D’un coup, comme un concours de crachat qui démarrerait sans prévenir, Lucasfilm Games, Devolver et Terrible Toybox viennent d’annoncer le retour de la série Monkey Island, plus de dix ans après le dernier volet. Surtout, c’est l’équipe originale qui tient cette fois la barre, pour nous emmener plus que jamais aux confins de l’humour et de l’absurde. Pourquoi c’est culte et pourquoi c’est un retour si attendu ?
Il y a des choses qui ne changent pas. Alors quand Ron Gilbert, créateur de la célèbre licence Monkey Island, annonce sur Twitter un “petit quelque chose” sur lequel il travaille depuis deux ans - et que les joueurs attendent depuis trente ans - on retrouve bien l’humour du bonhomme et celle de la saga de piraterie décalée qui l'a fait connaître. L’annonce, c’est Return to Monkey Island, qui marquera cette année le retour de l’univers culte inauguré par Lucasfilm Games en 1990, mais surtout le comeback de Gilbert lui-même aux commandes, accompagné d’une bonne partie de l’équipe originale, notamment à la bande-son et au doublage. “Ce retour, c’est un peu un double événement” note Jean-Kléber Lauret, chef de rubrique high-tech chez JV et fan de la série. “Gilbert est parti de Lucasfilm Games après le second opus (...) dont la fin est vraiment bizarre, très culottée”.
Trente ans sans réponse
Pour la beauté du spectacle, nous n’allons pas vous dévoiler le final de Monkey Island 2. Notez seulement que d’un côté, elle est ultra-perchée, mais que de l’autre, elle prend tout à fait son sens au sein de l’humour si particulier de la série. Un humour bien sûr développé au départ par Ron Gilbert en personne, mais également Tim Schafer (fondateur du célèbre studio Double Fine, Psychonauts, Brütal Legend) et un certain Dave Grossman, qui sera d’ailleurs de la partie sur Return to Monkey Island. “C’est une écriture qui est post-moderne” résume Nicolas Deneschau, auteur des "Mystères de Monkey Island" publié par Third Editions, que nous avons eu par téléphone. “Monkey Island, c’est le genre du jeu où vous allez avoir un concours de crachat ou un personnage qui va se servir une boisson dans un un distributeur automatique alors que c’est un pirate”. Le maître-mot, c'est souvent l'anachronisme.
Évidemment, les autres épisodes de Monkey Island vont s’appuyer sur cet humour si particulier, avec une réussite plutôt honorable. Le dernier volet des aventures du héros Guybrush Threepwood sorti en 2009, une série de cinq chapitres développée par le studio Telltale Games (Wolf Among Us, Walking Dead) en collaboration avec LucasArts - le nom de la société change entre 1991 et 2013 -, récolte un confortable 86/100 sur Metacritic. Pourtant, aucune des suites ne s’étend sur la fin surprenante de Monkey Island 2. “Après cet épisode, les développeurs ont essayé de jongler avec l’héritage de Gilbert” souligne Nicolas Deneschau. Return to Monkey Island est donc la promesse d’une réponse à ce final si désopilant. Un final que Gilbert n’avait jamais eu l’occasion d’expliquer, après son départ de Lucasfilm Games en 1991, malgré ses appels du pied à Disney qui détient les droits de la licence. Le temps et le soutien de l’éditeur Devolver, qui répondait déjà présent en 2019, semblent avoir fait le reste.
Monkey Island 2 Special Edition : LeChuck's Revenge (Remake de 2010)
“Avengers du point & click”
Mais ce n'est pas la seule raison de s'enthousiasmer. “Pour les amateurs de cet âge d’or du jeu d’aventure, (Return to Monkey Island - ndlr) c’est un peu la reformation des Avengers ou de la Justice League du point and click" affirme de son côté Pierre-Eric Salard, expert de LucasArts / Lucasfilm Games et gérant d’une page Twitter sur le sujet, que nous avons également contacté. Car au-delà d’être un jeu drôle et divertissant, le premier Monkey Island marque surtout un tournant pour le genre. “Avant lui, les jeux d'aventure n'étaient pas vraiment grand public” explique Nicolas Deneschau. “Mais en 1989, Ron Gilbert écrit cet article, “Why Adventure Games Suck” (“pourquoi les jeux d’aventure sont nuls” - ndlr) où il théorise un certain nombre de règles qu’il va appliquer dans Monkey Island”.
Ron Gilbert est un gars à part, un informaticien passionné qui passe encore aujourd’hui des heures à coder chez lui, et qui a une certaine intelligence sur le monde ludique. Il tient à être surnommé “Grumpy Gamer” (“le joueur grincheux”) - Nicolas Deneschau, auteur des "Mystères de Monkey Island"
Le bébé de Gilbert et Lucasfilm Games met pas mal de choses en place pour faciliter la vie du joueur. À commencer par ces quelques mots, "je m'appelle Guybrush Threepwood et j'aimerais devenir pirate”, les premiers que l’on entend au début du tout premier Monkey Island en 1990. Le but : exposer clairement les enjeux auxquels le joueur va devoir se plier. Le titre poursuit ensuite sur trois épreuves à faire dans n’importe quelle ordre - une originalité pour l’époque - afin de convaincre le conseil des pirates et rejoindre leur rang. Dur d’être moins clair. “Monkey Island, c’est un peu l’école du game design, comme le premier niveau Super Mario Bros. C’est quelque chose de très didactique (...) Un jalon du jeu d'aventure” résume Nicolas Deneschau. Même son de cloche chez Jean-Kléber Lauret : “Ron Gilbert a pratiquement inventé le langage moderne du point and click”.
The Secret of Monkey Island (Jeu original de 1990)
Retour d'entre les morts
Malgré d'abord un succès d’estime plus que commercial, le premier Monkey Island va amorcer doucement mais sûrement la révolution du jeu d’aventure. Encore aujourd’hui, il est considéré comme une référence. Notamment chez Neil Druckmann, directeur créatif et co-président de Naughty Dog (Uncharted, The Last of Us) qui est même allé jusqu’à glisser des secrets liés à la série dans le très sérieux Uncharted 4. Pour les joueurs, l’enthousiasme est aussi de mise. “Je suis tombé amoureux de Monkey Island. Son univers, sa musique, son humour ravageur” nous dit Grimh_HS, sur Twitter. Le vidéaste Super Canard, de son côté, parle d’un jeu qui a “enchanté son imaginaire”.
Autant dire que l'excitation de retrouver Guybrush Threepwood, surtout avec l'équipe originale à la barre, est plus que palpable. Mais Return to Monkey Island, "c’est aussi un immense tournant pour Lucasfilm Games” explique Pierre-Eric Salard. “Quand LucasArts a été fermé en 2013 (...) Lucasfilm n’a conservé qu’un petit département interne gérant la licence (Star Wars - ndlr). Return to Monkey Island représente un retour à l’essence de LucasArts, même s’il n’est pas développé en interne. Il s’agit d’un jeu d’aventure tiré de leur licence originale la plus connue, développé par les créateurs des jeux d’origine. Et surtout, c’est une île (de singes) au milieu d’un océan de Star Wars, ce qui démontre qu’ils tentent enfin de renouer avec l’autre partie de leur public”. Levez l'ancre, moussaillon.
Return to Monkey Island (Sortie prévue en 2022)
