C'est bien moins un manque de ressources humaines qu'une restructuration des entreprises qui a créé le besoin d'écoles spécialisées. Il y a un peu moins de dix ans sont apparus comme statuts à part entière le game designer, le level designer, le codeur scénarique, le gameplay programmeur et le producer. Le procédé de reconversion des graphistes et programmeurs entreprenants, ou les chefs de projet qui cumulaient les casquettes, se sont progressivement éteints face à la spécialisation des corps de métier, témoin d'une professionnalisation du secteur. A Ubisoft, le game design est même devenu un laboratoire à part entière, le GameLabs, comme n'importe quel département de Recherche Et Développement. Le level designer et le graphiste, qui étaient auparavant très souvent la même personne, ont aussi été scindés en deux postes distincts, de même que le programmeur et le gameplay programmeur.
Le paysage s'est donc agrandi, accentuant les différents grades et spécialisations. Nous vous livrons ci-dessous son évolution avec le temps.
L'élargissement des studios et le besoin de gens spécialisés est donc la première interprétation à retenir sur la création d'écoles et la "fabrication" de designers dans le jeu vidéo. Mais en grattant un peu les années 2000, une autre explication, plus franche, apparaît. Cette période correspond à la fameuse crise du secteur européen du jeu vidéo. En france, entre 2001 et 2003, plus de 500 emplois sur les 1500 alors en place seront supprimés. Parmi eux, il faut compter la vingtaine de dépôts de bilans, ou figurent les illustres Cryo et Kalisto. Ce dernier, comme beaucoup d'autres, souffrira d'une fin d'existence pénible, plombée par des problèmes financiers qui feront tache. En plein repli boursier consécutif à l'éclatement de la bulle internet, les mauvaises gestions financières, les modèles économiques inadaptés et les lourds investissements consentis sur l'autel du passage aux 128 bits vont immédiatement révéler la faiblesse de beaucoup de structures. Le marché du jeu vidéo français a donc senti le besoin de renouveler sainement ses effectifs, même si il faut rester conscient que la plupart des employés étaient finalement victimes d'une crise générale dans le marché de l'informatique.
La dernière raison qui a incité certaines personnes à initier la création de telles écoles, c'est tout simplement l'importance de ne plus se laisser distancer par les modèles américains et japonais. Une urgence que les éditeurs et studios français vont complètement embrasser avec le passage aux 128 bits. A quelques rares exceptions, la plupart d'entre eux vont perdre beaucoup de temps avant de mettre en place des chaînes de production adaptées à ce nouveau marché, tandis que la plupart des studios américains et japonais auront su anticiper avec efficacité ce changement. La présence d'écoles spécialisées, à même de fournir des personnes rompues dès le départ avec le développement sur 128 bits sera une The Konami Company Computer Entertainment School, qui a pour but de former des programmateurs de jeux vidéo au Japon, tandis que la très fameuse DigiPen verra le jour à Washington en 1998. Cette institution fournit dès lors en ressources humaines des noms aussi fameux que Nintendo, Valve ou Microsoft. Nous reparlerons en détails de ces précurseurs, ainsi que de quelques autres formations reconnus, qu'elles soient américaines ou japonaises, à la fin de ce dossier. L'ouverture en 2000, de la MA Digital Games, à Liverpool, va permettre au concept de prendre pied sur le sol européen. Le reste des principaux pays du vieux continent, de la Suède à la France en passant par l'Allemagne vont alors rapidement emboîter le pas de cette initiative.