Xbox n’a pas vécu que des moments heureux sur cette 8ème génération de consoles. Après s’être tiré un obus dans le pied en 2013, avec les premières présentations de la Xbox One et un Don Mattrick peu doué dans le rôle de pompier de l’extrême, Xbox a dû faire le dos rond. Faire oublier les critiques. Tourner la page, en somme. Si l’on a régulièrement reproché, à juste titre, le manque de titres exclusifs à la Xbox One, les équipes de Phil Spencer ont multiplié les efforts pour redorer le blason de la marque au X vert. Au point, peut-être, d’avoir réussi à faire oublier ce rôle de vilain petit canard qui lui collait à la peau depuis plusieurs années, et ce parfois injustement.

Une stratégie « pro consommateur »

Pourtant, à en croire Hugues Ouvrard, le directeur de la branche française de Xbox, l’échec de 2013 ne pèse pas bien lourd dans les actuelles réflexions de Microsoft. L’affaire est déjà oublié. « On n’a rien à rattraper, corrige Ouvrard. On se pose jamais la question comme ça. 2013 c'est toi qui nous en parle, mais si tu veux, nous on regarde plus les années à venir que 2013 » Dans les faits, rappelle Ouvrard, les équipes qui sont en place aujourd’hui chez Xbox sont bien différentes de celles qui ont pensé et lancé la Xbox One partout à travers le monde. C’est vrai à la tête du siège social, où Satya Nadella a remplacé le très rugueux Steve Ballmer, comme chez Xbox, où Don Mattrick a laissé sa place à Phil Spencer. Même chose en France : Hugues Ouvrard a pris la tête de Xbox France peu de temps avant le lancement de la One, et l’équipe qu’il a assemblé autour de lui a peu de choses en commun avec la précédente.

Ces changements ont fini par se ressentir, en interne bien évidemment mais aussi et surtout en externe, au niveau du public. Xbox s’est imposé une mission : multiplier les offres pro-consommateur, afin de permettre aux joueurs de choisir la façon de jouer qui leur convient le mieux. D’abord en sortant la Xbox One S, puis la Xbox One X. Deux consoles aux capacités différentes, dédiées à des catégories de joueurs différentes. Puis en sortant la fameuse manette Elite, ou en lançant des programmes comme le Xbox Play Anywhere ou le Xbox Game Pass. Ce dernier a peut-être suscité l’incompréhension lors de son lancement mais il a aujourd’hui convaincu de nombreux joueurs, qui apprécient de pouvoir jouer, pour moins de 10€ par mois, aux derniers jeux Xbox One, comme récemment l’excellent Forza Horizon 4. Mieux encore, l’existence du Game Pass n’a pas nui au titre de Playground Games et Turn 10, puisque celui-ci s’est mieux vendu encore que son prédécesseur. Chaque joueur consomme comme il l’entend : les joueurs les plus investis vont probablement préférer acheter le titre, tandis que d’autres préféreront picorer et opteront pour l’abonnement façon Xbox.

On a une approche qui est différente, on a une approche qui est moins focalisée sur la guerre des consoles, mais plus sur "quel est l'avenir du gaming ?" Et si on considère l'avenir du gaming, comment on arrive à se positionner, pas seulement en termes de communication, mais en termes d'offre, comme l'offre la plus conforme aux attentes des consommateurs. - Hugues Ouvrard

Aujourd’hui, Xbox fait le pari d’expliquer sa démarche. Si les mots ne sont pas toujours les bons, l’intention est là. Et surtout, cela permet à Xbox d’occuper un rôle un peu à part dans l’industrie du jeu vidéo, une industrie qui « scénarise vachement les annonces », selon Ouvrard. « On a une approche un peu différente parce qu'on ne considère pas le gaming comme une succession de produits qu'on sort. On a une approche qui est "on va expliquer ce qu'on fait sur le cloud, on va expliquer pourquoi le cross platform, on pense que c'est important, on va expliquer pourquoi la rétrocompatibilité on pense que c'est important", etc. C'est très différent des autres acteurs du marché, qui sont encore dans un culte de la discrétion, pour ne pas dire du secret. »

De l’importance des fans

Si les ventes exactes de Xbox One ne sont pas connues avec certitude, on devine que la console de Microsoft s’est vendue deux fois moins que la PlayStation 4. Aujourd’hui, les joueurs Xbox sont avant tout des fans de la marque, ou plus simplement des gamers qui sont à l’aise dans l’écosystème de la marque. Si lors de notre échange, Ouvrard a utilisé plusieurs fois le mot « consommateur », c’est assez inhabituel chez lui. Il parle plus volontiers de « fans », de « gamers », un terme qui aujourd’hui désigne plutôt bien les quelques dizaines de millions de joueurs Xbox. Cette communauté, Xbox veut la choyer. C’est bien entendu un travail d’image, mais pas uniquement selon le directeur de Xbox France, qui explique que c’est aussi dans la nature des actuels cadres de Xbox. Ce qui n’était pas nécessairement le cas avant.

Si tu regardes, il y a cinq ans, tu avais Steve Ballmer et Don Mattrick, et aujourd'hui tu as Satya Nadella et Phil Spencer. C'est une génération de managers qui sont fondamentalement différents. Qui sont beaucoup plus humains, et qui sont beaucoup plus intéressés par la proximité et la connaissance du consommateur. - Hugues Ouvrard

« On a décidé que l'on devait mettre les fans au centre de notre communication, explique Ouvrard. Je pense qu'on a réalisé à un moment que... avec l'ancienne génération, on était assez éloigné des fans, en fait. Et que ça nous correspondait pas. Et là on est dans une logique qui nous correspond beaucoup plus.  Phil, c'est quelqu'un qui est plus au contact avec les gamers, moi aussi, à mon tout petit niveau en France. » Très actifs sur les réseaux sociaux, Spencer comme Ouvrard sont, à des échelles différentes, des personnages plutôt accessibles. Xbox veut parler à ses joueurs. C’est dans cette optique que la division a lancé, en mars dernier, ses Inside Xbox. Cette année marquera aussi le retour du X0, avec le X018. Cet événement organisé par Microsoft résonne chez les fans de Xbox puisque, dès 2001, il était synonymes d’annonces trépidantes. C’est au X02 que le très attendu Halo 2 avait été dévoilé pour la première fois. Au X05, Microsoft avait largement présenté sa Xbox 360. L’année suivante, il avait officialisé l’existence de Halo Wars et de Halo : Chronicles, projet annulé de jeu co-développé par Bungie et Wingnut Interactive, le studio monté par le réalisateur Peter Jackson. On avait également pu y découvrir le futur Bioshock, ou du gameplay d’Assassin's Creed. Par la suite, les X0 se sont tranformés en événements dédiés aux fans, Xbox préférant réserver ses annonces pour l’E3 ou la gamescom. Des événements qui subsistent encore aujourd’hui, sous la forme des Fan Fests. Un temps réservé aux fans américains, les Fan Fests se sont importés : cette année, la division allemande de Xbox a organisé le sien lors de la gamescom, tandis que leurs collègues italiens ont tenu le leur à l’occasion de la Milan Games Week, début octobre. La France s’y met également : un Fast Fest français se tiendra en parallèle de la Paris Games Week, le lundi 29 octobre. Pourtant, promet Ouvrard, nulle concertation entre les différents pays, ni même une consigne venue d’en haut : « On n'est pas stratège au point de se dire "Au mois de novembre on a prévu une grande main tendue aux fans, et donc tous les pays vont faire des Fan Fests", pas du tout. Ça fonctionne pas du tout comme ça. On a une autonomie, dans les pays, qui est totale pour ça. Jamais personne de Corp [ la maison-mère, à Redmond, NDLR ] m'a dit "Tu dois faire un Fan Fest", c'est même le contraire, on s'est dit "Faisons un Fan Fest" et on a appelé Corp en leur disant "Expliquez comment vous faites, ce qui est important, ce que vous avez appris." »

Le Fan Fest français est présenté par Hugues Ouvrard non seulement comme une initiative locale, mais aussi et avant tout un projet qui tenait à cœur aux équipes. Xbox n’en tirera aucun bénéfice direct : les 25 euros réclamés aux participants seront intégralement reversés à CapGame, une association qui œuvre à rendre les jeux vidéo plus accessibles aux personnes en situation de handicap. À l’inverse, l’événement coûte de l’argent à Xbox, qui doit financer l’organisation, la sécurité, la privatisation du bar dans lequel se déroulera la soirée, ou encore les nombreux cadeaux qui seront offerts aux gamers. « Bien sûr, c’est de l’image, concède Ouvrard. mais je pense pas qu'on ait besoin d'un Fan Fest pour faire une vraie différence d'image en France. En revanche, nous on avait envie de le faire. »

Aujourd’hui, pour beaucoup, Xbox est devenu un exemple de communication. Si la marque a connu quelques hics, elle paraît plus près que jamais de ses joueurs. Une façon de faire qui fait des envieux, notamment du côté des concurrents directs. Récemment, c’est Shawn Layden, le président du conseil d’administration de Sony Interactive Worldwide Studios, qui faisait savoir qu’à l’avenir, PlayStation intensifierait sa communication. « Nous allons trouver d’autres manières de porter notre message, de montrer les coulisses de notre activité, de partager nos projets chez PlayStation et SIE Worldwide Studio », disait alors Layden. Un exercice dans lequel PlayStation connaît un certain retard sur Xbox et Nintendo.

Le gaming plus grand que Xbox

En entamant notre discussion, nous avons demandé au directeur de Xbox France si les dernières décisions de Xbox, de la One X en passant par le Game Pass, jusqu’à la manette adaptative, servaient, en quelque sorte, à préparer l’avenir. À rebâtir un capital sympathie, avant l’arrivée de la prochaine génération de consoles. Ouvrard nie en bloc : aujourd’hui, le jeu vidéo compte plus que jamais au sein de Microsoft et dépasse le simple cadre des consoles Xbox.

Au lancement de la Xbox One, et même au lancement de la Xbox 360, notre horizon c'était "comment on peut être meilleur en parts de marché que Sony et Nintendo ?" Aujourd'hui on est plus du tout dans cet état d'esprit là. On est "Comment on prépare l'avenir du jeu vidéo ?" Y a deux milliards de joueurs sur cette planète, y en a 200 millions qui jouent sur console, y en a 400 millions qui jouent sur PC, y en a 1,3 milliard qui jouent sur mobile et tablette. Le marché, c'est pas les 200 millions de consoles. Pour une entreprise comme Microsoft, le marché c'est l'ensemble des gamers qui sont disponibles sur le globe. - Hugues Ouvrard

Avec le Play Anywhere, le Game Pass ou encore Xcloud, qui permettra prochainement de jouer en streaming à n’importe quel jeu Xbox sur un téléphone portable ou une tablette, Xbox vise plus grand. Plus que les plates-formes, ce sont les jeux qui comptent. Et les services qui permettent d’y accéder. Pour cela, Phil Spencer et ses troupes misent sur les technologies de demain, des secteurs dans lesquels ils ont déjà une sacrée expertise. Comme le cloud, qui aujourd’hui représente la majeure partie des bénéfices de Microsoft. Il se trouve que le jeu vidéo repose très largement sur cette technologie, aujourd’hui. Si l’on est encore loin de la démocratisation du cloud-gaming, les consoles actuelles utilisent au quotidien le cloud, ce qui fait bien les affaires de Microsoft, l’un des leaders mondiaux en la matière. C’est précisément pour cette raison qu’aujourd’hui, Phil, Spencer siège au conseil d’administration de Microsoft et ne répond plus qu’à Satya Nadella. Ce n’est pas simplement Xbox qui est devenu l’un des piliers de la firme de Redmond, mais le gaming dans son ensemble. « Il y a quelques années, quand on se parlait du business du gaming, on regardait Xbox principalement, puis les jeux Microsoft Studios qui pouvaient sortir sur PC, raconte Ouvrard. Aujourd'hui, l'univers du gaming, il est plus large, c'est aussi Minecraft, c'est aussi le cloud, c'est aussi des types de produits qui vont nourrir d'autres divisions de Microsoft. Le marché du gaming, c'est un très gros consommateur du cloud, l'un des plus gros consommateurs de cloud, en fait, en termes d'industrie, et c'est aussi stratégique pour Microsoft d'être puissant dans le gaming. On a dépassé les frontières de la console avec Minecraft, qu'on emmène sur les autres plates-formes consoles. On a dépassé les limites de la console, avec le Xbox Play Anywhere, en permettant à nos jeux en version digitale d'être jouables sur PC. On est vraiment dans une stratégie qui est centrale. Si je devais résumer en une phrase, il y a quelques années, ce qui était important chez Microsoft, c'était Xbox, quand on considérait le gaming. Aujourd'hui ce qui est important chez Microsoft, c'est le gaming. C'est une vision qui est beaucoup plus large. »

De quoi l'avenir sera-t-il fait, chez Xbox ? Difficile de le dire. Mais avec sa volonté d'offrir aux joueurs toujours plus de solutions pour s'adonner à leur loisir préféré, Microsoft pourrait bien poursuivre sur cette voie et multiplier, dans les mois et années à venir, les propositions étonnantes. Xcloud n'en est qu'un aperçu.