Il y a parfois des offres qu'on ne peut pas refuser et c'est lors d'un passage dans les bureaux lyonnais d'Electronic Arts que nous avons eu l'occasion d'explorer à nouveau l'un des jeux sous licence les plus atypiques et les plus attendus de cette année : Le Parrain. Atypique, ce titre l'est indiscutablement par la démarche qui a motivé sa mise en chantier. Effectivement, il se démarque dans un marché où ce genre de produit doit trouver sa raison d'être dans une actualité cinématographique brûlante histoire de profiter d'un éventuel succès sur grand écran. Rappelons que la saga des " Parrain " au cinéma est née en 1972 pour s'achever en 1990 par un troisième volet signé, comme les deux autres, par Francis Ford Coppola. Et si, quinze ans après, EA veut nous plonger dans les affres existentielles d'un apprenti-mafieux prêt à tout pour faire son trou au sein de la famille Corleone, c'est en donnant à ce nouvel épisode non-officiel une forme très à la mode ces dernières années : celle d'un GTA-like.
Dans la ville que vous pourrez donc parcourir assez librement, à pieds ou en voiture, différents personnages seront prêts, comme le veut la formule, à vous confier des "p'tits boulots peinards". Au passage, vous ne manquerez pas de croiser les membres de la famille adverse tout droit sortis du film : les Tattaglia. Ce qui constituera à n'en pas douter l'un des points forts du Parrain, ce sera la nécessité de ne pas se livrer à un carnage sans pitié. Le plus crapuleux des comportements devra s'assumer avec un sens certain de la mesure car il s'agira pour le personnage principal de convaincre de manière musclée ses très nombreux interlocuteurs, au choix, de payer pour sa protection, de lui délivrer des renseignements essentiels pour mener à bien les missions ou de lui confier la gestion de son petit club clandestin. Le système de jeu se base donc sur la découverte du point précis où vos victimes seront juste assez terrifiées pour vous remettre de manière régulière une bonne marge de leurs bénéfices mais pas encore assez pour devenir dangereux et s'en prendre à vous, ce qui ne pourrait avoir qu'une issue funeste. Le Parrain se donne les moyens de sa politique en proposant des décors regorgeant d'éléments pouvant être détruits dans une démonstration de force, des dégâts localisés sur les adversaires afin de pouvoir les faire parler après leur avoir tiré une balle dans la jambe et des coups gérés en temps réel par les mouvements du joystick de la manette pour, comme expliqué plus haut, gérer au plus juste la barre de stress des futurs rackettés.
Précisons également que ce jeu bénéficiera de la participation de certains des acteurs de la saga au cinéma. Participation active pour James Caan et Robert Duvall qui ont créé de nouveaux dialogues pour prêter vie à leurs avatars numériques, participation posthume pour Marlon Brando qui a juste eu le temps d'enregistrer ses répliques avant sa sortie de scène définitive et participation toute virtuelle pour Al Pacino. En effet, si son personnage de Michael sera bien présent dans le jeu, l'acteur a obstinément refusé de participer à cette adaptation. Par conséquent, les développeurs ont dû créer une nouvelle apparence pour Michael et le faire doubler par un illustre inconnu.
Reste un problème essentiel qui transcende le jeu en lui-même à cause de la licence dont il est ici question. Outre quelques petites insatisfactions d'ordre technique (moteur physique des véhicules, gestion de l'interface lors des combats...) sur lesquelles nous reviendrons lors d'un prochain test à moins qu'elles ne soient résolues d'ici là, Le Parrain laisse une impression de paradoxe. Dès le tout premier combat censé se régler à grands coups de battes dans la face, on a l'impression de frapper dans le vide car ceux qui reçoivent la bastonnade n'ont pas l'air plus gêné que s'il s'agissait de soufflets d'aristocrates prêts à en découdre. Pourtant, avec un titre aussi fort et alors que la version cinéma trouvait son intérêt principal dans une description flamboyante, épique et sans concession du milieu qu'elle évoquait, on ne peut que regretter que les développeurs n'aient pas osé en faire quelque chose de vraiment méchant qui, tout comme les films, aurait été exclusivement destiné aux adultes. D'accord, ce jeu sera frappé d'une recommandation à la vente le destinant aux plus de 18 ans. Mais il ne s'agit pas ici d'état civil, de la sans doute nécessaire protection des mineurs ou de moralité à défendre. On parle davantage du respect de l'esprit d'une oeuvre originale et de la transposition en jeu de ce qui la rendait passionnante sur grand écran. Or, d'après ce que nous avons pu en voir, il est à craindre que " Le Parrain " à la mode Electronic Arts ne parvienne à n'être qu'un jeu vidéo là où on aurait pu souhaiter qu'il soit une expérience, voire un pas en avant pour l'industrie toute entière. Et c'est là que demeure le paradoxe de ce jeu. Il y a d'un côté la volonté de "déterrer" une licence puissante mais âgée voire morte ; en tout cas, qui n'est portée par aucune actualité depuis quinze ans. C'est une prise de risque de la part d'EA donc, peut-être la preuve d'une véritable volonté qu'on pourra qualifier d'artistique. Et en face de ça, en ce qui concerne le produit en lui-même, on ne va pas au bout des choses et on hésite à chahuter le joueur en le prenant pour l'adulte qu'il doit légalement être pour pouvoir se procurer ce titre. Ce projet alléchant qui aurait pu, avec un rien de témérité, devenir une étape dans l'histoire du jeu vidéo se trouve donc réduit à l'état d'adaptation de licence comme on en voit tant. Pas sûr que les admirateurs des films y trouvent une fois de plus leur compte.
- Site d'Electronic Arts