Et si la gamescom disparaissait au profit d'un nouveau salon ? Jugé trop proche de l'E3 par les professionnels de l'industrie, le salon allemand peine à convaincre depuis deux ans. En 2015, PlayStation l'ignorait complètement, en zappant son habituelle conférence. Une démarche imitée cette année par Xbox. Rendez-vous compte : pour la première fois, aucun des trois constructeurs historiques n'est monté sur une scène, à Cologne. Depuis deux ans, PlayStation semble préférer se concentrer sur sa PlayStation Experience, qui se tient en fin d'année, tandis que Nintendo vit en autarcie et apporte régulièrement des informations aux fans via ses Nintendo Direct. La proximité temporelle des deux grands salons de l'année remet donc en question l'intérêt de la gamescom, qui pourrait bien se faire piquer sa place. Mais par qui ? Bien entendu, en bons chauvins, les Français seraient tentés de répondre « la Paris Games Week ! », d'autant qu'en 2015 et pour la première fois dans l'histoire du salon, Sony y tenait une conférence. Une bien belle conférence, d'ailleurs, et l'on était tenté de penser qu'à l'avenir, et pour ne pas laisser Sony occuper tout l'espace médiatique à cette période, les autres suivraient. La PGW, grande gagnante de la décrépitude de la gamescom ? Peut-être. Ou peut-être pas. Puisque dans l'ombre, un autre salon grandit petit à petit, et se donne les moyens de proposer quelque chose d'un peu différent.

Ce new challenger, c'est le Fun & Serious Festival, qui se tient depuis maintenant six ans à Bilbao, dans le Pays Basque espagnol.

La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf

Le Fun & Serious Festival s'apparente pour beaucoup à la Paris Games Week. Étalé sur quatre jours, il est avant tout un événement dédié aux joueurs, qui peuvent venir essayer les titres du moment, ou ceux à venir. Installé dans l'Euskalduna Palace, il compte notamment une Fun Zone dédiée à l'e-sport qui attire de nombreux visiteurs. En 2014, cette scène attirait quelque 17 000 visiteurs, selon les organisateurs. Ces derniers annoncent d'ailleurs avoir attiré plus de 20 000 visiteurs cette année, qui ont ainsi pu assister à différentes compétitions, mais également à des conférences tenues par des développeurs, sur différents sujets : réalité virtuelle, game design, nouvelles technologies...

En l'apparence, le Fun&Serious Festival est un petit événement gaming bien pensé mais au faible rayonnement. Il est d'ailleurs probable qu'aucun lecteur de jeuxvideo.com n'en ait entendu parler avant ce jour. Pour autant, le salon a des ambitions, et ne le cache absolument pas. Le communiqué de presse envoyé à l'issu du festival est sans équivoque : à l'en croire, le Fun & Serious Festival est « le plus grand festival dédié au jeu vidéo d'Europe » ; un discours que l'on retrouve sur le site officiel de l'événement, qui annonce que ce dernier a « fait de Bilbao de la capitale européenne du jeu vidéo ». Ce qui n'est pas tout à fait vrai : la Paris Games Week, qui s'étalait sur 80 000m² cette année, a accueilli 300 000 visiteurs selon les organisateurs. Si cette année la Fun & Serious Festival n'a pas fourni de chiffres officiels, on sait qu'en 2014, la fameuse Fun Zone occupait quelques 6000 m², au sein du même bâtiment, l'Euskalduna Conference Centre. Que ce soit en termes d'affluence, ou d'espace occupé, le Fun & Serious Festival n'est pas la plus grande convention d'Europe : la Paris Games Week, et a fortiori la gamescom, occupent assez confortablement les premières places et n'ont, de ce point de vue là, pas grand-chose à craindre pour le moment.

En revanche, le festival a d'autres cordes à son arc, et ce sont elles qui pourraient faire basculer la balance en sa faveur.

Le Festival de Cannes du jeu vidéo

Pour l'édition 2016, les organisateurs du Fun & Serious Festival ont annoncé avoir accrédité une centaine de journalistes du monde entier. Ce qui, pour un festival de cette taille, est plus que respectable. Jeuxvideo.com n'était pas le seul média français sur place, puisque nous avons pu y croiser l'un de nos confrères du journal Le Monde. La manœuvre n'est pas tout à fait innocente puisque si le festival veut gagner en visibilité, cela se fera d'abord grâce aux médias, qui braqueront les yeux du public sur l'événement. Mais encore faut-il qu'il y ait de la matière. Et c'est précisément là que le Fun & Serious Festival fait très fort : à la fermeture du salon, se tenait au sein du Musée Guggenheim les Titanium Awards, qui récompensaient les meilleurs jeux sortis cette année. Trois récompenses devaient également être remises à diverses personnalités de l'industrie, pour célébrer leur parcours. Ainsi, la ville basque a accueilli l'espace de quelques jours une concentration extraordinaire de développeurs. Et pas des moindres : parmi les plus noms les plus prestigieux, on comptait notamment Warren Spector (Deus Ex, System Shock), Yuji Naka (Sonic The Hedgehog), ou encore Harvey Smith (Deus Ex, Dishonored).

Les organisateurs ne s'y sont pas trompés, en aménageant des sessions d'interviews le lundi matin, quelques heures avant la cérémonie. Outre les trois personnes susmentionnées, il était également possible de discuter avec Jonathan Morrin (Watch Dogs), Sean Krankel (Oxenfree), ou encore Sébastien Mitton (Dishonored et Dishonored 2). Et alors que les invités pénétraient dans le Guggenheim Museum, on pouvait encore compter quelques têtes très connues, comme Ralph Fulton (Forza Horizon 3) ou Sir Ian Livingston, l'auteur des Défis Fantastiques, les fameux livres dont vous êtes le héros. Autant vous dire que pour n'importe quel journaliste, l'événement est particulièrement excitant : il est assez rare qu'autant de grands noms se concentrent au même endroit, et soient si facilement accessibles.

Ce qui donne au Fun & Serious Festival un aspect bien différent : il conjugue avec un certain équilibre démonstration de jeux pour le grand public, conférences pour les gamers plus impliqués, et une certaine forme de reconnaissance du jeu vidéo en tant que moyen d'expression artistique.

Le Festival face à la foire

Et c'est justement l'une des forces de cet événement bien différent de ceux que l'on connaît et qui font habituellement les gros titres de la presse spécialisée. Puisque si le Fun & Serious Festival est avant tout un événement populaire, il s'est bâti avec succès une certaine crédibilité auprès de ceux qui font les jeux vidéo, plus encore qu'auprès de ceux qui en parlent. Entité aux multiples visages, le Fun & Serious Festival est à l'image du jeu vidéo, qui est autant un divertissement populaire qu'une nouvelle forme d'art complexe et passionnante. En optant pour le terme « festival », les organisateurs rapprochent leur événement de noms aussi célèbres que prestigieux, comme ceux de Cannes, de Berlin, ou encore de Venise, dans le monde du cinéma. Là où la Paris Games Week et la gamescom évoquent plus facilement la foire, la convention, et renvoient le jeu vidéo à son statut (pourtant indéniable) de produit de consommation. Une démarche intéressante qui, on l'espère, en inspirera d'autres.