Nous fêtons un drôle d’anniversaire aujourd’hui, celui de l’annonce ratée de la Xbox One. Il y a 10 ans en effet, le géant américain organisait une conférence de presse à Redmond afin de présenter le futur de la marque. La suite, on la connaît : des joueurs du monde entier hurlent leur colère et Microsoft entame un 180° tonitruant.
Sommaire
- L’héritage de Don Mattrick
- La conférence de l’angoisse
- Retours mortels
L’héritage de Don Mattrick
Le 21 mai 2013, Microsoft présente au monde entier sa future console de jeux, la Xbox One. L’événement, qui se déroule directement à Redmond, ville du géant américain, est filmé pour être retransmis en direct sur Internet. Toutes les planètes semblent alignées pour un événement renversant : la firme de Redmond bombe le torse, elle joue à domicile et bénéficie d’un avantage considérable en matière de communication, puisqu’elle passe trois mois après Sony qui avait dévoilé sa PlayStation 4 le 21 février 2013. De quoi rebondir sereinement sur chacun des arguments avancés par son concurrent.
L’homme fort chez Xbox à cette époque, c’est Don Mattrick. L’ancien président des studios Electronic Arts a pris ses fonctions de directeur de la branche Interactive Entertainment Business chez Microsoft (comprenant la Xbox et les jeux PC) en 2007 sous l’impulsion de Robbie Bach. Sous le règne de Mattrick, la base installée de Xbox 360 dans le monde est passée de 10 millions à plus de 76 millions, alors que le nombre d’abonnés au Xbox Live (silver et gold) a été multiplié par 8, passant de 6 millions à 48 millions. Des chiffres impressionnants qui ont réussi à maintenir Sony et sa PlayStation 3 sous pression.
“Quand je suis arrivé chez Microsoft, Steve Ballmer m’a dit qu’il fallait miser sur de nouvelles catégories, innover et créer les nouveaux succès du jeu vidéo et du divertissement” se souvient Don Mattrick dans le reportage Power On. Conformément aux souhaits de Ballmer, Mattrick ne veut pas vendre 30 millions de consoles, mais 300 millions. Pour tenter d’y arriver, sa stratégie va reposer sur des expériences grand public. Il mise sur le divertissement, sur le cinéma, sur Netflix, sur HBO, sur Facebook ou encore sur Twitter qui débarquent sur Xbox 360.
Ses années en tant que patron de la marque au gros X furent marquées par son envie d’ouvrir la machine à un public toujours plus large avec des projets “pour tous” tels que Lips, le Xbox Live Vision Camera ou encore les avatars inspirés des Miis de la Wii. En 2007, le motion gaming fait un carton et devient un véritable phénomène de société grâce à la dernière console de Nintendo. En coulisse, Bill Gates fulmine. Il ne comprend pas comment son entreprise a pu rater le virage du jeu pour tous. Mattrick suit alors la tendance et lance dans la foulée le projet Kinect, le capteur qui s’est vendu à 24 millions d’exemplaires. Malgré ce joli succès commercial, l’accessoire ne parvient pas à convaincre les hardcore gamers de son utilité.
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La conférence de l’angoisse
Quand Don Mattrick monte sur scène le 21 mai 2013, il est confiant. Après tout, ses choix se sont révélés payants : en 2011 et en 2012, la Xbox 360 a dominé les charts en Amérique du Nord. C’est donc serein qu’il revient sur les différents succès de la marque. “Nous sommes ravis de dévoiler le système ultime de divertissement à domicile tout-en-un, celui qui a le pouvoir de créer des expériences qui ne ressemblent à aucune autre, celui qui rend votre télévision plus intelligente, un système unique pour une nouvelle génération. Mesdames et messieurs, voici la Xbox One” déclare-t-il, souriant. Une vidéo apparaît sur l’écran géant. Elle dévoile le design de la fameuse machine, une sorte de gros magnétoscope aux couleurs sombres. Elle confirme aussi le fait que Kinect est intégré dans le carton et que le capteur doit être branché à la machine pour que cette dernière propose une expérience optimale à l’utilisateur.
Yusuf Mehdi, vice-président du segment divertissement de Microsoft Interactive, succède à Don Mattrick. Devant les caméras, il montre comment Kinect est intégré à l’expérience utilisateur de la Xbox One, et comment il sera simple de switcher entre un jeu vidéo et un programme télévisé. C’est au tour de Marc Whitten de monter sur scène afin d’insister sur la puissance de la console et sur l’intelligence de son architecture. Il donne des détails techniques sur le nouveau Kinect, dévoile quelques nouveautés sur le pad, et promet un Xbox Live toujours plus performant. Ensuite, c’est Andrew Wilson d’Electronic Arts qui fait son speech. Il promet un partenariat “spécial” avec Microsoft, mais ne montre finalement que quelques extraits de jeux de sport à venir sur Xbox One avec Madden, Fifa, NBA Live et UFC. Force est de constater qu’il est difficile de s’enthousiasmer par ce qui est montré jusqu’à présent. Sur Internet, les fans de la marque (et ses détracteurs) ont du mal à comprendre où veut en venir le géant américain avec cette console de jeux qui pour le moment… ne montre quasiment aucun jeu.
Quand Phil Spencer arrive, alors responsable de Microsoft Studios, les spectateurs se disent que les jeux vidéo vont enfin arriver et que la firme de Redmond va pouvoir contrer les arguments de Sony avec sa PlayStation 4. Malheureusement, malgré de jolies promesses sur l’arrivée de “blockbusters exclusifs”, Spencer ne montre que deux titres : Forza Motorsport 5 (gameplay) et Quantum Break (cinématique). En guise de conclusion, il annonce que plus de 15 jeux exclusifs arriveront durant la première année de vie de la console, dont 8 nouvelles licences. Et c’est tout. C’est au moment où Nancy Tellem, directrice de Xbox Entertainment Studios, monte sur scène que les joueurs comprennent ce qui est en train de se passer : la firme américaine opère un virage vers le divertissement grand public et prend le risque de moins investir dans le jeu vidéo pur et dur. Quand bien même les consoles Xbox auraient la réputation de faire partie des machines pensées pour les hardcore gamers. Une fois de plus, l’intervenante parle de télévision. Une fois de plus, les railleries émergent sur la Toile. Le grand final est tout aussi décevant que le reste de l’événement : il montre quelques extraits de Call of Duty : Ghosts, dont la vidéo d’un développeur animant la mâchoire d’un chien deviendra un meme Internet.
Retours mortels
Suite à l’événement, les retours des joueurs mais aussi de la presse spécialisée sont catastrophiques. Microsoft a beau promettre un E3 à venir dédié aux jeux, ce qu’il a montré de la Xbox One n’a pas convaincu. L’importance de Kinect dans l’écosystème Xbox One commence à soulever différentes interrogations, et le virage “divertissement télévisé” n’est pas du goût de tous. Pire, le géant américain ferme la porte à la rétrocompatibilité, et veut instaurer un système payant pour que le joueur installe un soft sur une seconde machine. Enfin, Don Mattrick explique qu’il faudra régulièrement connecter sa machine au Xbox Live pour que le système vérifie les licences. Des décisions allant à l’encontre des utilisateurs, estiment de nombreux joueurs.
Lors de l’E3 2013, alors que Microsoft a déjà la tête dans le sable à cause des histoires de connexion permanente pour sa Xbox One empêchant les joueurs de se prêter des softs simplement, Sony publie une vidéo vacharde montrant la simplicité du don de jeu à un autre camarade sur PlayStation 4. Un coup de génie qui ridiculise immédiatement la firme de Redmond et ses mesures allant à l’encontre du marché de l’occasion. En outre, pendant cet E3 2013, rien ne sourit à Microsoft. Tout d’abord, la Xbox One vendue à 100 euros de plus que la PlayStation 4 est très mal perçue. Ensuite, Ryse son of Rome, pourtant impressionnant techniquement, est vivement critiqué à cause de son gameplay jugé trop simple. Killer Instinct, de son côté, essuie de lourdes plaintes à cause de son business model peu répandu à l’époque. Malgré la présence d’une bande-annonce pour Halo 5, d’un trailer pour Quantum Break, d’une vidéo pour Sunset Overdrive et de la démonstration surprise de Titanfall à la fin du show, la Xbox One continue de se prendre un torrent de critiques. Lors d’une interview, Don Mattrick dira à propos de la connexion obligatoire : “si vous n’avez pas internet, nous avons la Xbox 360”. Ce sera la phrase de trop.
Face à la grogne des joueurs, la firme de Redmond abandonne finalement ses plans initiaux avant le lancement officiel de sa nouvelle console. Mais le mal est fait. À vouloir ouvrir sa machine au monde de la télévision et pour avoir cédé aux promesses impopulaires du tout connecté, Don Mattrick trébuche. Il est remercié en juillet 2013. Ses déclarations maladroites et sa vision opaque pour la Xbox One - dont s'est délecté Sony - ont failli tuer la marque. Lorsque Phil Spencer est nommé responsable de la branche Xbox en 2014, la situation est presque désespérée. La politique de la marque est incertaine, la presse et les joueurs doutent, et la PlayStation 4 continue de creuser l’écart. Dès le mois d’avril 2014, les ventes de la Xbox One chutent et la PlayStation 4 prend son envol. Phil Spencer est convoqué dans le bureau de Satya Nadella, le nouveau PDG de l’entreprise, et l’abandon possible du marché des consoles de jeux est clairement évoqué. C’est à ce moment-là que le patron fraîchement débarqué à la tête de Xbox réussit à convaincre le grand manitou de Microsoft d’investir massivement pour relancer la marque. Le fameux “all-in” dans le gaming.
De là naîtra le retour de la rétrocompatibilité, la convergence Xbox/PC, le Game Pass, puis les rachats de Playground Games, Ninja Theory, Compulsion Games, Undead Labs, Double Fine, InXile, ainsi que la création de The Initiative. Avec le rachat de Bethesda et le projet d’acquisition d’Activision Blizzard King, Microsoft est plus que jamais investi dans le gaming. Du “all in one” au “all-in”, il n’y a qu’un pas que le géant américain a désormais franchi.