Par bien des aspects, les joueurs de jeux vidéo sont de curieuses créatures. Régulièrement, ils peuvent être sans pitié avec certains titres, en se montrant très exigeants face à ce qu'on leur propose. Ce qui est une bonne chose puisque cela tire l'industrie vers le haut : les éditeurs craignent leurs réactions et font absolument tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter le bad-buzz. Pourtant, par moments, ces mêmes joueurs s’oublient et c’est tout ce petit monde qui subitement se met à graviter autour de la dernière curiosité à la mode. Comme récemment, avec le sympathique PlayerUnknown's Battleground.
PlayerUnknown’s Battleground. Voilà un succès que l’on n’avait pas vu venir. Pourtant, depuis quelques mois, le jeu du studio Bluehole est au centre de toutes les conversations. Sur Steam, il truste les podiums, de telle sorte qu’il est en ce moment même l’un des jeux les plus joués sur la plate-forme de Valve. Lors de l’E3, c’est le géant Microsoft, qui lors de sa conférence Xbox, lui a réservé quelques minutes pour annoncer une version Xbox One X. Sur Twitch, n’en parlons même pas : PUBG est partout, et au moment où ces lignes sont écrites, il est le troisième jeu le plus diffusé, derrière les monstres sacrés que sont HearthStone et Dota 2. Un engouement que j’ai du mal à m’expliquer, mais qui est finalement à l’image du monde du jeu vidéo, ou en tout cas, de son public. Car c'est ce même public que l'on entend constamment demander de la nouveauté, des concepts originaux. Qui n'hésite pas à critiquer un gros éditeur, quand celui-ci met en vente un jeu encore buggé. Mais parfois, ce même public se montre beaucoup plus généreux. Deux poids, deux mesure, donc, ce qui pourrait à long terme avoir une vraie influence sur toute l'industrie du jeu vidéo.
Une originalité toute relative...
PlayerUnknown's Battleground jouit depuis plusieurs mois d'un succès colossal. Les joueurs le soutiennent massivement. Pourtant, le bébé de Bluehole ne fait pas vraiment dans l'originalité. Si l’on regarde de plus près, sur la forme tout du moins, il n’est pas vraiment différent d’un DayZ, d’un H1Z1, ou d’un Rust. On retrouve les bases de ces jeux de survie qui étaient si à la mode il y a encore quelques années : un environnement vaste et varié (villes, forêts, complexes industriels, etc), bien que convenu ; des armes et leurs munitions, qu’il faudra trouver et utiliser raisonnablement ; des kits de soin permettant de soigner les petits bobos ; et des équipements qu’il faudra là aussi dénicher, pour protéger le corps de son avatar.
Cette dimension « survie » est ici réduite à sa plus simple expression, puisqu'on ne trouve aucun zombie dans PUBG. Il n’est pas nécessaire de nourrir son avatar, de lui trouver de l’eau, de le prémunir du froid, etc. En somme, c'est un DayZ, en plus limité.
Quant au concept même de Battle Royale, PUBG n'est pas un précurseur, dans le monde du jeu vidéo. Minecraft lui-même a proposé un mode de jeu similaire ; récemment, c'est The Culling qui s'y est essayé, avec le succès (limité) que l'on connait. Finalement, et si l'on met de côté Minecraft qui attire un public particulier, PlayerUnknown's Battleground est peut-être le premier jeu à utiliser le roman de Kōshun Takami, de manière simple et efficace.
... mais un concept terriblement accrocheur
Alors certes, PUBG est sorti buggé, n'invente rien et propose un contenu finalement très limité. Mais la vérité c'est que ce qu'il fait, il le fait extrêmement bien. Le jeu repose sur un gameplay très accessible qui se comprend aussi vite clavier/souris en main, qu'en tant que spectateur. Certains jeux fonctionnent mieux que d'autres sur Twitch, et PlayerUnknown's Battleground fait clairement partie de cette catégorie de jeux qui captent facilement l'attention du spectateur. Le jeu est une usine à situations délirantes, parfois malgré lui, souvent grâce à ses mécanismes. Voilà comment il a acquis un tel succès sur Twitch, ce qui lui a permis de capter de nouveaux joueurs, tous impatients de relever le défi, mais aussi de vivre des moments aussi « wtf ». D'autant que le challenge est à la portée d'à peu près tout le monde. Si bien sûr les joueurs endurcis ont un net avantage sur les débutants, un débutant un peu futé peut tout à fait tirer son épingle du jeu en jouant les ninjas, fuyant les combats et restant caché ici et là. Un comportement couard qui peut conduire à la victoire. Le jeu entretient donc intelligemment l'idée que n'importe qui peut gagner. Il suffit d'un peu d'astuce, de talent, mais aussi d'une once de chance. La mécanique n'est pas très éloignée des machines à sous : on relance une partie en se disant « Cette fois, c'est la bonne ! ». À un détail près : la chance ne fait pas tout, le joueur n'en est que plus impliqué. C'est presque mathématique : dès lors que l'on a commencé à y jouer, on peine à s'arrêter. Mais comme le format des parties est en plus assez court, le jeu se prête bien aux courtes sessions, entre midi et deux, ou le soir, rapidement, avant d'aller se coucher. Le format parfait.
Rajoutons à cela que PUBG, avec sa formule toute simple, parvient à procurer aux joueurs des émotions très fortes. Plus les joueurs se font rares et plus la victoire semble proche... et plus le stress augmente. Un faux pas, une porte ouverte trop vite, une tête qui dépasse au mauvais moment, et c'est la fin de la partie. Impossible de ne pas ressentir cette montée en pression. C'est justement ces rushs d'adrénaline qui rendent PlayerUnknown's Battleground aussi addictif, aussi amusant. Et ça manifestement, PUBG est le seul à y parvenir, c'est là qu'il crée sa différence. Preuve qu'il suffit finalement de peu de choses.
Quel impact sur l'industrie ?
PlayerUnknown's Battleground est la preuve même qu'un jeu, malgré ses défauts, malgré son manque d'originalité, malgré sa faiblesse de contenu, peut tout à fait fonctionner, tant qu'il repose sur des idées de gameplay efficaces. Il faut parvenir à toucher le joueur, et peu nombreux sont les jeux à vraiment y parvenir. Pourtant les éditeurs et développeurs ne lésinent pas sur les moyens, au contraire. Plus de modes de jeu, plus de possibilité in-game, plus de missions, plus d'environnements... Il en faut toujours plus pour séduire le joueur, qui réclame et n'hésite pas à faire connaître son mécontentement lorsqu'il estime avoir été floué. Depuis des années, les éditeurs se font la guerre, à coups d'open-worlds toujours plus complexes, de fonctionnalités online toujours plus poussées... Et cela commence à devenir un problème puisque les coûts de développement se sont envolés, ces dix dernières années. À titre d'exemple, l'année dernière Tim Sweeney, le patron d'Epic Games, expliquait avoir vendu la licence Gears of War à Microsoft pour des raisons de sécurité financière. Selon lui, le développement d'un nouvel épisode (le futur Gears of War 4, donc), aurait coûté 100 millions de dollars au studio. Cette estimation, basée sur l'évolution du coups de développement entre le premier Gears of War et Gears of War 3, qui avait coûté 5 fois plus cher à produire que le premier épisode, avait bloqué tout nouveau projet. Selon Sweeney, si le jeu n'avait pas été un succès majeur, le studio aurait du mettre la clé sous la porte. Un risque qu'Epic ne pouvait pas prendre à l'époque. Sweeney a eu du nez, puisque Gears of War 4 a connu des ventes franchement médiocres.
Sauf que voilà : les développeurs et les grands éditeurs promettent toujours plus, les développements se compliquent, et malgré les investissements, malgré les programmeurs qui bossent 90h par semaine, les jeux sont rarement à la hauteur des exigences du public. C'est tout le modèle des jeux AAA qui commence à s'effriter. L'incroyable succès de PlayerUnknown's Battleground témoigne de ce changement qui se joue sous nos yeux.
Il faut que les joueurs aient conscience d'une chose : ce sont eux qui donnent le La. Qui dirigent l'industrie, indirectement, grâce à leur pouvoir d'achat, grâce aux réseaux sociaux. Ces joueurs peuvent descendre en flamme un jeu, comme lui faire connaître le plus grand des triomphes. Les éditeurs les écoutent, cherchent à comprendre leurs envies, leurs besoins. C'est pourquoi la majeure partie d'entre eux s'aligneront sur ce qu'ils pensent être les désirs des joueurs. L'afflux de contenus DLC payants? Pourquoi en faire moins, quand les ventes sont aussi bonnes ? Les fonctionnalités online de plus en plus présentes ? Lorsqu'il y en a pas, les joueurs estiment que le jeu pourrait être plus complet. Les micro-transactions ? GTA Online brasse des centaines de millions de dollars chaque année par ce biais. C'est parce que les joueurs le permettent que certaines pratiques survivent, et se développent.
PlayerUnknown's Battleground pourrait avoir un vrai impact sur toute l'industrie. Pas forcément sur le genre de jeux (même si les Battle Royale-like devraient bientôt pleuvoir), mais plutôt sur la politique éditoriale de certains éditeurs, qui pourraient être amenés à développer en masse des jeux plus simples, plus limités. Plus amusants ? Rien n'est moins sûr, sinon que l'on y perdrait forcément en richesse. Aussi divertissant soit PUGB, jamais je ne l'échangerai contre un The Witcher III, un Uncharted 4 ou un Zelda : Breath of the Wild. Et vous ?