Même si c’est beaucoup moins le cas de nos jours, les développeurs ont souvent dû s’adapter au public visé par chacun des versions de leur jeu. On ne joue pas de la même manière au Japon, aux États-Unis ou en Europe.
Jason Rubin, co-fondateur de Naughty Dog, se souvient de l’adaptation japonaise de Crash Bandicoot :
Le succès de Crash au Japon est l’une de mes fiertés. Et je le dois aux nombreuses personnes qui ont travaillé très dur. Naughty Dog a passé énormément de temps à étudier les goûts des japonais et ce qui fait le succès de leurs jeux. Mais sincèrement, nous n’y serions jamais parvenus sans l’apport de Sony Japan ainsi que celui des producteurs et commerçants nippons. Pour nous adapter à leur marché, nous avons effectué plusieurs changements afin d’accorder le jeu avec les envies des joueurs japonais. J’ai plusieurs exemples en tête. Par exemple, le design de base de Crash Bandicoot ne convenait pas. Nous avons modifié les modèles 3D pour nous adapter à chaque marché. Ainsi, aux États-Unis, Crash a des yeux colorés. Au Japon, le personnage n’a que deux petites pupilles noires, en forme de Pac-Man. Autre exemple, durant le développement de Crash Bandicoot 2, il y a eu une série de meurtres horribles au Japon impliquant des enfants. La tête des victimes était déposée sur leurs chaussures. Or, une des nombreuses morts de Crash, qui est sorti cette année-là, avait justement tendance à trop évoquer la réalité : on le voyait se faire aplatir par ses chaussures qui avançaient toutes seules. Pour une question de sensibilité, nous avons proposé une mort alternative à celle-ci pour éviter tout dérapage et ne pas choquer le public japonais. Je pense également à la séquence où, si le joueur ne fait rien, Crash sort un yoyo et s’amuse avec. En fait, cette année-là, les yoyos faisaient un carton auprès des enfants nippons. Nous avons gardé le fameux yoyo dans la version américaine et européenne, et cela n’a choqué personne. Pour finir, toujours dans la version japonaise, Aku Aku donne des astuces et instructions au joueur, ce qui n’est pas le cas dans les jeux américains et européens. Les joueurs occidentaux détestent être ralentis dans leur action tandis que les japonais apprécient d’être guidés. Et des exemples comme ça, il y en a énormément dans la série.
Depuis la création des jeux vidéo, les développeurs doivent ainsi s’adapter à chacun des marchés pour s’accorder aux us et coutumes. Si l’exemple de Jason Rubin est édifiant, dans la mesure où il a été confronté à ces modifications, on peut également ajouter le niveau de la montagne dans Super Mario 64. Le joueur doit ramener le petit pingouin à sa mère mais une différence apparaît entre la version nippone et les versions occidentales. Au Japon, l’étoile est placée juste au-dessus de l’animal à la fin du niveau. En occident, l’étoile est décalée et beaucoup plus facile à attraper. Auparavant, les développeurs japonais avaient ainsi l’habitude d’ajouter des modes faciles ou altérer la difficulté d’un jeu pour la version internationale. Cela s’est perdu au fil du temps et des générations. Mais à l’inverse, et c’est encore vrai de nos jours, on trouve bien plus de guides visuels dans les jeux japonais, prenant parfois la forme de flèches de direction ou encore des indications pour connaître la marche à suivre. Même s'il faut pas en faire une généralité, les développeurs avec qui nous avons pu discuter relaient la réalité suivante : le joueur japonais moyen n'a pas peur du challenge mais il aime être guidé alors que le joueur occidental va plutôt éviter tout ce qui touche aux tutoriaux mais cherchera – sans fuir – à contourner les plus grosses difficultés.
Source : Interview Jason Rubin - Pix'n Love #13