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News culture Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?
Profil de la_redaction,  Jeuxvideo.com
Rédaction Jeuxvideo.com

Ecrit par Edouard, gamer et voyageur invétéré, Joueurs du monde est une initiative visant à visiter un total de 12 pays afin d'y étudier les habitudes et difficultés rencontrées par les acteurs locaux du jeu vidéo. Voici le premier article centré sur le jeu en Thaïlande.

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?

Il savait bien que ces adultes étaient trop léthargiques, trop mesquins,

trop contusionnés, trop désespérés et navrés "au point que l'enveloppe de leur coeur est insensible, épaisse et dure comme la plante de pieds qui ont trop marché", et il semblait qu'il n'y avait que les enfants qui l'écoutaient avec attention. (Saneh Sangsuk, Une histoire vieille comme la pluie)

Pour bien commencer l'article, je dois vous mettre en condition. Il faut d'abord vous imaginer une villa sur une île du sud de la Thaïlande, où le soleil est plus que généreux. Cette villa c'est la vôtre. La plage est presque vide, et c'est comme ça toute l'année. Quelquefois, quelques Aphrodite et Apollon viennent y parfaire leur bronzage et se jeter en coin des sourires vitrifiés. Sur la table à manger, une douzaine de coquilles Saint-Jacques fraîchement pêchées ou un barracuda sauce coriandre vous attendent à toute heure. Si vous claquez des doigts, vous aurez droit à un massage devant le coucher de soleil ou à quelque chose de plus audacieux si l'envie vous en prend. Quand il fait bon en fin d'après-midi, vous pouvez vous lancer dans un petit tour en voilier. Le skipper est là pour ça. Depuis le bateau, si le cœur vous en dit, vous pouvez entreprendre une séance de plongée et vous regarderez passer les poissons-perroquets, qui embrassent le corail dans un bruit de riz soufflé. Il faudra picoler un peu pour rendre la journée plus douce, et pas question de boire de la piquette. Vous aurez droit à du champagne, de la bière belge, du single malt... Ça vous plaît ? Vous aimeriez y être ? Eh bien laissez-moi vous dire qu'il va vous falloir de l'argent pour ça, et sans doute une bonne brouette.

= Ça va aller, tonton Edouard est là pour vous =

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?
Au moins la bouffe est gratuite.

Mais ne soupirez pas, n'allez pas imaginer que je vous ai raconté tout ça pour vous démoraliser et vous rappeler à votre condition délicate. Non, non. Je suis là pour vous remettre en mémoire qu'il y a un secteur dans lequel il y a un gros paquet d'argent à se faire en ce moment, c'est celui des jeux dit « casu » pour mobiles. Mais pour réussir dans le domaine, il ne faut pas croire qu'il vous suffit de faire un bon jeu qui vous plaît. Surtout pas. Pour réussir dans le domaine, il va vous falloir trouver et acheter des « utilisateurs fidèles » au plus bas prix possible. Pour vous, j'ai fréquenté à Bangkok les séminaires marketing mobile, les réunions d'entreprise et conduit des entretiens, et à partir de ce que l'on m'a dit, j'ai tenté de retracer l'itinéraire à suivre pour faire de l'argent avec un jeu. Une simple mise en garde : le cynisme employé dans la suite de l'article, lorsqu'il est insultant pour les joueurs, ne sort pas de ma bouche, mais bien de celle des personnes avec qui j'ai pu discuter lors du dernier mois.

Pour vous, je me tape même des conférences marketing, horrible !

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?

= Un bon jeu ? Pourquoi faire ? =

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?
Pisal Setthawong, un type bien chez les requins.

Cette première étape est anecdotique, elle ne représente maintenant qu'une toute petite partie du travail à fournir. « Pour un jeu qui fait un carton, le développement représente à peine plus de 20% du temps de travail total » nous explique Thomas Andreasen, CGO chez Pocket PlayLab. Ne perdez pas votre temps à trouver un concept de jeu original, « il faut plutôt aller à la recherche de ce que les gens désirent, et c'est pour cela que l'étude du marché est fondamentale, elle permet de taper au bon endroit (to hit the right spot) et de générer des idées lucratives ». On favorisera donc la copie d'un jeu existant, ou du moins la refonte de mécaniques existantes. « Si l'on passe en revue tout les gros hits sur mobiles, on s'aperçoit que les titres qui marchent s'inspirent très grandement de jeux vieux comme le monde, pensez à Candy Crush Saga, Clash of Clans, Crossy Road » nous précise Pisal Setthawong, game designer chez PIGGGS. Ne soyez pas complexé, pillez joyeusement tout ce qui vous passe par la main. Il est par ailleurs plus malin d'utiliser pour le développement du jeu un moteur fiable et éprouvé, comme Unity par exemple. La compatibilité avec le parc Android sera sans doute meilleure que si vous développiez votre propre moteur et le portage vers d'autres appareils sera plus simple par la suite.

Le jeu sur mobiles, le meuble IKEA du jeu vidéo

Lorsque le jeu est à un stade de développement avancé, quand doit-on le publier ? Selon Thomas Andreasen, il faut publier le jeu « dès que l'on a quelque chose de jouable entre les mains et que la boutique en ligne est en place, au moins le publier en soft-launch, ça permet d'engranger très vite un maximum de retour sur le jeu ». Le soft-launch, en français lancement en douceur, est une technique qui permet de tester son produit auprès d'un marché restreint, pour avoir une idée de comment le marché global est susceptible de le recevoir. Pour un jeu vidéo par exemple, vous pouvez n'autoriser le téléchargement légal de votre jeu que sur une zone géographique définie, comme la France, ou sur une plate-forme particulière, avant de vous jeter dans le grand bain. La bien connue période de bêta-test peut être considérée comme un lancement en douceur. L’intérêt de publier vite, c'est donc de récupérer les retours des joueurs, et de modifier son jeu en conséquence à l'aide de patchs successifs. On s'épargne ainsi les mauvaises orientations et c'est finalement le public qui va monter le jeu pièce par pièce, sans notice explicative. C'est le marché lui-même qui donnera sa forme finale au jeu.

Où publier ?

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?
Evolution du parc mobile mondial jusqu'en 2013.

Lorsque vient le moment de la publication, vous avez le choix entre les principaux marchés en ligne, à savoir rendre votre jeu disponible sur Android, iPhone ou Windows Phone. Qui choisir dès lors ? Thomas Andreasen nous explique qu' « actuellement, il est intéressant de favoriser Google Play, tout simplement parce qu'il autorise une mise à jour de son application plus aisée et un panel d'utilisateurs plus large », et qu'il est donc plus immédiat de corriger les bugs et de converger vers les attentes des joueurs. « Android a aujourd'hui capturé plus de 80% des utilisateurs de smartphones » nous confie Chotirot Ouratthatrakul, « et la croissance actuelle se fait surtout dans les pays émergents, qui se tournent définitivement vers cet OS ». L'App Store de son côté est plus réticent à l'enchaînement des mises à jour et dispose de moins d'utilisateurs. Il faudra néanmoins définir quel est le profil de vos utilisateurs avant de se jeter sur Google Play, notamment parce que, pour le moment, les possesseurs d'iPhone sont en proportion de meilleurs consommateurs, plus fidèles en tout cas.

« Les utilisateurs détestent la publicité, mais ils détestent encore plus payer pour un jeu »

Votre jeu est sur un marché en ligne quelconque, il est blindé de publicités et d'achats intégrés, prêt à générer du cash. Le problème, c'est que dans ce cas, selon une source qui a préféré rester anonyme pour éviter les ennuis avec son employeur, « n'importe qui de sensé refuserait de jouer à ce genre de jeux, et surtout pas au nôtre : il est naze (lame) et il y en a des centaines de versions gratuites ». Mais il ne faut pas baisser les bras pour autant. Il s'agit maintenant d'en faire la promotion, peu importe sa qualité. Ronen Mense, vice-président de la branche asiatique d'Appsflyer, nous donne quelques astuces pour cela : « C'est normal d'acheter des utilisateurs (It's ok to buy users) » me dit-il comme s'il voulait se défendre d'une quelconque remarque que je n'ai même pas envie de lui faire tant il me désespère. Il continue son discours et je ne l'écoute plus trop : « Le marché est complètement saturé de nos jours, et il n'y a que ce chemin de possible pour faire son trou... ».

Effectivement, ça a l'air normal d'acheter ses utilisateurs

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?

Les astuces de Ronen

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?
Retry - La cross-promotion en image.

Tout d'abord, il faut bien viser ses utilisateurs, parce que cela permet d'investir un minimum d'argent en publicité tout en maximisant leur rétention, c'est-à-dire si oui ou non ils vont continuer à jouer à votre jeu. Pour cela, vous avez deux possibilités. Dans la première, qui n'est possible que si vous avez déjà quelques titres sur le marché, vous pouvez faire ce que l'on appelle de la « cross-promotion », c'est-à-dire de la publicité pour vos propres titres au sein de vos jeux. Rovio, par exemple, pratique beaucoup ce genre de promotion, et vous trouverez par exemple de la publicité pour Angry Birds au sein de Retry. La seconde façon, c'est le webmarketing classique, c'est-à-dire faire de la publicité sur Internet (seuls les gros studios comme King ou Supercell peuvent s'offrir de la publicité à la télé). Dans ce cas, nous indique Ronen Mense, « il vaut mieux viser les 25 plus gros réseaux pour diffuser son application (cf. la photo pour la liste des réseaux) ». Ces réseaux sont classés en fonction du volume d'utilisateurs et de l'efficacité de la rétention de ceux-ci, c'est-à-dire par l'efficacité de la sélection de leurs utilisateurs. En tête, Facebook, Google et Fiksu.

« Suivez les chiffres »

Le dernier conseil de Ronen, c'est de suivre l'activité de ses utilisateurs et d'utiliser un maximum d'indicateurs clés de « performance » (KPI : Key Performance Indicator), dont une meilleure traduction serait "indicateurs clés d'efficience". Pour bien comprendre la notion de KPI, il suffit de prendre un exemple simple. Vous êtes en train de jouer à votre jeu préféré sur mobile, Clash of Candy Rush, et là, après le troisième niveau, vous lâchez l'affaire, parce que le niveau est trop dur ou trop simple, qu'il est buggé, ou parce qu'il faut payer trop cher pour accéder au suivant. Lorsque vous arrêtez de jouer, un petit signal d'alarme est tiré à votre insu dans votre téléphone et prévient la personne qui a fait le jeu que vous venez d'arrêter, et qu'il va falloir qu'elle vous fasse revenir dans le droit chemin. Pour cela, elle va modifier le jeu lui-même afin qu'il vous convienne tout à fait. Elle peut par exemple régler plus subtilement la difficulté du jeu, ajuster ses tarifs, corriger ses bugs. Et ensuite, elle doit vous faire comprendre qu'il faut retourner au charbon, que le jeu vous attend. Pour cela on a inventé les notifications push (« 1.000 pièces d'or et quarante vies gratuites t'attendent ! Reviens nous donner de l'argent ! ») ou tout simplement l'envoi direct d'un message via le contact que vous avez renseigné en créant votre compte sur le jeu. Voilà donc un bon indicateur d'efficience du jeu, savoir quand vous arrêtez de jouer, mais il y en a des centaines d'autres et ils ne concernent bien sûr pas que vous, mais les millions, voire le milliard de joueurs que la planète comporte. Il faut donc traiter toutes ces données et, pour cela, vous devrez compter sur des sociétés comme Flurry (5,5 milliards de sessions d'utilisation d'applications par jour) ou Google Analytics. Avec tous ces outils, vous devriez pouvoir obtenir vos utilisateurs et les fidéliser comme il faut.

Les 25 plus gros réseaux de diffusion

Le jeu vidéo en Thaïlande : Comment bien acheter ses utilisateurs ?

Les plages paradisiaques, c'est mieux en photo

Ça fait deux jours seulement que je suis sur cette île et je m'ennuie déjà un peu. Les coquilles Saint-Jacques, les langoustes et le barracuda c'est bien sympa, mais un repas ne comble pas l'ennui d'une journée. Les Apollon et les Aphrodite ne parlent que de fric, de fête ou de Facebook. Les poissons-perroquets m'ont fait rire deux heures, mais ça reste de la poiscaille. Je ne vais pas rester longtemps sur cette maudite île.

Cet article est écrit et proposé par Edouard, voyageur moderne à l'origine de l'initiative "Joueurs du monde".

Joueurs du Monde
Commentaires
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Urleur Urleur
MP
Niveau 12
le 12 nov. 2015 à 17:45

Excellent article, pourquoi tous les autres ne sont pas dû même acabit ?

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