Le développement de ce nouvel Anno a été confié à Keen, déjà responsable de la conversion du précédent épisode sur DS. Mais le studio a bénéficié cette fois du soutien de Blue Byte, vieux routard du jeu de gestion qui avait déjà oeuvré pour la "casualisation" de sa licence-phare : The Settlers. Si d'aucuns s'inquiétaient des concessions liées à cette ambition d'ouverture au grand public, qu'ils soient rassurés : les développeurs d'Anno : Créez Votre Monde ont réussi le tour de force de rendre le gameplay plus accessible sans en détériorer la richesse, se payant même, au passage, le luxe de proposer quelques mécanismes de jeu inédits. Soyez tout de même averti : la nouvelle campagne, qui s'étend sur sept chapitres, fait plus que jamais figure de gigantesque tutorial, particulièrement dirigiste. Mais c'est à ce prix que vous pourrez ensuite vous lancer dans le mode dit "Sans Fin", qui permet comme son nom l'indique de jouer une infinité de parties libres, personnalisables dans leurs moindres détails. Un regret tout de même : la disparition inexplicable et inexpliquée, sur DS, du mode multijoueur en local. La version Wii propose bien un mode deux joueurs, mais il se révèle si futile que nous ne l'évoquerons même pas, à l'instar du manuel de jeu !

C'est dans son scénario que se mesure sans doute le mieux l'orientation grand public de Anno : Créez Votre Monde. Adieu les vilains colonisateurs sans foi ni loi venus convertir les autochtones pour les beaux yeux d'une reine. Ici, les protagonistes principaux sont deux jeunes princes qui n'ont pour but que de sauver leur peuple de la famine en exploitant des terres exotiques et en envoyant le surplus de production à leur père de Roi. Des motifs pacifiques qui n'iront pas sans leur lot de tensions puisque les deux frères se livreront vite une compétition acharnée. Naïve et moralisatrice, l'histoire d'Anno convient à toute la famille et se laisse suivre d'autant plus agréablement qu'elle est mise au service d'une campagne de qualité. Bien équilibrée et bien rythmée, cette campagne permet un apprentissage en douceur en introduisant progressivement chaque nouvelle fonctionnalité, mais sans jamais laisser le challenge de côté. Ainsi, la plupart des personnages secondaires rencontrés n'accepteront de vous aider qu'après vous avoir confié une mission spécifique (transformer sa colonie en un port renommé, partir à la chasse au trésor...). Réalisés dans un style cartoon convaincant, ces personnages vous conseilleront ensuite tout au long du jeu et apparaîtront pour certains dans les nombreuses cut-scenes qui rythment la progression. Notez que la version Wii propose un doublage (de qualité inégale) des voix en français, absent de la version DS.

Comme on vous le disait plus haut, les mécanismes de jeu n'ont pas changé. Vous débutez toujours avec un navire chargé de richesses, que vous transformez en entrepôt après avoir jeté votre dévolu sur une des îles de la carte (chacune ayant ses particularités en termes de ressources et de fertilité). Cet entrepôt devient alors la base de votre colonie et de ses infrastructures, qu'il faut développer comme dans n'importe quel city-builder. Ce qui fait la particularité d'Anno, c'est qu'on vous y impose de veiller au bien-être de vos colons. Car s'il peut paraître long et onéreux de répondre à toutes leurs attentes, vous obtiendrez d'excellents retours sur investissement au fur et à mesure de leur progression sur l'échelle sociale : plus haut ils figureront sur celle-ci et plus ils accepteront de payer d'impôts, sans compter que chaque stade de civilisation atteint vous permettra de bénéficier de nouveaux bâtiments et de nouvelles technologies. Bref, vous devez prendre soin de vos colons, sachant qu'ils veulent parfois bénéficier de ressources impossibles à trouver ou à produire sur votre île. Vous pouvez alors vous tourner vers le commerce, en achetant sur le marché mondial les ressources nécessaires, mais c'est une solution coûteuse et inenvisageable sur le long terme. Il vous faudra donc, à un moment ou à un autre, construire un chantier naval pour partir explorer d'autres eaux. Vous parviendrez peut-être à trouver l'île tant convoitée et à y fonder une nouvelle colonie.

Il se peut toutefois que l'île de vos rêves soit déjà peuplée, et que vous ayez à en déloger ses occupants par les armes. Ce sera l'occasion de vous frotter à l'aspect militaire du jeu, qui risque de surprendre certains joueurs et de laisser les autres sur le carreau. Car s'il reste assez proche, dans son fonctionnement, de celui du précédent Anno sur DS, le système de gestion des troupes a été suffisamment modifié pour se montrer moins convaincant. Désormais, chaque bâtiment militaire ne peut plus contenir qu'un nombre très limité de soldats (produits par votre caserne). Vos navires de guerre ne peuvent donc débarquer qu'un tout petit contingent dans les têtes de pont qui vous servent à lancer vos assauts. Si l'objectif était d'amoindrir l'importance de l'aspect militaire, c'est l'effet inverse qui se produit puisque ce système génère des prises d'îles longues et pénibles au cours desquelles les assaillants sont beaucoup trop désavantagés. D'autant que la fonction de demande automatique de l'opus précédent a disparu : c'est désormais à vous de déplacer vos soldats comme vous l'entendez, de bâtiment en bâtiment ; et dans le feu de l'action, c'est loin d'être simple (on rappelle que le jeu se déroule en temps réel), l'IA étant particulièrement réactive dès le premier mode de difficulté. Anno a beau rester dans ses fondements un city-builder pacifiste, on reste peu convaincu par ce système de gestion de troupes qui génère plus de complexité qu'il n'en élimine.

Par chance, les autres nouveautés introduites par Anno : Créez Votre Monde se montrent beaucoup plus satisfaisantes. Des "spécialistes", rencontrés au cours de vos pérégrinations marines, permettent à l'île à laquelle ils sont rattachés de bénéficier d'améliorations diverses et variées (exemple : une augmentation de la vitesse de déplacement des chariots). Deux nouvelles fonctionnalités font également leur apparition : le système d'avancement et le système de succès. Le premier est directement fonction du nombre d'habitants de votre île : à chaque pallier de population atteint, vous obtenez un nouveau titre (port, centre culturel, métropole...) et déverrouillez un progrès à choisir sur un arbre technologique. Ces technologies vous permettent d'améliorer différents aspects de votre civilisation et de déverrouiller des bâtiments spécifiques. Le système de succès permet quant à lui d'obtenir des récompenses liées à l'accomplissement de certaines performances. Ces récompenses prennent la forme de cartes marines qui augmentent la surface de jeu. Dénuées de tout brouillard de guerre, les nouvelles cartes sont en effet constituées de différentes zones à débloquer. Sachez enfin qu'outre vos potentiels rivaux contrôlés par l'IA, vous risquez aussi de rencontrer des pirates, susceptibles de vous attaquer si vous transportez un trésor (des cartes au trésor peuvent être achetées). Heureusement, si vous disposez d'un navire de guerre, vous pouvez désormais répliquer.

Arrivés à ce point, bon nombre d'entre vous attendent sans doute, avec méfiance et appréhension, de savoir ce qu'il en est de la jouabilité de cette version Wii. Soyez rassurés : si l'on pouvait craindre que le couple Wiimote/Nunchuk ne soit pas l'outil idéal pour un jeu de ce type, il s'avère au contraire qu'il remplit son rôle à la perfection, au moins aussi bien que le stylet ! Main gauche, le Nunchuk permet de gérer les déplacements sur la carte (scrolling avec le stick, zoom/dézoom avec les boutons C et Z) ; main droite, la Wiimote met deux boutons à contribution (A et B), l'un servant à ouvrir et fermer le menu radial et l'autre à valider les choix. Le résultat est un modèle d'ergonomie qui permet de s'acquitter très simplement de n'importe quelle action dans le jeu : on construit, on upgrade et on gère avec une facilité déconcertante, tout en gardant la possibilité d'accéder à un surcroît d'informations en utilisant des boutons supplémentaires. Les cartes étant représentées dans une 3D isométrique au rendu cartoon (claire à défaut d'être belle), on aurait pu regretter l'absence de rotation de la caméra, mais c'est somme toute inutile puisque la représentation passe en vue aérienne (avec schématisation colorée à l'appui) dès qu'il vous faut construire les voies d'accès. On ne peut donc que féliciter les développeurs pour avoir abouti à cette jouabilité remarquable, qui permet de profiter d'un jeu de gestion à la richesse inégalée sur Wii.