"GT4-killer". Le tueur de Gran Turismo 4, voilà comment beaucoup ont surnommé Forza Motorsport lorsque ce dernier fut enfin dévoilé officiellement à l'E3 2004, après des mois de rumeurs et de screens alléchants qui avaient "mystérieusement" fuité. Ce nouveau jeu de course automobile devait permettre à la Xbox première du nom de posséder sa simulation, et de faire bonne figure face à la PlayStation 2 et le titre de Polyphony Digital, qui écrasait alors toutes formes de concurrence.

Rappelez-vous. En 2004, Sony domine tranquillement le monde des consoles de salon, tandis que la GameCube de Nintendo s'effrondre petit à petit, malgré une ludothèque solide ; face à la PlayStation 2, seule la Xbox fait encore un peu illusion. La machine de Microsoft a su se trouver un public, défiant d'ailleurs tous les pronostics ; les succès que sont Halo ou Project Gotham Racing donnent à la console une certaine crédibilité, mais c'est sans doute le Xbox Live, la feature exclusive de la machine, qui lui permet de vivoter et d'attirer, petit à petit, des joueurs. Seulement voilà, chez PlayStation, on déroule, et Microsoft perd chaque jour des millions... sans vraiment sembler s'en émouvoir.

Gran Turismo

Sorti pour la première fois sur PlayStation, en 1997, Gran Turismo devient rapidement une référence du genre. Développé par Polyphony Digital, un studio japonais appartenant à Sony, il est avant tout le fruit des travaux de Kazunori Yamauchi, qui avec ce titre impose de nombreux standards dans le genre. Au Japon, Yamauchi est devenu une véritable légende, à la manière d'un Shigeru Miyamoto ou d'un Hironobu Sakaguchi. Nissan l'a notamment approché pour qu'il crée l'interface de l'ordinateur de bord de la GT-R, qui a remplacé en 2007 la célèbre Skyline, une auto mythique au Pays du Soleil Levant.

En 2004, les joueurs piaffent et débattent de l'intérêt des "30 images par seconde", que de plus en plus de développeurs mettent en avant au moment de présenter certains de leurs jeux. Le premier Call of Duty est sorti depuis quelques mois et Halo 2 ne va pas tarder à définir une série de normes pour le genre. Mais ce n'est pas encore l'ère des FPS, encore moins celle des action-aventure open worlds, deux genres qui ont successivement squattés les podiums et les rayons de vos boutiques préférées depuis 2005. Et aussi curieux que cela puisse paraître pour certains aujourd'hui, les jeux de course étaient alors immensément populaires : tout le monde en possédait un ou deux et les éditeurs n'hésitaient pas à mettre le paquet sur des jeux qui servaient souvent de vitrines techniques. A l'époque, on bavait devant Need for Speed Underground 2, ou sur Project Gotham Racing 2, GTR et bien entendu sur Gran Turismo 3.

Need For Speed Underground 2, GTR et Gran Turismo 3

Et si la Xbox disposait de plusieurs bons jeux de course, comme Rallisport Challenge 2 et les deux Project Gotham Racing, il lui fallait son "GT-killer" pour rivaliser avec la PlayStation 2. Une simulation grand public, belle et riche en contenus, qui saurait attirer les fans de jeux de course, comme les néophytes. C'est fin 2003 que des premières images apparaissent sur Internet. Et en avril 2004, on apprend que Microsoft a carrément déposé une marque, un nom : Forza Motorsport. Beaucoup de joueurs s'emballent en pensant que le géant américain prépare un jeu de course centré sur les automobiles italiennes (forza = force, puissance, en italien), mais l'on se rend vite compte que le jeu prend un tournant plus généraliste, à la manière d'un Gran Turismo. Dont le nom vient aussi de l'italien, soit dit en passant...

Et à l'E3 2004, c'est l'annonce, enfin. Forza Motorsport est montré officiellement à la presse, annoncé pour la fin de l'année. Le jeu est présenté ainsi par Microsoft et Turn 10 :

Forza Motorsport donne aux joueurs Xbox, passionnés de voitures et de courses, l'opportunité de posséder leurs voitures favorites, de les personnaliser et de faire la course dans une simulation de conduite réaliste.

Il y a également beaucoup de promesses : 60 marques différentes, une gestion localisée des dégâts (dont ne disposait pas Gran Turismo 3) et, grâce à la puissance de la Xbox, des effets visuels jamais vus jusque-là. Turn 10 en profite pour dévoiler une fonctionnalité assez unique : le drivatar. Si aujourd'hui le nom est plutôt synonyme d'adversaires (parfois) un peu idiots, à l'époque se cachait derrière ce nom un système d'entraînement de l'IA, que vous pouviez ensuite envoyer courir pour vous.

Turn 10 Studios

C'est en 2001 que Microsoft Studios fonde Turn 10, qui sera chargé de développer la simulation de la marque à la croix verte. Le studio est installé près du quartier général de Microsoft, à Redmond, dans l'état de Washington, et regroupe petit à petit de nombreux spécialistes des jeux de course... mais aussi des ingénieurs auto, qui travailleront avec le studio en tant que consultants. Tout est mis en place pour que l'équipe puisse rivaliser de prouesses avec Polyphony Digital, l'adversaire nippon. Parmi les figures de proue du studio, on trouve notamment Dan Greenawalt, actuel game director, en charge de la licence Forza Motorsport. Il a souvent confié être un admirateur de Kazunori Yamauchi, le papa de Gran Turismo.

Les amateurs de jeux de course sont rapidement convaincus. Si Forza Motorsport a encore tout à prouver, nombreux sont les joueurs qui sont impatients de pouvoir y toucher, et même certains fans de la série Gran Turismo. Ce qu'ils ne le savent pas encore, c'est qu'ils vont attendre plus longtemps que prévu ! En effet, "Forza" va être reporté plusieurs fois, évitant au passage la sortie japonaise de Gran Turismo 4 à la fin de l'année 2004. Comble de l'ironie, les deux jeux sortent chez nous presque en même temps : le 9 mars 2005 pour le titre de Polyphony Digital, et donc le 13 mai pour Forza Motorsport.

Gran Turismo 4 VS Forza Motorsport, le duel de l'année 2004

Les critiques concernant le soft sont particulièrement dithyrambiques. Beau, Forza l'est assurément, même si l'on a regretté à l'époque que toutes les voitures ne soient pas modélisées avant autant d'attention. Le son des moteurs n'est pas toujours parfait, mais au-delà de ça, c'est le carton plein. C'est surtout la façon dont est pensé le jeu qui le met en valeur, par rapport à Gran Turismo, parfois inutilement compliqué. Les joueurs ont la possibilité d'adapter la difficulté en modifiant différents paramètres (ABS, aide de trajectoire, contrôle de traction, de stabilité, etc.) ; ils sont capables de modifier en profondeur une voiture, allant de certaines pièces à l'esthétique de la voiture ; et surtout, surtout, il y a le Xbox Live qui permet à Forza Motorsport de faire ce que Gran Turismo ne fera pas avant 2010 et son 5ème épisode. Tout semble simple, naturel, alors que dans un même temps, le jeu se montre assez exigeant une fois sur la piste.

Aujourd'hui, le score Metacritic (pour ce que cela vaut) est de 92, une note excellente quand on garde en tête qu'il était pourtant largement perfectible à l'époque. Ce que ne se privera pas de faire Turn 10 d'ailleurs, puisque le succès de ce premier jeu a permis à l'équipe de développer plusieurs suites. Si certains retiendront surtout Forza Motorsport 4, sans doute l'épisode le plus abouti de la série, il ne faut pas non plus oublier que FM5, lancé à la va-vite pour la sortie de la Xbox One, laisse envisager de jolies choses pour l'avenir.

Dans le même temps, la franchise s'est quelque peu écartée des sentiers battus pour proposer un spin-off, Forza Horizon. Résolument plus arcade, le titre, sorti en 2012, prenait le parti de permettre aux joueurs de piloter des voitures de rêve dans un vaste open world ; d'abord le Colorado, puis le sud de la France et le nord de l'Italie, dans un second opus sorti en septembre 2014 sur Xbox One (et 360, mais faisons comme si cette version n'existait pas).

Forza, que ce soit Motorsport ou Horizon, fait aujourd'hui partie du paysage et de ces titres qui rythment la vie d'une console. Certains préféreront la richesse sans fond du catalogue de Gran Turismo, d'autres préféreront l'approche plus dynamique de Forza Motorsport. Mais une chose est sûre, une fois de plus, les gamers en sont sortis vainqueurs puisqu'ils ont maintenant le choix entre deux licences de qualité. Joyeux anniversaire Forza !