Dix ans après l’enquête mouvementée ayant mené l’agent du FBI Francis York Morgan dans la petite bourgade de Greenvale, l’univers à la fois déjanté et horrifique de Deadly Premonition revient à la vie sur les terres marécageuses de Louisiane à l’occasion d’une préquelle. De quoi retrouver les charmes mais aussi les vices d’un premier épisode qui a réussi à se forger une solide réputation malgré ses soucis techniques. À l’époque des suites toujours plus abouties, le titre de SWERY n’en fait une fois de plus qu’à sa tête. Gare à la migraine...
Une catastrophe technique, monsieur Morgan
Il y a des destins étranges dont les succès ne pouvaient être prédits. C’est le cas du premier Deadly Premonition . Développé par Hidetaka Suehiro (SWERY), il est un exemple rare de jeu totalement cassé techniquement et bourré d’imprécisions dans son gameplay qui a réussi à devenir culte auprès de certains joueurs. La presse elle-même n’a pas su comment accueillir cet OVNI, livrant des critiques allant du 100/100 pour Destructoid au 20/100 pour IGN. Nous avions coupé la poire en deux. Avec tout le recul que nous avons aujourd’hui, nous pourrions affirmer que les bons retours de Deadly Premonition viendraient du fossé abyssal entre ses ambitions et ses moyens, lui conférant un capital sympathie énorme. Imaginez ce qu’aurait dû être Alan Wake , à savoir un open-world horrifique, produit par une petite équipe de développement. À l’aide de personnages frapadingues et d’une intrigue aux multiples rebondissements fortement inspirée de celle de Twin Peaks, il avait fini par atteindre ce statut de chef-d'œuvre incompris au fil de l’eau. Si nous insistons autant sur ces points dans notre préambule, c’est parce que Deadly Premonition 2 : A Blessing in Disguise tente de rejouer le même couplet.
Si la précédente épopée avait une grosse génération de retard techniquement, la version Xbox 360 ressemblant à un titre PlayStation 2, sa suite/préquelle accessible sur Switch paraît quant à elle tourner sur une Xbox Originale, voire une 360 en tout début de vie (lors des séquences en intérieur). La boucle est donc bouclée. Les textures sont peu détaillées, les temps de chargement sont très longs, les animations sont robotiques, les mouvements un rien complexes sont cachés par des fondus au noir, et le clipping nous rappelle la fabuleuse époque des années 1990. Vous pensez que nous dressons un constat noir digne d’une nuit sans lune ? Attendez de lire la suite. Deadly Premonition 2 est une catastrophe en matière de fluidité. Les nombreuses séquences en extérieur font chuter le framerate de manière violente. Le plus drôle, c'est qu'à l'instar du premier épisode, cette nouvelle création donne son maximum sur quelques détails graphiques comme les textures des boules de bowling ou les reflets dans les miroirs. Oui, les géniteurs nous perdent dans un monde à part aux frontières du réel troll. L’utilisation du cel-shading à la D4 (autre jeu d’Access Games) ne fait que mettre en exergue l’aspect haut en couleur des personnages rencontrés. Quand l’intrigue est mise en place par un sorcier vaudou adepte du maquillage calavera, cela prend finalement tout son sens. Et des figures à la fois étrange et déjantées, Deadly Premonition 2 en fait rencontrer une bonne poignée au sein de ses artères pourtant peu fréquentées.
Le jeu où le monde ouvert n’est pas très carré
La nouvelle aventure contée par SWERY et ses équipes fait office d’introduction mais aussi de conclusion à Deadly Premonition. Sans entrer dans les détails afin de ne rien divulgâcher, cette préquelle couvrant deux temporalités (2005 et 2019) nous demande d’enquêter sur une mort mystérieuse, celle de Lise Clarkson. Entre secrets familiaux, graines rouges et démons du passé, l’enquête rebondit à plusieurs reprises sans éviter des invraisemblances autres que celles strictement liées à l’aspect fantastique du jeu. Nous évoluons toujours dans une sorte de réinterprétation libre du monde de Twin Peaks, avec un agent de la métropole venu découvrir l'authenticité de la campagne. Comme dans l'œuvre de Lynch, nous y retrouvons des manchots, des fées, des personnages tantôt gigantesques, tantôt minuscules… et bien évidemment beaucoup de café. Les adjuvants comme les opposants nourrissent une fois de plus avec succès l’intérêt de l’enquête. Il est en effet difficile de résister au bon sens de la jeune Patricia, nouvelle acolyte de cet épisode, et de ne pas pouffer de rire devant les insultes gratuites de Chuck Thompson, dont les poils dans le nez qui dépassent rappellent les bayous qu’il arpente. Et comment rester de marbre face à David Jawara, à la fois chef cuisinier, concierge et groom qui change de personnalité comme de vêtements de travail, tel Kevin Wendell Crumb (Split) ? Les références cinématographiques sont une fois de plus nombreuses et York est toujours enclin à placer quelques noms bien connus pour disserter sur quelques œuvres pendant les trajets entre les points d’intérêt. Il est néanmoins regrettable de noter que les petites phrases venues casser la monotonie des enjambées se répètent trop régulièrement.
Rester à l’hôtel coûte de l’argent, réussir des quêtes en rapporte. Dans sa structure, Deadly Premonition 2 est un jeu en monde ouvert qui autorise la résolution d’objectifs (principaux et secondaires) dans l’ordre souhaité par le joueur, tant que ce dernier respecte des horaires, voire des jours, précis. S’il faut se rendre dans un commerce pour interroger son gérant, mieux vaut y aller pendant son ouverture, n’est-ce pas ? Piquer un petit somme ou faire une (longue) pause clope est parfois la meilleure solution pour tuer le temps entre deux interrogatoires. Dans cette épopée qui se déroule dans la ville de Le Carré 5 années avant le volet d’origine, c’est une sorte d’oracle qui donne des indices cryptiques à York, indices qu’il faut déchiffrer afin d’identifier les lieux à visiter sur la carte. Cela mène à des rencontres qui engendrent des quêtes, des QCM, des séquences de profilage ou encore d’action. Pas de quoi se creuser les méninges et faire preuve d’un sens de l’observation hors pair, puisque le jeu nous prend par la main en inscrivant de gros points d’interrogation sur les éléments à inspecter, nous remettant sur le bon chemin en cas de mauvaise réponse donnée lors des séquences de déduction. Du côté des missions proposées, le constat n’est pas plus enchanteur. En fait, les quêtes principales de Deadly Premonition 2 sont du niveau des quêtes Fedex des autres softs disponibles dans le commerce. Vous vous rappelez de la mission du premier épisode où il fallait trouver la bonne clé écureuil pour continuer ? Cette suite multiplie les moments où il est nécessaire de chercher des objets précis dans les rues de Le Carré pour satisfaire les PNJs. Nous avons connu plus passionnant.
Sauter par-dessus le requin… ou plutôt l'alligator
Si Deadly Premonition a bien atteint le statut de jeu culte auprès d’une frange de passionnés malgré ses innombrables approximations, nous aurions aimé que ce second épisode évite de reproduire les erreurs du passé. Une fois encore, le monde ouvert est trop ambitieux par rapport à la façon dont il est exécuté. Nous comprenons bien que l’aspect cassé ainsi que les mécaniques superficielles ont sûrement beaucoup participé au succès du soft d’origine, mais l’héritage est difficile à porter. Beaucoup d’éléments donnent l’impression d’être ici afin de respecter le cahier des charges du monde ouvert “sauce SWERY”, sans que cela n’apporte quelque chose de véritablement positif au gameplay ou à la construction de l’univers. C’est le cas de l’inventaire limité, des boutiques aux objets loin d’être indispensables, ou encore des affrontements insipides. Car oui, quand vient la nuit, la bourgade de Le Carré ne tourne plus vraiment rond. Des monstres spectraux envahissent les rues et s’en prennent à notre héros. Un système de lock à la Panzer Dragoon est disponible si la jauge de concentration est suffisante. Malheureusement, les scènes de gunfight sont aussi agaçantes que celles du premier épisode. Déjà parce que les ennemis réapparaissent de façon illimitée en ville, ce qui passe rapidement l’envie de les affronter, ensuite parce qu’ils se jettent sans cesse sur la trajectoire du joueur, transformant ces passages nocturnes en rush jusqu’à un point d’intérêt. En intérieur, les affrontements prévus par le scénario se résument à éliminer des adversaires pour déverrouiller des portes et continuer d’avancer jusqu’à des boss extrêmement faciles à annihiler. Bien que le bestiaire soit plus varié que celui de Greenvale, cela ne rend pas les combats intéressants. Le fait de ne pas pouvoir viser en s’aidant du gyro de la Switch reste fâcheux. Avec sa jauge de faim qui baisse au fil des minutes, Deadly Premonition 2 est un véritable jeu de survie qui demande de gérer ses points de sauvegarde mais aussi l'état général de York (fatigue, santé, propreté). Cependant, l’abondance de munitions, de kits de soin et de dollars à collecter rend le défi aisément surmontable. À titre informatif, nous avons terminé le jeu en possession de plus de 50 boites de balles, une centaine de kits de soin et 3 800 dollars en poche.
Bien que l’aspect totalement cassé du jeu fasse indubitablement partie de l'hommage rendu par sa suite, nous notons tout de même quelques améliorations, certes timides, par rapport à l’épopée vécue en 2010. La carte est plus claire, l’interface ressemble enfin à autre chose qu'un projet d'étudiants en mathématiques, et la jouabilité rencontre moins d'imperfections. Cet épisode abandonne également la voiture à piloter au profit d’un skateboard à maîtriser.. Pourquoi un skateboard ? Pour le style, bien sûr, et peut-être pour aider le jeu à charger les éléments sans devoir subir un véhicule motorisé fonçant à vive allure. Et même à la vitesse d’une planche à roulettes, le chargement tardif d’éléments graphiques saute aux yeux. Cette activité de glisse est comprise au sein d'un mini-jeu dédié, parmi d’autres épreuves comme celles de bowling, de ricochets, et de tir à la cible. De rares dialogues ne sont pas doublés, laissant un “bip” informatique se superposer au texte à l’écran. Nous avons connu mieux en 2020, mais les plus fanatiques verront en ce procédé un clin d’œil sympathique à l'épisode d'origine. Par contre, ils ne pardonneront sûrement pas les bugs encore présents obligeant à recharger d’anciens checkpoints pour progresser.
Le goût du café au poisson dans la bouche
Arrivés à ce paragraphe de notre test, vous devez sûrement penser que nous avons détesté notre séjour en Louisiane en compagnie de York et de toute sa clique d’hurluberlus. Nous ne pouvons pas laisser passer les multiples errances techniques, ni le gameplay d’une autre époque dont les évolutions sont trop vagues. Mais comme chacun le sait, Deadly Premonition a fait du jeu low cost sa marque de fabrique avec le soutien de nombreux aventuriers. Le premier épisode fourmillait d’idées, de séquences aussi drôles que dérangeantes, de personnages intrigants. Force est de constater que l’on retrouve ces qualités ici. À vrai dire, nous nous rendons rapidement compte que l’aire de jeux est en fait un prétexte pour mettre sur notre chemin des figures locales totalement siphonnées qui déroulent petit à petit une histoire fascinante. Bien que les passages en 2019 se perdent dans des dialogues beaucoup trop longs dans le but de s’assurer la compréhension du joueur/spectateur, le reste tient en haleine. Mieux, le dénouement est surprenant, émouvant, presque bouleversant. Une fois de plus, il y a une âme qui vit dans cet amas de lignes de code écrites par Toybox. Les fans de la première heure, seuls êtres capables de mettre de côté tous les problèmes rencontrés pendant le périple, seront à n’en point douter aux anges. Les autres regarderont ce nouvel OVNI de SWERY passer tel un projectile qui déchire les cieux avant de s’écraser. “Pour qu'un héritage soit réellement grand, il faut que la main du défunt ne se voie pas” écrivait René Char. Deadly Premonition 2 joue tellement dans la même cour que son grand frère que l’affiliation est indéniable. Quand bien même cela signifierait une expérience grandement fêlée, dans tous les sens du terme.
Deadly Premonition 2 : Un petit tour dans l’hôtel Casa Pineapple (gameplay)
Points forts
- Des personnages hauts en couleur, drôles, attachants
- Des rebondissements, et un dénouement intéressant
- De jolies musiques
Points faibles
- Un framerate qui donne la migraine
- Une technique (graphismes, animations, sons) d’un autre temps
- Un open-world vide pour des quêtes Fedex
- Des affrontements dépourvus d’intérêt
- Le gameplay enquête, trop effacé
- De longs temps de chargement
- Pas de fonction gyroscopique
Du haut de son intrigue aussi sinueuse que les méandres des bayous, Deadly Premonition 2 est sûrement le meilleur mauvais jeu de ces dernières années. À l'image de la jeune Lise Clarkson trouvée au début de l’histoire découpée dans un bloc de glace, le soft de SWERY est déjà un vestige du passé, dont les différents morceaux qui composent son aventure sont inégaux, meurtris, mais aussi profondément humains. David Lynch lui-même avait compris, en faisant revenir Twin Peaks 26 ans après le clap de fin, qu’il ne fallait surtout pas livrer la même tambouille au téléspectateur. Si Deadly Premonition apportait quelque chose de nouveau en 2010 malgré sa technique cassée, ce nouvel épisode se contente de refaire du Deadly Premonition. Avec ses réelles qualités, mais aussi, et surtout, ses gros vilains défauts. Du sentiment au ressentiment, il n’y a qu’un pas que nous ne franchissons pas : le fan averti trouvera sans doute des qualités à cette préquelle qui fait également office de conclusion touchante.