A 24 ans, JiSu « ForGG » Park a remporté il y a quelques semaines l’étape finale de la DreamHack sur StarCraft II et vient de se qualifier pour deux événements majeurs de ce début d’année, les World Championship Series (WCS) et les Intel Extreme Masters (IEM). Retour sur le parcours atypique du plus Français des Coréens.
Lorsqu’il débarque à l’aéroport de Marignane ce 28 juillet 2012 (voir vidéo ci-dessous), un mois après son recrutement par Millenium, JiSu « ForGG » Park est loin de se douter du virage culturel que sa vie va prendre. De son pays, il a emporté la rigueur et l’éducation. Le jeune homme de 22 ans timide et poli que vous voyez sur ces images vient pourtant de faire un choix bien courageux pour quelqu’un de sa culture. Dans son pays, en effet, être payé pour jouer aux jeux vidéo fait partie des moeurs. Sans pour autant être très répandu, le métier de progamer est toutefois reconnu par le Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme de Corée du Sud et confère un véritable statut professionnel à ceux qui ont le talent au bout de la souris. Les élus sont certes rares, et pour cause vu la difficulté de la discipline, mais le sacrifice en vaut la peine : les prodiges de StarCraft sont acclamés par les foules. Son aîné, BoxeR, est une star au Pays du Matin calme ; ses rivaux, Jaedong ou Flash, posent régulièrement pour les médias nationaux. Cet héritage culturel, ForGG l’a pleinement embrassé puisqu’il est lui-même un champion de StarCraft : Brood War, ayant balayé Jaedong 3 à 0 en finale de la MSL Arena quatre ans plus tôt. Dans ce contexte, qu’est-ce qui a bien pu pousser ForGG à choisir l’Europe ? La concurrence, tout simplement. En l’absence de résultat majeur dans les deux ans suivant son titre en MSL, ForGG avait d’ailleurs, dans un premier temps, opté pour la retraite en décembre 2010, à seulement vingt ans.
Accueil de fOrGG à l'aéroport de Marseille
L’engouement du public pour le deuxième opus de StarCraft est toutefois tel qu’au bout de quelques mois JiSu se décide à tenter sa chance sur ce nouveau jeu. Il se fait désormais appeler « Fin » et a rejoint l’équipe Old Generations. Qualifié pour la Global StarCraft II League (GSL), compétition reine tant en Corée que sur le plan international, ForGG se fera cependant rapidement éliminer de la première saison de Code S en 2012. Il persévère, se requalifie la saison suivante, puis tombe en Code A (sorte de Division 2) pour la saison 3 et se fait sortir dès le premier tour. Retour à la case départ, donc, avec ce même constat amer qu’en 2010 : il lui manque quelque chose pour battre ces joueurs plus jeunes, plus motivés peut-être, ou tout simplement plus doués. Sans équipe depuis la dissolution de Old Generations quelques semaines plus tôt, c’est le moment que choisit ForGG pour faire un choix audacieux : rejoindre Millenium, l’équipe du prodige français Stephano dont les exploits retentissants sont encore célébrés de nos jours. Un mois plus tard, ForGG a déjà posé ses valises dans la Gaming House de Marseille et adopté un rythme d’entraînement hérité de ses années sur Brood War. Levé à 8h30, JiSu enchaîne partie après partie de 10h à 22h avant de se coucher monastiquement à 23h chaque jour, sept jours par semaine. Il s’impose très vite comme le leader incontesté du ladder européen, seul Coréen de son calibre vivant et s’entraînant sur le vieux continent. Il finit 3e de l’ASUS ROG Summer 2012, enchaîne avec une finale à la DreamHack Valencia en septembre suivie d’une seconde place à l’ESWC 2012.
Las, le succès relatif de ForGG en Europe est sur le point de faire des émules. Suite à l’annonce du tout nouveau format des World Championship Series 2013 organisés par Blizzard à la sortie de Heart of the Swarm, une dizaine de Coréens choisissent à leur tour l’expatriation et s’installent dans nos contrées. Malgré une bonne 3e place à la première saison des WCS Europe, ForGG va pendant 18 mois traverser un véritable désert. Malgré son entraînement toujours aussi rigoureux le joueur Terran ne parvient pas à concrétiser. Peur de la victoire ou réel manque de talent ? Le jeune homme de 23 ans va douter pendant de longs mois, confiant régulièrement songer à la retraite. « I really want champion », la rengaine lancinante de ForGG aura raison de la sagesse qui en aurait poussé d’autres à raccrocher leur clavier.
(Crédits photo : Sznajder et Schmitt)
Tandis que sa carrière « mécanique » de joueur professionnel semble stagner, l’évolution culturelle de JiSu continue bel et bien. Il a appris l’anglais et est d’ailleurs le seul à répondre dans la langue de Shakespeare aux interviews lors des grands rendez-vous e-sport. Il a rencontré une Allemande de son âge et s’installe avec elle à Nürnberg. Entre l’environnement marseillais des premiers temps et sa nouvelle vie en Allemagne, JiSu s’occidentalise à vue d’oeil. Exit la réserve à laquelle son éducation l’incitait, il sourit, rit même, blague ouvertement avec ses coéquipiers, dont Dayshi qui devient un ami.
Après plusieurs semaines de discussion, toutefois, le manager de Millenium, Llewellys, finit par obtenir l’impensable : un remaniement des règles de Blizzard qui permet à l’exception ForGG de se présenter aux qualifications pour les WCS 2015.
E-sportivement, le dernier trimestre 2014 sonne le glas de la torpeur dans laquelle ForGG semble s’être installé, prisonnier de son statut de « bon joueur coréen ». L’annonce tombe comme un couperet : les WCS 2015 seront interdits aux non-résidents. ForGG ne vivant pas dans le pays qui l’emploie, il est contraint de rentrer en Corée ou de faire fi du plus important circuit professionnel sur StarCraft II. C’est un peu comme si un basketteur professionnel américain ne pouvait pas évoluer en NBA. Après plusieurs semaines de discussion, toutefois, le manager de Millenium, Llewellys, finit par obtenir l’impensable : un remaniement des règles de Blizzard qui permet à l’exception ForGG de se présenter aux qualifications pour les WCS 2015. Est-ce la gifle virtuelle des semaines précédentes ou cette nouvelle inespérée qui portera ForGG dès ce moment ? Difficile à dire, mais la réalité est bien là : c’est un nouveau joueur qui se présente à la DreamHack Winter le 27 novembre 2014. Enchaînant victoires improbables contre les meilleurs joueurs du monde, ForGG exhibe un niveau de jeu digne des plus grands. Le « GG » est lâché, ForGG est sacré champion de la DreamHack Winter 2014. Enfin, son talent se révèle. Enfin, ces heures d’entraînement payent. Mais surtout, comme une respiration qu’il aurait retenue pendant de trop longs mois, ForGG évacue. Les chaudes larmes coulent sur ses joues jadis empreintes de la froideur qu’on lui avait appris à montrer en public, JiSu s’étrangle d’émotion, balbutie sa joie, puis finit par se ressaisir et soulève son étoile de vainqueur.
Le joueur Terran vient tout récemment d’emporter sa place pour les WCS 2015, ceux-là même qui causaient son désespoir il y a quelques semaines.
Galvanisé, le joueur Millenium n’est pas près de laisser le soufflé retomber et continue depuis lors d’entretenir cette forme renouvelée survenant comme une seconde carrière. Qualifié aux IEM Taipei (qui se dérouleront fin janvier à Taïwan) sans perdre une seule map, le joueur Terran vient tout récemment d’emporter sa place pour les WCS 2015, ceux-là même qui causaient son désespoir il y a quelques semaines. Redevenu le seul Coréen en Europe après le retour forcé de ses compatriotes vers leur terre natale, jamais la confiance de ForGG n’a été aussi élevée, ni sa cote de popularité d’ailleurs. Il ne lui reste plus qu’à confirmer dans l’une de ces deux compétitions, ou les deux, que la victoire ne lui fait définitivement plus peur.
(article écrit et proposé par Nazca, Millenium)