
Fort de son assurance et de son succès retentissant avec It Takes Two, Josef Fares revient avec Split Fiction, un titre coopératif qui entend bien redéfinir les codes du genre. Le créateur, jamais avare en déclarations fracassantes, promet une expérience unique, remplie de moments inédits dans l'histoire du jeu vidéo. Split Fiction tient-il ses promesses ?
« Il y a des choses dans ce jeu, en particulier dans la fin, que vous n'avez jamais vus dans un jeu vidéo. Voilà à quel point je suis sûr de moi ». Avant qu’on ne se lance dans Split Fiction, son créateur Josef Fares avait insisté sur la singularité de sa dernière œuvre, destinée à repousser une fois de plus les frontières du genre coopératif. Si son assurance peut être perçue comme de l'arrogance, elle ne s'est jamais révélée infondée. Déjà en 2021, le directeur avait lancé un défi audacieux, promettant de sa propre poche 100 dollars à quiconque oserait prétendre s'ennuyer devant It Takes Two. Au lieu de cela, il a récolté les fruits d'un succès colossal, avec 20 millions d'exemplaires vendus et le titre de GOTY aux Game Awards, tout en nourrissant l'ambition d'un nouveau projet qui confirmerait la suprématie du studio Hazelight dans la création d'expériences narratives. Et une fois encore, force est de constater qu'il ne s'est pas fourvoyé : il y a bien des choses dans Split Fiction que vous n’avez jamais vu dans un jeu vidéo.
Quand le gameplay sublime le récit
Split Fiction, nouvelle pierre angulaire du « couch gaming », s'inscrit dans la lignée des expériences collaboratives initiées par It Takes Two. À travers un écran splitée, dont la fusion ponctuelle autorise de somptueux panoramas qui témoignent d’une direction artistique une fois encore éclatante, un tandem de joueurs doit orchestrer ses actions afin de mener à bien une mission commune. Celle dévolue à Split Fiction met en scène Mio et Zoé, deux romancières aux tempéraments diamétralement opposés, aspirant à concrétiser leur première opportunité éditoriale auprès d'une maison dirigée par un directeur au charisme défaillant, dont l'unique dessein consiste réellement à s'approprier leurs idées créatives en les extrayant littéralement de leur esprit, le connectant à de menaçantes machines de simulation. Réunies par un malheureux destin et une technologie capricieuse, les protagonistes sont toutes deux projetées dans leurs univers oniriques respectifs, l'une vouant un culte à la fantasy, l'autre à la science-fiction, augurant une dualité qui enrichit d'ores et déjà la substance du jeu. Ensemble, elles tentent de mettre fin aux objectifs pécuniaires d’une entreprise dénuée d’éthique tout en résolvant des problématiques personnelles.

Cette nouvelle itération d'Hazelight se distingue par la présence d'un remarquable doublage français dès sa sortie, facilitant ainsi l'appréhension de l'œuvre pour les moins polyglottes. Dommage, tout de même, que les voix de Zoé et Mio s'avèrent parfois indistinctes.
L'intrigue, bien que suffisamment engageante et pouvant faire écho à nos problématiques sociétales actuelles avec l'intelligence artificielle, se révèle somme toute convenue, et se devine jusque dans sa conclusion, servant principalement l'ambitieux défi de permettre aux joueurs de communiquer en toute liberté sans s'embarrasser de surcouches de dialogues, tout en assurant leur bonne compréhension du récit. Le jeu embrasse une thématique universelle traitée de façon très classique : l'amitié. « Ce jeu parle d'amitié. Il y a toujours un mot qui est lié aux jeux et qui nous suit dans notre conception, dans notre façon d'écrire l'histoire et dans notre façon de travailler ensemble. C'est ce qu'on essaie d'intégrer comme élément central pour tout le jeu », nous expliquait Josef Fares. Tandis que les cinématiques suspendent momentanément l'action pour déployer la trame narrative de Split Fiction, les phases de gameplay se muent en de trépidantes attractions à sensations fortes, illustrant avec éloquence l'obsession de Josef Fares qu’il nourrit avec ce projet : éblouir le spectateur en exhibant l'expertise de son équipe en matière de conception de niveaux et de mise en scène complétement folle.

Un spectacle ludique pour une montagne d’activités
En regard d'un It Takes Two un poil plus empreint de sensibilité, d'une âme profondément pixarienne et de personnages terriblement charmants, le plus sérieux Split Fiction peut légitimement être perçu comme une vitrine plus académique des prouesses d'Hazelight, dédiée à l'exploration exhaustive des potentialités les plus débridées du game design, pour les déverser en cataractes sur le joueur dans une quête incessante de l'émerveillement. Pourtant, son caractère exceptionnel demeure incontestable. Au cours des chapitres inauguraux, Mio et Zoé ne font vraiment que très peu de rencontres marquantes, mais évoluent au sein de paysages impressionnants, imprégnés des univers de Dune et Blade Runner, avant d'être catapultées dans des bourgades fantastiques peuplées de trolls enragés, prompts à les réduire en miettes au moindre faux pas.
Oui ! La fonctionnalité de Hazelight qui permet à un joueur qui possède le jeu d'inviter un ami à jouer gratuitement est de retour et disposera même d’options de cross-play activées pour PlayStation, Xbox et PC (via Steam).
Des courses en chute libre sur le sable, des vols à dos de dragon, des séquences de fuite à moto et des énigmes défiant les lois de la gravité s'enchaînent dans une spirale vertigineuse de divertissement constant. Dans l'un des mondes de Zoé, nous avons découvert la faculté de métamorphose à volonté, adoptant des formes animales aussi variées qu'un primate agile, un poisson véloce ou un lutin, afin de surmonter des obstacles complexes. On ne peut également omettre la montagne d'hommages à d'autres univers vidéoludiques : Mega Man, Donkey Kong et leurs homologues semblent servir de substrat à des niveaux oscillant entre 3D et 2,5D, jouant avec les perspectives et les changements de cadre avec une intelligence époustouflante. Échapper à la transformation d'un soleil en supernova, défier un singe dans un concours de danse, et combattre un chaton maléfique constituent un grain de sable dans la pléthore d’activités qui vous attendent. Notre favorite réside dans le sixième chapitre, lequel nous transforme en petites boules de flipper que l’on doit propulser à toute berzingue dans les rampes et couloirs de la machine. Les actions de nos héroïnes se complètent avec une synergie parfaite, exigeant une coordination sans faille. Lorsque l'une pilote un véhicule, l'autre en profite pour cribler l'adversaire de projectiles. Lorsque l'une se voit dotée d'un fouet laser, l'autre hérite d'un katana affûté. Lorsque l'une succombe, l'autre doit l'attendre pour progresser dans un niveau qui exploitera toujours les talents de chacune de manière équilibrée, rendant l'expérience pleinement gratifiante pour tout le monde.

Rythme effréné et inventivité : un It Takes Two survitaminé
Dans son essence, Split Fiction ressemble à bien des niveaux à It Takes Two, reprenant une structure de jeu axée sur les plateformes et la résolution d'énigmes. Mais il apparaît très vite que la nouvelle entrée du studio Hazelight est une forme ultra-boostée de son prédécesseur. L'intensité y est décuplée, qu'il s'agisse de l'action, du rythme ou de la difficulté. Si It Takes Two exigeait déjà une certaine dextérité en matière de réflexes et de maniement de la caméra, excluant de facto un public trop novice, cette nouvelle œuvre se révèle d'une exigence bien plus redoutable, nécessitant un partenaire de jeu aguerri, dont la complicité est suffisamment solide pour résister aux épreuves et à la durée de vie conséquente du jeu. La pléthore de boss coriaces mettra vos talents à rude épreuve, de même que l'action frénétique qui requiert des réflexes d'une précision chirurgicale. Le jeu ne se montre toutefois pas excessivement punitif, et vous aurez la latitude de reprendre la partie aux nombreux checkpoints disséminés dans l'aventure, à chaque trépas. La fonctionnalité permettant de passer au point de contrôle suivant offre aussi la possibilité de contourner le segment en cours. Elle est accessible depuis l'onglet Accessibilité du menu Options.

La force de Split Fiction réside finalement en deux axes : sa capacité à vous surprendre jusqu’à sa conclusion et son absence de boucle de gameplay, un concept qui n’est pas familier à Fares : « Cela n'existe pas. Il n'y a pas de boucle de gameplay parce que je crois que dans nos jeux, le rythme est important. Le rythme comprend la façon dont la mécanique change tout le temps. C'est pourquoi nous avons toujours de nouveaux mécanismes. Cela dit, c'est aussi l'un des défis les plus difficiles à relever, parce qu'il y a tellement de mécanismes différents ». Chaque chapitre - huit en tout - pourrait faire office de jeu à part entière, introduisant un nouvel univers et une myriade d’idées, vous laissant peut-être parfois même un peu épuisé à la fin de sessions au rythme follement effréné, vous coupant toute possibilité d’ennui. Une heure consacrée à Split Fiction donnera l'illusion d'avoir vécu mille aventures. L'expérience complète s'étend sur une vingtaine d'heures, une durée de vie substantielle, modulable en fonction du temps accordé aux douze “histoires annexes”, des à-côtés que vous ne voudrez probablement pas manquer car si elles sont bien anecdotiques pour le déroulé de l’histoire principale, elle n'en demeurent pas moins des vignettes ludiques d'une inventivité remarquable, qu'il serait regrettable de négliger. Et grâce à l'option de sélection de chapitres, il est facile d'accéder aux digressions narratives manquées. Comment, par exemple, omettre la séquence où nos protagonistes, métamorphosés en porcs lubriques, puis en saucisses grillées, sont finalement nappés d'une succulente combinaison de ketchup et de mayonnaise ? Non vraiment, vous ne voulez pas manquer ça.
Conclusion
Points forts
- Du grand spectacle grâce à un gameplay innovant et varié, sans boucle répétitive
- Direction artistique éclatante dans des niveaux ingénieux
- Expérience coopérative très bien équilibrée et gratifiante pour chacun
- Un rythme effréné rendant l'ennui impossible
- Une durée de vie très solide pour le genre (vingtaine d'heures en tout)
- Des activités annexes qui ont du sens
- Présence d'un pass ami avec l'option cross-play
Points faibles
- Une intrigue un poil trop classique et prévisible
- Voix des personnages parfois indistinctes
- On aurait aimé plus de personnages secondaires marquants
Note de la rédaction
Split Fiction s'impose comme une expérience coopérative exceptionnelle, fidèle à la promesse d’un créateur qui n’a jamais manqué de confiance dans son projet, à raison. Si l'intrigue demeure relativement classique, elle n’est réellement là que pour servir un gameplay qui se révèle d'une inventivité et d'une intensité remarquables. Hazelight parvient à renouveler sans cesse l'expérience, offrant une multitude de situations aux idées folles et de séquences mémorables. Le jeu brille par son rythme effréné, son absence de boucle de gameplay et sa capacité à surprendre le joueur jusqu'à la fin. Split Fiction constitue un véritable tour de force technique et artistique, où la direction artistique éclatante et la conception des niveaux ingénieuse se conjuguent pour offrir un très grand spectacle ludique et immersif.