jeuxvideo.com > Tim Schafer, vous avez travaillé sur certaines des références des jeux d'aventures (Monkey Island 1 & 2, Day of the Tentacle, Full Throttle et Grim Fandango) avant de quitter LucasArts pour créer votre propre compagnie DoubleFine Productions avec laquelle vous avez sorti Psychonauts. Ce dernier n'était pas un jeu d'aventure à proprement parler mais un titre d'action/plates-formes s'appuyant sur un excellent scénario et un sens de l'humour assez tordu. Justement, en regardant votre parcours, il est évident que l'humour occupe une place très importante dans chacun de vos jeux. Est-ce que vous considérez l'humour comme l'une des clés du succès dans un jeu ? Est-ce que vous seriez partant pour travailler sur un projet dit "sérieux" qui ne contiendrait aucune blague, ni élément de comédie ?

Tim Schafer : Ce n'est pas quelque chose que je prévois à l'avance. J'aime l'humour, et il en va de même pour les personnes avec qui je travaille. Nous aimons nous amuser pendant que nous créons nos jeux et cela nous semble tout naturel d'insérer dans nos titres des choses qui nous font rire au bureau. En fait, nous essayons de nous distraire nous-mêmes et la plupart des choses qui nous amusent finissent logiquement par atterrir dans nos jeux. Même si nous tentions de faire quelque chose de sérieux, cela se transformerait forcément en comédie. Brütal Legend en est l'exemple parfait. Tout comme Full Throttle, en fait. Les personnages de ces jeux ne sont pas des personnages de comédie. Ils gardent même leur sérieux tout au long de leur histoire. Mais c'est parfois de là que vient justement l'élément comique.

jeuxvideo.com > Comment définiriez-vous les jeux DoubleFine Productions ?

Tim Schafer : Nous nous concentrons sur l'originalité et la créativité. Mon but principal et celui de toute l'équipe est de créer des univers fantastiques complètement nouveaux dans lesquels les joueurs ne sont encore jamais allés. Des univers livrés avec leurs propres règles et protagonistes dont ils peuvent s'imprégner dès qu'ils commencent à jouer.

jeuxvideo.com > Vous avez répété à de nombreuses reprises que ce serait amusant de développer des suites pour certains de vos anciens jeux des années 90 mais que c'est chose impossible puisque vous n'en possédez pas les droits (Ndr : les jeux appartiennent à LucasArts). Pourquoi alors ne pas être parti sur la suite de Psychonauts au lieu de créer encore un nouvel univers avec Brütal Legend ? Cela aurait été plus simple, surtout pour un studio indépendant tel que DoubleFine.

Tim Schafer : C'est toujours plus simple de refaire la même chose. Mais cela va à l'encontre de notre nature créatrice qui nous pousse constamment à produire quelque chose de nouveau. Je pense que c'est plus fun et bien agréable pour les joueurs de proposer du neuf. En fait, c'est même aussi bénéfique à l'industrie du jeu vidéo. Je ne suis pas contre les suites. Si une bonne opportunité se présente alors je ferai une suite. J'ai toujours eu des idées pour des suites, mais j'ai aussi parallèlement toujours eu de nouvelles idées que j'ai choisi d'explorer en priorité. Peut-être qu'un jour nous arriverons à produire deux jeux à la fois chez DoubleFine, et alors nous verrons...

jeuxvideo.com > Quel est le plus grand défi auquel vous êtes confronté en tant que studio indépendant ?

Tim Schafer : Notre plus gros challenge est lié à notre volonté de vouloir rester une petite structure soudée par un esprit quasi-familial mais capable de réaliser des grands jeux. Nous souhaitons réaliser des jeux capables de rivaliser avec les meilleurs titres du marché tout en restant en nombre réduit pour ne pas perdre notre identité. Il nous faut donc faire attention et être malins lorsque nous développons nos jeux pour qu'ils semblent avoir été créés par une équipe de 1000 personnes alors que nous ne sommes en réalité qu'une cinquantaine.

jeuxvideo.com > D'où est venue l'idée pour Brütal Legend ?

Tim Schafer : Cela fait des années que je rassemble des idées qui ont fini par atterrir dans ce jeu. Tout au long de ma carrière, il y avait toujours quelque chose d'autre à faire d'abord et ce n'était jamais le bon moment pour les concrétiser. Pourtant je savais qu'un jour je réaliserai un jeu dans un univers fantastique absolument extrême tel qu'il sera présenté dans Brütal Legend. Je me suis demandé comment je pourrai appeler ce jeu et j'ai trouvé le titre Brütal Legend il y a déjà plus de dix ans. Depuis, j'ai toujours voulu faire un jeu qui s'appellerait Brütal Legend. J'adore ce nom ! Cela fait longtemps que je suis de près les éléments qui composent aujourd'hui le jeu : le heavy métal, les hot rods… J'ai cogité sur tout cela pendant des années, puis à la fin de Psychonauts, il m'a semblé que nous avions les moyens technologiques ainsi que l'expérience nécessaire pour nous lancer.

jeuxvideo.com > C'est vrai qu'après Hoagie dans Day of the Tentacle, Full Throttle et maintenant Brütal Legend, vous entretenez une certaine obsession vis-à-vis du heavy métal...

Tim Schafer : C'est juste. Déjà du temps de Day of the Tentacle, j'ai rencontré ce type qui était roadie pour un groupe de heavy métal. Il avait tellement d'histoires incroyables à partager que j'ai immédiatement pensé qu'il ferait un excellent personnage grâce à son point de vue unique sur le monde du rock qui fait tant rêver. Un roadie a l'occasion de voir le côté glamour d'une rock star mais est aussi celui qui fait toute la sale besogne. C'est lui qui porte les amplis ou qui nettoie la bière renversée. En fait, c'est un peu grâce à lui que toute la magie opère. J'ai toujours voulu faire quelque chose avec ce genre de personnage. Mon premier essai était effectivement Hoagie dans Day of the Tentacle. C'est vrai qu'il s'agissait d'un personnage plus comique qui plaisantait en prétendant vouloir arracher la tête des hamsters, mais l'idée était déjà là. Bien avant Brütal Legend, il s'agissait déjà d'être le gars dans l'ombre, caché derrière la rock star. Celui qui fait tout le travail, qui ne reçoit rien en retour, mais qui est le véritable héros.

jeuxvideo.com > Il semble que la musique ne serve pas simplement l'histoire de Brütal Legend mais qu'elle se trouve aussi au cœur du gameplay. On peut lire sur le site officiel qu'il sera possible de placer des solos de guitare pour vaincre les ennemis. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Tim Schafer : Il faudra attendre encore un peu avant que cet élément puisse être dévoilé. Tout ce que je peux dire c'est que la musique fait effectivement partie intégrante du gameplay et que notre héros Eddie Riggs porte constamment une hache et une guitare dans son dos.

jeuxvideo.com > Jack Black interprète Eddie Riggs, le personnage principal de Brütal Legend. Aviez-vous déjà cet acteur en tête lorsque vous avez commencé à écrire le jeu ?

Tim Schafer : Oui. Le travail de Jack Black a beaucoup inspiré notre jeu. Son film Tenacious D était très rock'n roll et vraiment marrant. Pareil pour Rock Academy. Ces choses nous ont vraiment inspirées. Il ne m'est jamais vraiment venu à l'idée que nous pourrions l'avoir mais nous espérions au moins que notre jeu lui plairait après toute l'inspiration qu'il nous avait donnée. Et puis il s'est avéré que nous l'avons rencontré et qu'il a apprécié ce que nous faisions. Du coup, d'inspiration première, il est devenu collaborateur à part entière.

jeuxvideo.com > Après vous être retrouvé sans éditeur suite à la fusion Vivendi/Activision, comment êtes-vous parvenu à maintenir la motivation de l'équipe pour poursuivre le développement ?

Tim Schafer : Nous travaillons uniquement sur des jeux qui nous portent à coeur, dans lesquels nous nous investissons pleinement et que nous aimons. J'ai une équipe de personnes très passionnées qui se sont vraiment appropriées le projet. Il s'agit de leur jeu. Durant toute cette période trouble, l'équipe n'a jamais senti que c'était fini pour le jeu. Au contraire, elle s'est investie encore plus dans le développement pour rendre Brütal Legend aussi bon que possible. Cela montre d'ailleurs tout le dévouement de cette équipe par rapport au projet. Nous avons donc continué de travailler et nous avons eu la chance de pouvoir montrer le jeu à Electronic Arts. La bonne nouvelle c'est qu'ils l'ont aimé exactement comme il était. Ils ont été très réceptifs aux personnages, à l'univers fantastique et à tout ce que nous avions à présenter en fait. Le fait que notre travail soit tant apprécié et qu'EA Partners accueille aussi d'autres studios dont on ne peut que vanter les mérites, nous a donné l'assurance que nous avions trouvés le parfait partenaire pour notre jeu.

jeuxvideo.com > Avoir EA à vos côtés va-t-il influencer la suite du développement dans un sens comme dans l'autre ?

Tim Schafer : Je pense que cela va rendre le développement encore meilleur et permettre à plus de personnes d'entendre parler de notre jeu. J'adore Brütal Legend et je suis très excité à l'idée de le faire connaitre au plus grand nombre grâce à EA !

jeuxvideo.com > Merci, Mr. Schafer.