jeuxvideo.com > En quoi ce nouveau volet de Dracula est-il particulier ?

Alexis Lang : Depuis Salammbô qui était un peu passé inaperçu en son temps, c'est le premier jeu vidéo que j'ai la chance de faire dont l'intrigue soit aussi adulte, aussi grave et aussi creusée au niveau de l'histoire. C'était assez plaisant d'approfondir l'histoire en particulier au niveau de la motivation des personnages sans pour autant aller dans le sens d'un récit bien gentillet. Là, ce n'est pas gentil du tout, et il y a tout un tas de paris qui m'intéressent. En tant que scénariste, j'ai adoré avoir comme héros un prêtre et, sans dévoiler la fin, de lui faire vivre une histoire qui ne s'achèverait pas forcément sur un happy end. Il faut dire que j'aime bien les ambiances un peu sombres, un peu torturées. Mais ce n'est pas souvent ce qu'on me demande de faire. Or là, il y avait précisément une demande de MC2 allant dans ce sens, donc je me suis régalé. Il y avait également une envie d'enraciner le scénario dans l'Histoire, dans le réalisme. On a donc fait des tas de recherches à la fois sur le plan médical, pour voir comment le vampirisme pouvait s'interpréter dans cette discipline, mais aussi sur le plan historique. J'ai passé beaucoup de temps avec Catherine (NdR : Catherine Peyrot, une des productrices du jeu) à fouiller dans d'anciens ouvrages, dans de vieilles chroniques. Et le deuxième pari, c'était que tout cela passe dans le jeu. Enfin, avec l'équipe de producteurs, nous avons décidé qu'il y aurait une certaine sensation de brutalité animale dans le titre, qu'on serait loin des vampires à col de dentelle. Moi, ça me convenait très bien.

jeuxvideo.com > Quelle est à votre avis la meilleure représentation de Dracula ?

Alexis Lang : Ça c'est une question (NdR : réflexion longue et intense)... Est-ce que ce serait celle de Murnau ? Est-ce que ce serait... Non, en fait, aucune ne m'emballe. Au moment où je travaillais sur Salammbô, je préférai le texte original, le premier récit historique. Je vais vous faire la même réponse. Le Dracula que je préfère, c'est celui des anciens récits. C'est le Vlad Tepes tel qu'il apparaît dans ces vieilles chroniques. Je n'adhère vraiment à aucune des interprétations postérieures...

jeuxvideo.com > Y compris celle de Bram Stoker, donc...

Alexis Lang : Y compris celle de Stoker. J'admire et je respecte cette oeuvre et celles qui en ont découlé, mais vraiment c'est le Vlad Tepes tel que je l'ai perçu dans les traductions des vieilles chroniques qui m'intéresse. C'était des représentations un peu naïves, un peu médiévales, parsemées d'un long cortège de supplices. C'est Dracula qui décide de faire empaler un moine puis son âne, des choses comme ça. C'est là-dessus que j'ai accroché.

jeuxvideo.com > On hésiterait presque à vous demander si votre vision de Dracula s'approche plus de la version Coppola ou Hammer Films...

Alexis Lang : Je n'ai pas beaucoup regardé les films de la Hammer. J'ai regardé le Coppola et le Murnau.

jeuxvideo.com > A votre avis, pour qu'une histoire comme celle-ci soit attachante, quelle est la part de réalisme qu'il faut y injecter ?

Alexis Lang : C'est un choix qu'on fait au départ. En l'occurrence, le choix qui a été fait, c'était cette approche du réalisme fantastique. C'est-à-dire multiplier les références de manière que lorsque l'élément fantastique intervient, il semble crédible. C'est la voie que nous avons choisie mais il y en avait des tas d'autres. J'aurais également adoré faire un pur conte de fées. Ça aurait été autre chose...

jeuxvideo.com > On imagine difficilement une histoire de vampire sans histoire d'amour. Pourtant, on n'a rien vu de tel dans la démonstration qui vient de nous être faite du jeu...

Alexis Lang : Personnellement, je suis convaincu qu'il y en a une. Mais attention, il y a des éléments visibles et des éléments cachés. Moi, quand je travaille sur un scénario, j'ai une idée très précise en tête. Ce n'est pas forcément celle qui est mise en avant mais c'est ce qui me motive pour aller au bout du projet. J'aime croire qu'il passe quelque chose de cette idée, même quand ce n'est pas immédiat. Je crois à ça, et c'est sûrement pour cette raison que je fais ce métier. Je crois que les intentions cachées peuvent passer.

jeuxvideo.com > Durant vos recherches, quelles sont les anecdotes les plus extraordinaires et réelles que vous ayez découvertes sur le personnage de Vlad Tepes ?

Alexis Lang : Il faut savoir qu'il s'agit d'un prince qui a régné sur la Valachie dans des circonstances extrêmement difficiles. Il faudrait imaginer une sorte de Louis XI avec plus de panache et de démesure. Parmi les anecdotes qu'on lui prête, il y en a plusieurs. On pourrait citer celle des ambassadeurs turcs selon certaines sources, génois selon d'autres. Ils se présentent à lui coiffés d'un turban et, par conséquent, ne se découvrent pas en sa présence. Donc, il leur fait clouer les turbans sur la tête. En fait l'idée qui le motivait, c'était peut-être de faire passer le message suivant : "Votre souverain impose sûrement sa loi à d'autres mais chez nous, on se comporte correctement.". Il y a un autre épisode qu'on a pas mal utilisé dans le jeu et que je trouve particulièrement tragique. Si mes souvenirs sont bons, le jour de la fête de Pâques, il invite toute la noblesse de son pays. En plein milieu de la fête, il fait arrêter tout le monde et partage ces gens en deux groupes. Tous les membres de l'un des groupes, y compris les vieillards et les femmes enceintes, sont empalés sur-le-champ. Quant aux autres, il les fait travailler nus à agrandir sa forteresse. Donc il venait d'exterminer la noblesse de son pays. Mais il faut savoir qu'avant ce massacre, il leur aurait demandé : "Combien de souverains avez-vous connu ?". Les plus jeunes ont répondu : "Trois.", les plus vieux ont dit : "Sept." ou "Quatorze.". Et ils auraient eu l'air content d'avoir servi autant de souverains. Dracula leur a répondu : "Mais, si vous aviez eu un soupçon de loyauté, vous n'auriez pas connu tant de princes...". Sous-entendu, mais c'est moi qui le rajoute : "Après tout, vous leur aviez juré fidélité comme vous l'avez fait pour moi…". Et là, il y a les deux aspects. Est-ce l'acte d'un monstre ou est-ce un acte politique courageux ? Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Arrive un moine qui lui demande pourquoi il a fait empaler les femmes enceintes, considérant que les enfants qu'elles portaient étaient bien évidemment innocents. Dracula aurait pris la peine de lui répondre en lui disant : " C'est à la racine qu'il faut arracher la mauvaise herbe.". A mon tour d'ajouter à nouveau un autre sous-entendu : "Je ne vais pas laisser grandir ces enfants pour qu'ils viennent venger leurs parents.". Et comme le moine insiste encore, il le fait empaler pour faire bonne mesure. C'est une anecdote qui nous a fortement marqués. J'ai beaucoup insisté pour qu'on s'en serve dans le jeu. Ainsi, au moment où le héros entre dans le château de Dracula, il entend parler les fantômes. Et j'ai imaginé que l'un d'entre eux pourrait être une jeune fille qui va à son premier bal en espérant se faire remarquer par Dracula qui, sauf erreur de ma part car les biographies sont imprécises, n'est pas encore marié à ce moment-là. Donc le fantôme de la jeune fille tient toujours à plaire à Dracula mais elle ne peut pas aller au bal car elle a égaré son bracelet. Selon la mécanique du jeu d'aventure, vous allez devoir retrouver le bijou et lui rendre. Elle s'en empare et s'en va en riant. Mais si le joueur est un peu attentif, il sait qu'elle s'en va vers sa mort. Il peut le déduire d'après les cadavres qu'il a vus à l'entrée et les documents historiques qu'on lui donne l'occasion de consulter au sein du jeu, etc.

jeuxvideo.com > On sent bien que certaines actions du jeu soulèvent des problèmes moraux, non ?

Alexis Lang : MC2 nous avait posé un challenge intéressant. Cela tenait à obliger le héros, un prêtre donc, à faire des tas de choses horribles et compromettantes mais, d'un autre côté, il fallait qu'il ne soit jamais en contradiction avec ses principes moraux. C'était très difficile. Au bout du compte, on est arrivé entre autres à lui faire boire du sang ou brûler une chapelle mais toujours pour d'excellents motifs et sans qu'il ait à rougir de ses actes.

jeuxvideo.com > Merci M. Lang.

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