l'origine de SimCity et Spore. Une décision intervenue en 2015 au beau milieu d’une Game Developers Conference à San Francisco, tandis que plusieurs artistes annonçaient avoir perdu leur emploi. Deux ans plus tôt, le reboot de SimCity, licence culte et adorée, recevait une mauvaise presse en raison de l'absence de nombreuses fonctionnalités présentes dans les titres SimCity précédents et de graves problèmes en ligne qui ont persisté après le lancement. Un coup de massue pour la communauté qui assistait à l’effondrement d’un studio historique. Pour ce qui est de The Day Before, dont le studio a entretenu une publicité jugée trompeuse durant des mois, la sympathie est bien moins de mise. “Si vous avez l'impression que je n’ai aucune sympathie pour eux, c’est le cas. Ils ont surfé sur la vague de battage médiatique et de marketing trompeur, jouant la carte de la victime pour discréditer tous ceux qui les dénoncent, et ils ont essayé de commercialiser cette chose comme un projet raffiné, innovant et fini. Tous les signaux d’alarme de l’industrie du jeu en 1”, lâche notamment Nick Calandra, co-fondateur de la chaîne Second Wind.

Voilà qui sonne bien plus comme une histoire à la “Rise of the Robots” que “Gollum”. Piqûre de rappel : dans les années 90, Mirage Technologies faisait la promo de ce jeu de baston voué à défier Street Fighter avec des décors empruntés à Blade Runner et Metropolis mais surtout des graphismes à couper le souffle. Comme pour The Day Before, la presse internationale était complètement obsédée ; “Rise of the robots est le premier beat 'em up depuis longtemps qui promet quelque chose de différent. En fait, il est révolutionnaire à bien des égards. C'est le premier beat 'em up à utiliser des graphismes en ray-tracing, il sort sur plus de machines que n'importe quel autre titre 16 bits et c'est le premier jeu à faire appel aux services d'un architecte d'intérieur” pouvait-on lire dans un numéro de mai 1994 du magazine CVG. Brian May, le guitariste adulé des Queen, est même recruté pour composer la bande originale. Jonathan Davis, le rédacteur en chef de Amiga Power, avait reçu son ticket d’or pour visiter les locaux de Mirage, où on lui vantait le design des robots, entièrement en 3D précalculée. “Je ne me souviens pas avoir entendu parler de la façon dont tout cela allait rendre le jeu amusant. Mais ils ne l'auraient sûrement pas oublié, n'est-ce pas ?”, se rappelle-t-il dans les colonnes de Kotaku, en évoquant l’absence de détails communiqués au sujet du gameplay. C'est toujours une histoire de gameplay. Le jour de la sortie a sonné l’heure de la désillusion, la presse constatant des combats répétitifs, un manque d’ambiance ou encore la possibilité absurde de vaincre à peu près n'importe quel adversaire en donnant des coups de pied volants vers la droite. Problème : Rise of the Robots est terriblement mauvais, mais il se vend très bien. Des critiques de magazine anticipées du jeu, parfois basées sur des captures d’écran, ont encouragé les joueurs à se précipiter sur le titre. Mirage propose même un Rise 2 : Resurrection en 1996 avant de, tout de même, fermer ses portes sans grande cérémonie en 1997. Heureusement, l’ère d’Internet, des réseaux et des critiques en ligne permet aujourd’hui d’éviter un peu mieux les achats remplis de regrets. Un message du cofondateur de Fntastic Eduard Gotovtsev déterré a indiqué The Day Before s'est vendu à 201 076 exemplaires depuis son lancement le 7 décembre, 91 694 unités ayant été retournées à l’envoyeur, signant un taux de remboursement de 45,6 %. Avec la disparition totale du jeu, espérons que ce dernier atteigne 100%. Morale de l'histoire pour les développeurs : toujours être honnête avec son public et faire de son mieux pour être pardonné en cas de fiasco. Et pour les joueurs : quand c'est beau, c'est pas forcément bon.