Les premiers personnages féminins chez Nintendo

Nintendo revient de loin. Commençons donc par le commencement, dans les années 80. Le constructeur avant tout réputé pour sa confection de jouets commence à se faire connaître en tant qu’acteur privilégié d’une industrie florissante : le jeu vidéo. Les premiers jeux grand public sont d’une simplicité narrative, mais déjà, Nintendo abat ses meilleures cartes en commercialisant deux de ses licences cultes et indissociables de son succès à l’international : Super Mario Bros et The Legend of Zelda . Les deux futures sagas se différencient par leur gameplay puisque le premier s’identifie au genre de la plateforme tandis que le deuxième se classe parmi les jeux d’aventures. Néanmoins, les deux se rejoignent sur la narration et cela vaut pour la quasi-totalité des titres de chacune des séries : un héros masculin courageux part à la rescousse d’une princesse, impuissante et captive. Les personnages féminins sont ainsi cantonnés aux rôles traditionnels et binaires, perpétuant ainsi les stéréotypes de genres : les femmes sont passives et doivent être protégées et secourues par des hommes.

Dans Metroid , autre licence historique de Nintendo, le chasseur de prime est une chasseuse de prime. Samus Aran ne révèle qu’à la fin son appartenance au genre féminin. Combative et athlétique, ses créateurs lui ont octroyé des qualités dignes des héros classiques et masculins. Néanmoins, contrairement à Mario ou Link, Samus est sexualisée, devenant un objet de désir pour un public présupposé masculin et hétéro. À la fin de plusieurs des titres de la licence, il est possible de se voir récompensé de ses performances techniques par l’apparition de l’héroïne dénudée. L’intrépide aventurière passe ainsi de sujet d’une épopée, à une vulgaire récompense. Mais cela n’est pas une spécialité propre à Nintendo, qui n’a fait que reprendre les modèles déjà dominants dans la culture populaire. Si le sujet vous intéresse, nous avons déjà consacré plusieurs articles sur la représentation des femmes dans les jeux vidéo et la série de vidéos "Tropes vs Women in Video Games" d'Anita Sarkeesian sont disponibles sur la chaîne YouTube Feminist Frequency .

L'homosexualité : un pas en avant, deux pas en arrière

Pour voir des personnages féminins combattre à l’égal des hommes, nous pouvons nous tourner vers la franchise de tactical RPG, '''Fire Emblem''' . Et dans les épisodes les plus récents, il est possible d’entretenir des relations homosexuelles. Et même si bien entendu, ce sont bien les joueurs et joueuses qui décident de créer de leur chef ces relations et non le jeu lui-même, c’est déjà une petite révolution. Néanmoins, difficile d’oublier ce triste jour où son studio de développement Intelligent System appartenant à Nintendo a trouvé bon d’inventer une potion afin que l’un des personnages ouvertement lesbiens puisse changer son orientation sexuelle et devenir hétérosexuelle. Face à la levée de bouclier, Nintendo a retiré la séquence de son jeu.

'''Tomodachi Life''' est une simulation de vie centrée sur les interactions sociales qu’entretiennent les différents avatars créés dans le jeu. Sorti sur Nintendo 3DS en 2014, le titre a surtout connu du succès au Japon. Contrairement à d’autres jeux appartenant au même genre, comme les Sims , il était impossible d’espérer un mariage gay. Cela avait créé une polémique à laquelle Nintendo avait répondu que Tomodachi était “un jeu loufoque et excentrique et que nous n'essayons absolument pas de soulever des questions d'ordre social.” Double tôlé pour la firme qui affirmait entendre les critiques des joueurs et joueuses, mais, pour des raisons techniques, ne pouvait pas changer le jeu et permettre ces mariages. Pas de bol, un bug au Japon débloquait cette possibilité.

Quelques maladresses

Il a aussi été reproché à Nintendo de se montrer discriminant avec les ethnies non blanches, voire d’être raciste. On se souvient de la malheureuse animation de Monsieur Game and Watch reprise dans une vidéo de présentation de Super Smash Bros. Ultimate , qui mettait en scène une représentation très clichée et barbare d’un Indien d’Amérique. La firme l’a ensuite retirée suite aux nombreuses critiques reçues.

Enfin, mais pas des moindres, dans les précédents Animal Crossing, la couleur de peau blanche était la norme. Dans New Leaf et les autres, il fallait répéter les séances d’UV pour avoir et maintenir une couleur de peau plus mate ou bien débusquer un masque de Mii auprès de Ginette, la toiletteuse et coiffeuse. Une aberration, d’autant plus que le bronzage n’a rien à voir véritablement avec une couleur de peau… Bref, il fallait se contenter de certains détournements et redoubler d’efforts. Le personnage de Sarah, la marchande de tapis et de tapisseries souffrait de racisme ordinaire. Correspondant à un certain fantasme orientaliste, le pire se trouve dans la version occidentale du jeu où les habitants continuent d’écorcher son prénom comme si cela été trop difficile à retenir pour un occidental.

Des améliorations dans Animal Crossing : New Horizons

Oui, sur certains points, c’est indéniable, Nintendo s’est amélioré et cela se ressent dans le dernier Animal Crossing en date. Celui-ci a d’ailleurs repris la bonne idée de son itération sur mobile Pocket Camp en laissant libre choix de la couleur de peau au joueur dès le début de la partie. Grande nouveauté également, vous pouvez changer de genre à tout moment, à partir du moment où vous obtenez un miroir. Il n’est pas précisé garçon ou fille, mais Nintendo pose la question suivante “comment veux-tu qu’on s’adresse à toi”. Soit, ce sont les pronoms qui changent. Bon, cela reste très binaire, c’est vrai, mais cela évolue un peu tout de même. Si vous êtes une personne trans ou gender fluide par exemple, que vous changez de genre dans la vraie vie au cours de votre partie sur Animal Crossing, vous pourrez le faire aussi et simplement, dans le jeu. Et il n’y a vraiment que les pronoms qui changent, puisque désormais vous pourrez vous habiller comme vous le souhaitez et vous adonner au mélange des genres.

Dans les précédents épisodes il y avait tout de même la présence de la police du genre, si dans la boutique de mode les Soeurs doigts de fées vous étiez considéré comme un garçon et que vous essayiez d’acheter une robe, des commentaires désobligeants tentaient de vous dissuader. A noter que l’inverse n’était pas vrai ce qui correspond à notre culture où les codes masculins sont valorisés, comparés à ceux dits féminins. Ce n’est plus le cas dans New Horizons. Vous pouvez très bien être un personnage reconnu comme masculin, enfiler une robe dans la cabine d’essayage et recevoir uniquement des commentaires positifs de la part de Layette.

Il y a peu, une personne à mobilité réduite a eu la surprise de découvrir que dans New Horizons il était possible d’avoir une chaise roulante. Cette dernière ne peut certes pas servir à se déplacer, mais le fait de pouvoir s’y assoir dans le jeu a provoqué une vague d’émotions chez plusieurs personnes concernées par le handicap.

Autre surprise : l’orientation sexuelle. Impossible d’entretenir une relation amoureuse dans Animal Crossing, les seuls couples connus de la saga sont Amiral et Liliane ou encore Serge et Risette. Des modèles très binaires, hétérosexuels et cisgenres, reprenant les stéréotypes de genre : monsieur en bleu exécute un travail manuel, madame en rose accueille et bavarde avec les clients. Dans la version occidentale d’Animal Crossing New Horizons le personnage de Merry parle d’une comédie romantique qu’elle aime beaucoup, celle d’une princesse qui aime une autre princesse. Il y a donc l’évocation d’un couple lesbien dans Animal Crossing.

Une réappropriation par les joueurs et les joueuses

Pourquoi est-ce si important d’avoir un plus large panel des représentativités dans Animal Crossing ? Avec les jeux vidéo, et c’est encore plus flagrant dans les jeux de simulation de vie, nos actions et interactions entre notre avatar et d’autres personnages apparaissent comme réelles. Il sont aussi des espaces où nous pouvons nous entraîner et oser plus d’expériences en matière de relations sociales. Dans Animal Crossing, plus que du role-play, c’est de jouer notre propre rôle qui est question. Les joueurs et joueuses ne pénètrent pas dans un monde féérique, il n’y a pas de classe ou de races à interpréter, pas de magicien ou d’elfe, etc. Les joueurs choisissent un avatar qui leur ressemble et s’identifie comme tel. Pour faire simple, on incarne une version de soi-même. Tout le monde devrait alors pouvoir se retrouver dans un jeu comme Animal Crossing.

Certaines joueuses ont repéré que déjà, dans les épisodes précédents, certains personnages non jouables avaient tendance à légèrement flirter avec votre avatar et ce, peu importe votre genre. Mais cela peut difficilement être reconnu comme étant une revendication de la part de l’éditeur. Il s’agit sûrement plutôt d’une limite technique où les personnages réagissent de la même manière malgré votre genre. Nous aurions pu aussi faire état de Birdo, personnage transgenre ou pour rester dans Animal Crossing de Roberto le paon. Mais quoi qu’il en soit, Nintendo propose avec Animal Crossing une forme d’inclusivité, mais ça ne veut pas dire que le jeu a été développé avec cette optique d’inclusivité. C’est grâce à une certaine souplesse et liberté créative dans le jeu, la facilité à laquelle les joueurs et joueuses ont pu s’approprier le titre que cette inclusivité a été rendue possible : le mainstream détourné par les minorités.