La constance dans l'effort. Sasha Darko est un acteur pluridisciplinaire de la scène jeu vidéo. Pluridisciplinaire car le bonhomme a de la suite dans les idées quand il n'écrit pas d'albums de musiques expérimentales édités par d'obscurs labels japonais ou russes. De son vrai nom, Alexander Kibanov, est un vrai fan de DIY (« Do it Yourself », faîtes le vous même). Il suffit de poser ses oreilles sur ses productions dark ambient ou indus pour s'en rendre compte. Avec The Last Dogma, disponible sur Steam, le développeur tente le pari reboot, et « next gen », de son Sacred Line. Son jeu d'horreur aussi porté sur Megadrive sous le nom de Sacred Line Genesis au début de l'année 2015.
1999, c'est l'année choisie pour entamer cette aventure presque psychédélique dans un monde polarisé par la réalité et le fantastique. Pourquoi 1999 ? Darko confie que cette année revêtait une symbolique particulière. Le nouveau millénaire a souvent été perçu à travers les âges comme une période de grands changements, les fanas d'ésotérisme en tout genre le savent. Bug de l'an 2000, Nostradamus stories, sectes millénaristes apocalyptiques, tous se sont appropriés cette période « espérée » charnière comme un révélateur d'un grand changement. Même Paco Rabanne avait eu le nez fin. Pour un parfumeur, il faut être dans l'air du temps.
The Last Dogma débute donc comme une sorte de jeu d'enquête policière, après un petit tuto tout en délicatesse où l'ambiance d'un The Stanley Parable résonne dans le cube choisi pour expliquer les maniements de votre personnage. Ici c'est Sebastian Arise que le joueur incarne, cet agent de l'ATF le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives américain. Presque l'impression d'être dans Sons of Anarchy. Sauf que cette impression ne va pas durer très longtemps, puisque le premier village traversé n'a rien d'un petit havre de paix ou quelques rednecks s'amusent à cramer de la viande sur des braises tout en sifflant quelques bibines sur de la musique venue tout droit du bayou. Non, Sebastian qui partait à la chasse aux dealers d'armes tombe sur une secte de cannibales chrétiens, tout ce qu'il y a de plus recommandable, surtout une fois repus.
Exploration, Aventure, Horreur
L'aire de jeu dans laquelle l'agent de l'ATF évolue est assez large pour commencer son investigation. En lieu et place d'amorce, le jeu sème de petites images en 2D comme des phases introductives très typées Comics avec cette sensation qu'à un moment ou un autre, on risque de se prendre une rafale de chevrotine d'un Deadly Premonition sur le retour. Jeu à la première personne, The Last Dogma joue les ambidextres. Entre le shooter timide, le jeu d'aventure azimuté et le jeu d'enquête aux dialogues psychopathes, les joueurs auront souvent l'impression de se demander ce qu'il se passe vraiment dans le soft de Darko. Comme si la trame principale servait des intentions cachées.
Minimaliste au possible, le décor en 3D n'impressionne guère, même si le moteur Unity montre encore que des équipes réduites peuvent véritablement réaliser des univers cohérents pour leurs jeux. Ce n'est d'ailleurs pas le but de ce jeu indépendant. La dialectique est ailleurs. Ailleurs, un peu comme quand d'un seul coup, dans ses virages et ses zigzags, le jeu arrive à faire basculer son canevas scénaristique dans des volutes inespérées (cf notre Gaming Live plus bas). Il y a cette volonté farouche de Darko de provoquer, on le sent, comme si son imagination était un puits sans fond et que c'était au joueur de le sonder. Cette démesure dans la proposition a tout du patchwork sans queue ni tête se dit-on. Darko vous fait remonter le temps (physiquement), possédé par un démon du nom de Goody Goody (sainte ni touche en français). L'expérience pourra paraître éprouvante tant elle a tout d'un délire lysergique.
C'est d'ailleurs un reproche que beaucoup pourront faire au jeu. The Last Dogma ressemble plus à une longue chaîne séquentielle où le joueur a l'impression de jouer à des bouts de prototypes jamais complètement finis. Pourtant, dans son assemblage de tissus virtuels, le jeu de Darko a aussi le ton caustique. Sauver le monde, n'est finalement qu'un but annexe, comme une solution toute trouvée pour l'exercice de style. Sauver le monde, c'est franchement cul-cul. Call of Duty c'est pan-pan. Et Portal c'est money money. Darko joue le trouble fête, pour finir son jeu comme il l'a commencé : de manière chaotique. L'industrie du jeu vidéo est « morte », vive le jeu vidéo. A la manière d'un punk qui refuserait d'en être un, Darko joue à l'indésirable. Celui pour lequel on peut éprouver de la sympathie au final. Plusieurs fins alternatives viennent ponctuer l'expérience d'une surcouche intrigante. The Last Dogma est-il un jeu ? À vous de voir. Vaut-il l'achat ? Oui, si vous êtes le plus curieux des joueurs qui soit.
Points forts
- WTF au possible...
- Noir et macabre...
- La démarche louable...
- Drôle et ambiguë...
- Un jeu indé qui crache dans la soupe 8bits
Points faibles
- Mais très décousu
- Mais très loin des perles du JV du genre
- Mais incompréhensible pour certains
- Mais pas assez long
- Mais 6.99$ ça fait cher la destruction de pixels
Spécial. The Last Dogma a tout du nanar. Atypique, son ressort il le trouve dès qu'il déconstruit le mythe du jeu vidéo pour jouer sur son cadavre, le sourire aux lèvres. Narcissique, assumé, The Last Dogma est un feu d'artifices dans la galerie des jeux qui veulent absolument pasticher le système et la scène. Enfin le pastiche a tout de même ses limites, 6.99$. La liberté a aussi un prix apparemment, mais dans l'optique de Darko : cracher dans la soupe n'a rien de vulgaire. Surtout lorsqu'après l'avoir fait, il observe le regard des gens médusés, lorsqu'il porte son bol à ses lèvres. Un moment de tendresse absolue, à réserver aux plus aguerris. Les autres passeront leur chemin.