
Le 27 janvier 2005, les papas de Mario et de Zelda annoncent une campagne marketing sans précédent pour le lancement européen d’une console portable. Plusieurs dizaines de millions d’euros sont mis sur la table pour gagner la guerre des hardwares de poche qui s’annonce avec la PSP de Sony. L’objectif est clair : toucher le cœur des joueurs en misant sur le tactile de la Nintendo DS.

Sommaire
- Nintendo martyrisé, mais Nintendo libéré
- Du tactile et des idées
- Toucher récital
Nintendo martyrisé, mais Nintendo libéré
En 2004, le paysage vidéoludique cherche son équilibre. L’ancien ennemi juré de Nintendo, SEGA, est définitivement sorti du ring des constructeurs tandis qu’un autre compétiteur est entré dans la danse avec Microsoft et sa Xbox. Le jeu en ligne sur console se démocratise tandis que le marché mondial du gaming poursuit sa croissance et parvient même à dépasser l’industrie de la musique en matière de revenus générés. Alors que SEGA fait tranquillement courir Sonic sur GameCube, c’est Sony qui devient le frère japonais à combattre pour la firme de Kyoto. Avec sa PlayStation, Ken Kutaragi a violemment roulé sur la Nintendo 64. La PlayStation 2, quant à elle, affole les compteurs, laissant Nintendo se battre avec Microsoft loin derrière, pour la deuxième place. Plus inquiétant, la marque affichant les symboles “triangle, croix, carré, rond” sur ses manettes se prépare à pénétrer le marché des consoles portables avec la PSP, marché jusqu’à présent dominé par les Game Boy de “Big N”.

Oui, en 2004, le paysage vidéoludique fluctue. Les mastodontes du gaming cherchent à la fois à se différencier tout en se copiant, trop effrayés de laisser un quelconque avantage à une autre société. À une époque où Nintendo différencie encore machine de salon et console portable, les papas de Mario ont le Cube entre deux chaises. Certes, la Game Boy Advance enchaîne les succès mois après mois, mais la PSP fait peur. Sony, qui a réussi à devenir le leader du marché des consoles de jeux dès son premier essai, peut-il s’imposer avec autant de facilité dans le monde du loisir nomade ? En outre, pour l'exercice fiscal se terminant le 31 mars 2004, la firme de Kyoto note une baisse de plus de 50 % de son bénéfice net, notamment à cause des ventes de GameCube largement inférieures aux prévisions. Publiquement, Nintendo affiche sa sérénité en promettant aux investisseurs que le futur lancement de la DS améliorera les performances financières pour l'exercice suivant. Dans l’ombre, l’entreprise aux 2 milliards de jeux vidéo vendus dans le monde se prépare à combattre. Ne dit-on pas que la meilleure défense est l’attaque ?

Du tactile et des idées
Véritablement dévoilée au mois de mai 2004, soit une année après l’annonce de la PSP, la Nintendo DS est pensée comme une machine de guerre, une sorte de synthèse de tout le savoir-faire de la marque japonaise. Son design ? Inspiré des Game & Watch les plus appréciées. Sa puissance ? Tout ce qu’il faut dedans pour enfin afficher de la vraie 3D texturée. Son atout communautaire ? Du jeu en multi sans fil. Son innovation majeure ? Proposer deux écrans, dont un tactile permettant au joueur d’entrer en interaction grâce à un de ses doigts ou via un stylet. Il faut attendre quelques mois supplémentaires pour que Nintendo rassure sur la force de ses jeux à venir, et surtout pour que le public découvre le prix, fixé à 15 000 yens au Japon, 150 dollars en Amérique du Nord et 150 euros en Europe. C’est moins cher que les 19 800 yens/249 dollars/249 euros demandés par Sony pour sa PSP, qui répète à qui veut l’entendre que sa machine est “premium”.
La première confrontation entre les deux consoles portables se fait dès la fin de l’année 2004. Nintendo parvient à sortir sa DS au mois de novembre 2004 en Amérique du Nord, puis en décembre au Japon. Sony livre sa PSP au Japon le même mois, mais doit attendre 2005 pour aller sur d’autres territoires. Sur l’archipel japonais, Nintendo prend rapidement de l’avance malgré la concurrence féroce. Un mois après sa commercialisation, 1,5 million de DS sont vendues au pays du soleil levant, alors que du 12 décembre 2004 au 9 janvier 2005, environ 545 000 PSP sont adoptées. Les papas de Zelda décident de ne laisser aucun répit aux équipes de Kutaragi : au début de l’année 2005, l’Amérique du Nord est un territoire où la firme de Kyoto profite de l’absence de son adversaire pour s’imposer naturellement tandis que l’Europe, territoire où Sony fait habituellement des ravages, est ciblé comme zone stratégique prioritaire. Le 27 janvier 2005, Nintendo annonce activer une puissance de feu jusque-là inédite en termes de communication pour une machine portable. L’objectif est simple : toucher les joueurs en veillant à ce qu’ils touchent cette fameuse DS.

Toucher récital
Histoire de préparer le terrain – ou plutôt le territoire – comme il se doit en attendant la disponibilité de sa machine portable le 11 mars 2005, Nintendo met 35 millions d’euros sur la table pour que tous les Européens entendent parler de la DS. C’est la plus grande campagne marketing jamais réalisée pour un hardware nomade conçu par la firme de Kyoto. Le nom de cette opération ? “Touch Me !”, touche-moi dans notre douce langue. Pilotée par l'agence de publicité allemande Jung von Matt, son terrain de jeu n’est autre que la télévision, la presse, les magasins et Internet. Bref, partout où les joueurs sont, mais pas seulement. La Nintendo DS se veut grand public et vise aussi bien la mère de famille que le jeune passionné.
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L'une des principales caractéristiques de la machine est son écran tactile, c’est donc naturel que ce soit lui qui soit mis en avant dans cette stratégie de communication. Dès le mois de février, une publicité au ton décalé arrive sur les écrans de télévision. Dans cette dernière, un adolescent découvre le pouvoir de son doigt et, à l’instar d’un certain Bruce tout-puissant, profite de ce don divin pour faire tout et (surtout) n’importe quoi. À titre d’exemple, il utilise des avions pour dessiner des cœurs dans le ciel et renvoie les déjections canines là d’où elles viennent. Le spot, tourné à Buenos Aires et réalisé par Richard D'Alessio, fait encore parler de lui aujourd’hui (dans sa version longue) et se retrouve dans de nombreuses vidéos YouTube traitant des pubs les plus déjantées du monde du jeu vidéo. “Le toucher est, bien sûr, l'un de nos cinq sens, mais c'est le concept de pouvoir au bout des doigts qui est à l'origine de la campagne de marketing de la Nintendo DS”, résume Jim Merrick, directeur principal du marketing européen de Nintendo, au moment des préparatifs.



Afin de prouver que sa console portable est vraiment différentes des anciennes Game Boy, et histoire d’insister sur le fait qu’elle propose des choses que la PSP ne pourra jamais offrir, la marque organise de nombreuses rencontres et met en place des bornes de démonstration dans les grands magasins de toute l’Europe, notamment Micromania et FNAC en France. Au Royaume-Uni, 25 000 bornes sont accessibles au grand public au moment de la sortie de la machine. Rien ne semble pouvoir arrêter Nintendo, pas même les 40 millions d’euros dépensés par Sony, en guise de réponse, pour le lancement européen de sa PSP. En juin 2005, Nintendo annonce avoir vendu 1 million de DS en Europe, chiffre qui sera multiplié par deux au mois de novembre de la même année. Et la PSP dans tout ça ? Elle connaît elle aussi un bon démarrage aux Etats-Unis (mars 2005) et en Europe (septembre 2005), mais se fait distancer au fil des mois. Au final, il se vendra 80 millions de PSP contre plus de 154 millions de Nintendo DS. La console portable aux deux écrans est, encore aujourd'hui, la machine de Nintendo qui a remporté le plus grand succès, et la console portable la plus vendue de l’histoire. Pari réussi pour "Big N", qui ne changera pas drastiquement sa formule avec la 3DS.