Ecrit par Edouard, gamer et voyageur invétéré, Joueurs du monde est une initiative visant à visiter un total de 12 pays afin d'y étudier les habitudes et difficultés rencontrées par les acteurs locaux du jeu vidéo. Voici le premier article centré sur le jeu en Thaïlande.
A young man looks ; like a dog ; Barking at plane
(Zakariya Amataya, Book of Hikus)
Il dort quand il a sommeil, mange quand il a faim et joue le reste du temps à un jeu brésilien où l'on incarne un flic, dont j'ai oublié le nom. Il a une sœur, qui n'est pas vraiment sa sœur mais qui lui donne de l'argent contre « des services particuliers, un peu de travail de temps en temps ». Quand il sort, c'est avec de jeunes bimbos aux jambes comme des fusées, des filles de magazines, vêtues serré et plastifiées. Il a 23 ou 24 ans, deux appartements dans Bangkok, et loue une voiture. Il est Malais, pas Thaïlandais. Voilà. On a squatté une semaine chez Alem, et c'est tout ce que l'on sait de lui. Alem parle peu, par monosyllabes, trouve toujours le moyen de ne répondre que par un seul mot. Pourtant, on n'est jamais mal à l'aise avec lui, il n'est ni bourru, ni renfrogné, reste toujours souriant et calme et apprécie d'un signe de tête un trait d'humour ou d'esprit de temps en temps. C'est juste qu'il ne parle pas, comme s'il avait compris quarante ans trop tôt que ça ne servait pas à grand-chose finalement. Tout de même, il reste un sujet qui le fait parler, et qui le rend même intarissable parfois.
Ma vie, Mon œuvre, Mon PC
La passion d'Alem, celle qui occupe ses journées, c'est le hardware PC. Dans ses rêves qu'il ne raconte bien sûr pas, j'imagine sans peine que tournent des processeurs overclockés, des barettes de RAM et des réservoirs pour le refroidissement liquide. En ce moment, Alem est en quête de puissance, et avec l'aide d'une équipe de professionnels qui travaillent chez HRC (High Resolution Computer) au Pantip Plaza, un gros mall réservé à l'électronique, il est en train de monter une machine titanesque, un PC à 22.000 $.
Une config raisonnable
Dans le boîtier monstrueux du PC d'Alem, construit sur mesure, il y a, fichés dans une carte mère Asus ROG Rampage V Extreme, un processeur Intel Core i7 5960X, trois cartes graphiques Asus GeForce GTX 980 placées en SLI grâce à un pont EVGA Pro (3 Way / 2 Way). Il y a aussi 2 barrettes de mémoire vive G.Skill série Ripjaws 4 (DDR4, 3000 MHz C15) de 16 GB (2 x 8 GB). Et en ce qui concerne la mémoire en dur, on retrouve 11 To d'espace de stockage répartis sur 4 disques durs. Côté son, une carte SoundBlaster ZxR. Et comme tout ça ça chauffe, surtout quand on veut overclocker son processeur et sa carte graphique, il faut rajouter sur le tout deux circuits de refroidissement liquide (pompes, isolateurs, blocs, ventilos, radiateurs...). Pour donner du jus à tout ça, une alim' Corsair PSU AX1500i de 1500 W comme son nom l'indique. Voilà pour la tour.
« Vous en voulez encore ? »
Avec un PC de ce genre, il faut savoir choisir les bons périphériques. Du coup, Alem a choisi de mettre en parallèle trois écrans Asus ROG SWIFT PG278Q 27'', l'équipement complet de la série Corsair Vengeance (souris M95, clavier K95, tapis de souris et casque) et des enceintes Microlab X15 5.1 Home Theater System (un peu décevant). Il faut ajouter à cela tout plein de petits accessoires, mais je vous serai gré de comprendre que de faire la liste de tout ce qui précède m'a déjà assez pris la tête. Bref, tout ça devrait suffire pour pouvoir profiter de la majorité des jeux disponibles dans le commerce en ce moment, à part peut-être PlanetSide 2, pour les raisons qu'on connaît.
Des prix trop élevés
Mais il y a un hic : les plus expérimentés et malins d'entre vous se disent certainement déjà que « 22.000 $ c'est quand même un peu cher, même pour une config' comme celle-là », et s'apprêtent sans doute à raconter leur vie dans les commentaires en parlant de leur config' de rêve et du prix qu'elle coûte en faisant des câlins à leur Razer. Certes, mais permettez-moi de vous arrêter en si bon chemin car les plus expérimentés et malins d'entre vous parmi ceux qui sont déjà allés en Thaïlande savent que trouver des composants de très haut vol là-bas n'est pas une partie de plaisir. Voilà pourquoi Alem doit débourser autant pour construire sa machine. En effet, un PC comme cela en France, on en aurait pour environ 8.000 € (un peu moins de 11.000 $ en septembre 2014, quand Alem a acheté les composants), peut-être 9.000 € (environ 12.000 $). Ça n'est pas toujours le cas dans les autres pays du globe. Il s'avère en effet que la majorité des composants ne sont pas produits en Thaïlande. Alem doit donc les commander sur Internet et se les faire livrer. Et se faire livrer, ça n'est pas forcément simple ici. Il évite par exemple de passer par les services postaux traditionnels dont la fiabilité peut être douteuse (la poste thaïlandaise m'a moi-même pénalisé à plusieurs reprises). Malheureusement, passer par un transporteur privé coûte beaucoup plus cher. Pour vous donner un ordre d'idées de désagrément, laissez-moi vous raconter une petite histoire sans intérêt : Alem a dû ajouter un caisson d'extension du boîtier du PC, parce qu'il y avait trop de ventilateurs et qu'ils ne pouvaient pas rentrer dans le boîtier original, fait sur mesure et pourtant déjà massif. Pour se faire livrer cette extension, fabriquée par CaseLabs aux Etats-Unis, il a dû payer autant en livraison que pour le produit lui-même.
Ad Valorem ?
Et ça n'est pas fini : il faut ajouter au prix de la livraison une taxe d'importation, qui est de 17% du prix en ce qui concerne ce genre de marchandises. Dernière chose, Alem se fait aider pour monter son PC, et la facture est assez salée. Le service est à la mesure de la facture, en plus du montage, les types de chez HRC effectuent un batterie de test sur leur propre banc de test et la décoration du boîtier. On arrive finalement assez vite à 22.000 $.
Le style avant tout
Alem veut un PC sobre, avec à la rigueur « une petite griffe à l'acrylique » et « quelques LED ». Il n'est pas « comme ces mecs qui mettent des strobos et des flashs partout, des colorants dans l'eau du système de refroidissement ou ce genre de trucs qui fait ressembler ton PC à un night-club ». Lui il veut du massif, du solide et du puissant. Si vous voulez voir des PC « night-club » à Bangkok, je vous conseille le Pantip Plaza, qui en est blindé.
Mon dernier article ?
Hier, je me suis posé en face d'Alem, et j'ai enchaîné les « try » avec The Lost sur The Binding of Isaac : Rebirth. Lui s'est énervé sur Lovely Planet. Ça a duré longtemps je crois, jusqu'à tard sans aucun doute. Aujourd'hui, même position, des jeux différents, et le même genre d'horaires. Demain, ça sera pareil. Combien de temps ça va durer ? Va savoir. Jour après jour, son rythme de vie se laisse voir un peu plus dans nos habitudes nouvelles. Notre cycle circadien n'est plus imposé par la lumière du soleil mais par celle de l'écran. On oublie lentement nos repères, nos obligations. Des articles à écrire, des vidéos à monter, des entretiens à diriger ? Ça attendra demain, je suis trop occupé à être oisif pour le moment.
Cet article est écrit et proposé par Edouard, voyageur moderne à l'origine de l'initiative "Joueurs du monde".