La bouche cousue et les yeux globuleux tournés vers l’horizon, Abe revient en 2021 avec l’envie de réécrire l’histoire. Celle de son exode pour être plus précis, mené à une époque où les consoles n’avaient que 32 ou 64 bits. Grâce à la technologie d’aujourd’hui et aux nombreuses évolutions dans notre manière de jouer, Lorne Lanning propose une nouvelle vision de son œuvre culte. Oui, Oddworld : Soulstorm a pour ambition de réimaginer, mais est-ce qu’il parvient à vendre du rêve ? Dans cet étrange univers dominé par les Glukkons, tout se paie.
Quand on est Mudokon, c’est pour la vie
L’histoire d’Oddworld : Soulstorm se déroule directement après celle de New 'n' Tasty !, le remake sorti en 2014 de l’Odyssée d'Abe. Abe et ses compagnons Mudokons ont brûlé RuptureFarms et continuent de fuir – littéralement – l’oppression des Glukkons. En abordant le sujet des grosses corporations qui font leur richesse sur le dos de leurs pauvres employés, Oddworld a toujours eu un message politique. Cet épisode n’est pas un simple remake mais une véritable réinterprétation du titre d’origine. Le scénario comme les lieux visités restent proches, mais de multiples bouleversements interviennent aussi bien sur la trame narrative que dans les endroits à explorer. Il est ce que le Resident Evil 3 (2020) de 2020 est au Resident Evil 3 : Nemesis de 1999, sauf qu’ici il ajoute du contenu plutôt que d’en retirer, et que le genre reste le même. Soulstorm est un platformer, aussi particulier soit-il, maintenant en 2,5D. À l’instar de son modèle d’origine, il demande de courir, sauter, rouler, d’éviter des pièges, de posséder des adversaires et de s’infiltrer dans des endroits inquiétants remplis d’ennemis surarmés. Les tableaux mettent parfois l'emphase sur la plate-forme, parfois sur la réflexion, parfois sur l’action, mais toujours sur la dextérité. La frustration des morts à répétition est allégée par la présence de nombreux checkpoints. Cela ne signifie pas que l’aventure est facile : la dernière partie de l’histoire multiplie les scies circulaires, les marteaux pilons, les lance-flammes, et les robots de garde plus que de raison. De manière générale, la difficulté est bien gérée malgré deux pics inouïs face au boss “Slig Mamma” et lors de la rencontre finale du chapitre 15. Nous imaginons qu'un patch viendra à l'avenir rééquilibrer tout ça.
L’exode d’Abe profite de l’année 2021 pour revoir l’accessibilité de ses chemins. Le protagoniste dispose tout d’abord de contrôles plus réactifs, même si tout n’est pas corrigé à ce niveau notamment au niveau des roulades ou de la méditation/possession. Ensuite, il est capable d’éteindre des flammes (à coups de bouteilles d’eau puis d’extincteur) mais aussi de s’éclairer dans la nuit (via des bâtons lumineux ou une lampe torche). Ces objets sont à équiper par l’intermédiaire d’une roue de sélection bien actuelle, parmi d’autres items qui peuvent être fabriqués. Car oui, Soulstorm met en place un menu de crafting accessible à tout moment. De la simple mine à la grenade fumigène capable de le rendre indétectable, Abe peut désormais fabriquer différents objets loin d’être anecdotiques pour affronter les dangers d’Oddworld. Ils donnent non seulement un petit peu plus de solutions offensives au Mudokon, mais surtout, ils offrent au joueur un éventail de possibilités afin de mieux affronter une situation. Ce gain de profondeur est appréciable, malheureusement divers bugs empêchent de profiter totalement de cette proposition, à l’image des fumigènes qu’il est impossible de placer sur une plate-forme en mouvement. Changer de niveau retire étrangement tout ce que l’on possède dans notre sac à dos : il faut donc penser à refaire le plein de ressources pour concevoir les armes précédemment acquises. Au rayon des nouveautés, nous notons l’ajout de zones de couverture destructibles et la mise en place d’une jauge d’alerte ennemie. Nous constatons aussi la disparition des personnalités des Mudokons, ainsi que l’absence des Paramites et autres Scrabs durant les 15 chapitres principaux.
Par rapport à son aventure vécue en 1998, Abe a développé sa condition physique. Désormais capable d’absorber quelques dégâts avant de passer de vie à trépas, le héros à la bouche cousue a surtout appris l’art du double saut, technique répandue dans les platformers d’aujourd’hui. Il sait également se balancer sur des barres parallèles, et ligoter les Sligs endormis afin de mieux leur faire les poches. Oddworld oblige, la furtivité est toujours mise en avant. Appuyer sur une des gâchettes allège les pas du Mudokon, un exercice bien utile lors des nombreuses séquences nécessitant de ne pas alerter les adversaires. Abe peut aussi se cacher dans des casiers, profiter d’un nuage de fumée pour passer inaperçu, ou encore assommer quelques Sligs à l’aide de projectiles. Le défi ici réside moins dans l’accomplissement d’un niveau que dans le sauvetage d’un maximum de Mudokons, sauvetage qui influe sur le Quarma... et donc sur la fin du jeu. Les congénères d’Abe sont effectivement cachés dans tous les recoins des niveaux, et les guider vers un portail magique sans qu’ils ne tombent dans un piège ou se fassent tuer par un ennemi n’est pas une sinécure. L’intelligence artificielle se révèle légèrement dépassée quand les Mudokons doivent se cacher dans des casiers, tandis que leur mauvais sens du timing les mène trop régulièrement vers une mort certaine. Certes, les bestioles ont de quoi donner un coup de main, puisqu’elles ont la faculté d’équiper les projectiles qu’Abe confectionne, mais le résultat est rarement satisfaisant. Être un bon samaritain nécessite un peu de micro-gestion et beaucoup de serrage de fesses, fesses qui par ailleurs ne permettent plus de lâcher des gaz bruyants. Le système d’ordres, réduit à sa plus simple expression (suivre, rester, attaquer, rester passif), n’empêche pas les déconvenues.
L’échappée belle
Le périple est découpé en plusieurs niveaux, chacun disposant de zones secrètes à découvrir et autres aides cachées. Variés dans leurs ambiances, ils exposent des graphismes travaillés mis en valeur par une excellente direction artistique. La caméra qui suit l’action sur un rail imaginaire afin d’assurer le spectacle peine parfois à cadrer l’action comme elle le devrait, et surtout à montrer tous les dangers qui se situent au-dessus ou à côté du joueur. Le design des créatures continue de nous enchanter en 2021, et les animations sont très détaillées. La technique est néanmoins ternie par quelques textures qui manquent de détail ainsi que par la présence de saccades, particulièrement dans les derniers niveaux de l’aventure quand le jeu tente une distance d’affichage qui défie la raison. Malgré la diversité des situations rencontrées (passages dans l’obscurité, phatoline à mettre dans les générateurs, remède à concevoir, Slig volant à posséder pour faire le ménage, etc.), cet épisode d’Oddworld n’évite pas des passages qui font dans la redite. Des tronçons entiers pas forcément passionnants à jouer sont copiés et collés. Oui, les niveaux gigantesques auraient sûrement gagné en efficacité avec des passages raccourcis ostensiblement. Peut-être que les développeurs d’Oddworld Inhabitants ont jugé qu’il valait mieux remplir leur soft histoire d’atteindre la vingtaine d’heures de jeu plutôt que d’effectuer des coupes à même d'améliorer le rythme. Les retours haptiques de la DualSense se font quant à eux très discrets. Soulstorm n’est pas le jeu qui démontre l’intérêt des nouvelles fonctionnalités de la manette PlayStation 5.
Dans son ensemble, Soulstorm jouit d’une bonne stratégie d’accessibilité. Les éléments importants à crafter disposent de mises en situation pratiques pour comprendre immédiatement leur utilité, les onomatopées “ZZZ” indiquent qu’un ennemi dort dans les parages histoire de ne pas être surpris, et chaque interrupteur actionné déclenche une caméra qui montre son effet. Les tableaux ne sont pas des labyrinthes, il est donc aisé de savoir où aller pour progresser. Le souci du détail est là, contrairement à une finition qui est loin d’être exemplaire. Oui, le titre imaginé par Lorne Lanning est bien plus agréable à prendre en main aujourd’hui que l’Exode d’Abe de 1998, quand bien même les barres parallèles auraient des problèmes pour détecter le joueur. Mais le titre prend malgré tout un malin plaisir à nous faire mourir à cause de ses propres limites. Le chapitre 15 cristallise ce sentiment : l’imprécision de la jouabilité (pour monter/descendre d’une plate-forme) et le manque de réactivité des contrôles (après une dépossession, après avoir visé) mènent à une boucle infernale de défaites. Malgré sa main tendue vers les standards actuels, Oddworld : Soulstorm a encore des relents pas très agréables des années 1990.
Points forts
- De la plate-forme, des puzzles, de la réflexion, de l’action…
- Les gadgets apportent plus de profondeur au gameplay
- La gestion des sauts, plus agréable qu’auparavant
- Des niveaux longs aux ambiances visuelles variées
- Une superbe direction artistique
- Cinématiques magnifiques pour une histoire intéressante
Points faibles
- Manque de réactivité et de précision dans les contrôles
- Une caméra qui peine parfois à cadrer ce qui doit l’être
- Trop de redites dans les situations de jeu
- Une IA alliée qui a un peu de mal
- Présence de ralentissements et de bugs
- Pas de voix françaises, et quelques VO non sous-titrées
Plus facile à manier et doté d’aptitudes inédites, Abe s’est racheté une conduite avec cette nouvelle version de son exode. Le Mudokon revient en effet dans une aventure répondant aux standards actuels, bourrée de défis et de pièges sadiques à éviter d’une roulade bien placée. À l’image de la disparition des flatulences, notre célèbre pétomane ne lâche pas totalement les gaz, la faute à diverses imprécisions du côté de la maniabilité, de la caméra, mais aussi de l’intelligence artificielle. Soulstorm reste une aventure bien orchestrée aux qualités aussi grandes que la cupidité d’un Glukkon.