Pendant longtemps, les grands noms et les univers les plus saisissants du jeu vidéo ont eu la cote. Sauf qu’aujourd’hui, cette hégémonie est de plus en plus contestée par d’autres titres, voire soumise à davantage de critiques de la part des joueurs. À une époque où le jeu vidéo traverse une crise et doit entamer de multiples transformations pour s’adapter, les grandes franchises ont-elles toujours un rôle aussi fort à jouer ? Si l’on souligne ici qu’elles ont encore l’envie de montrer la voie, de servir de modèles ou de revenir plus fortes que jamais, elles peuvent désormais compter sur de nouveaux soutiens, parfois inattendus : elles ne sont plus seules !
Une année 2025 qui augure du mieux, mais…
Depuis quelque temps maintenant, aux environs de 2023 même si cela avait déjà commencé durant les derniers mois de 2022, le jeu vidéo traverse une crise majeure… et ce sont les développeurs et créateurs eux-mêmes qui en paient le prix fort. En l’espace de douze mois, l’industrie du jeu vidéo a connu un marasme, entraînant des vagues de licenciements sans précédent. Si l’on pensait qu’il s’agissait d’une passade en 2023, l’intensité de cette situation a redoublé en 2024, et ce, dès les premières semaines alors que Microsoft célébrait le rachat d'Activision-Blizzard. Paradoxalement, 2023 et 2024 ont été des années prolifiques en matière de jeux vidéo. Du côté des sorties, on a eu le droit à des productions aussi impressionnantes qu’attendues de pied ferme par les joueurs. Dans la lignée de ses aînées, l’année 2025 s’annonce elle aussi grandiose en termes de sorties.
S’il ne fallait citer qu’un seul titre dans cette myriade de noms affichés au calendrier, ça serait sans conteste celui de Grand Theft Auto 6. Autre événement notable à venir : la révélation et la commercialisation de la prochaine console de Nintendo. Probablement la Nintendo Switch 2 si l’on en croit les rumeurs et autres fuites qui ne cessent de se propager sur les réseaux sociaux tandis que Nintendo reste muet, attendant son heure pour briller. Toutefois, au-delà de ces nouvelles qui réjouissent d’ores et déjà les joueuses et joueurs de jeux vidéo, l’ombre qui planait sur le jeu vidéo donne le sentiment d’être toujours présente. Ces dernières années, l’industrie vidéoludique a commencé à dévoiler ses limites, mettant en lumière la nécessité pour elle de trouver des alternatives, des solutions, de nouveaux modèles pour se renouveler et rester pérenne. Pour autant, la cérémonie des Game Awards nous a semblé démontrer que l’industrie ne souhaitait pas prendre de risques majeurs dans les années à venir : les grandes licences sont toujours là, et certaines sont même sur le retour !
Les grandes licences du jeu vidéo ne sont plus aussi intouchables
On peut le comprendre : rien de mieux qu’un univers déjà bien connu et fortement ancré dans l’inconscient des joueurs et des joueuses pour avoir de grandes chances de s'offrir un joli succès. Pourtant, c’est ce qui est assez paradoxal, encore une fois, on constate que si l’engouement est palpable à un instant t, notamment en raison de l’effet d’annonce au moment où ces fameux projets sont révélés, celui-ci peut vite redescendre comme un soufflé à la sortie. Des exemples de ce genre, il y en a eu pas mal et on le remarque parfois : certaines grandes licences du jeu vidéo n’ont plus la cote, énième preuve que le marché du jeu vidéo a évolué, que les habitudes de consommation des joueurs ne sont plus les mêmes et que ceux-ci recherchent de plus en plus de propositions originales ou des productions ayant un fort pouvoir de divertissement.
Ces derniers jours, par exemple, on a eu vent du refus pur et simple d’Electronic Arts de reprendre la main sur l'avenir de la franchise Dead Space et de mettre en chantier un quatrième volet à l’aide des technologies actuelles. Il est vrai qu’un nouveau chapitre des aventures d’Isaac Clarke peut faire saliver pas mal de joueurs d’un certain âge, mais ce n’est pas nécessairement un gage de réussite financière, quand bien même il s’agit d’une franchise de renom. La preuve en est avec le remake du premier Dead Space sorti en 2023. Malgré les critiques dithyrambiques à son encontre et les nombreuses qualités du remake, le titre de EA Motive n’a - sans mauvais jeu de mots - pas vraiment motivé autant de joueurs que Electronic Arts l’aurait espéré. Pourtant, le titre s’est vendu à deux millions d’exemplaires. Oui, en 2023, on peut vendre un sacré paquet de copies et ne pas être considéré comme une réussite !
Quoi qu’il en soit, cette appréciation n’engage que l’éditeur mais il faut reconnaître que la réception, davantage financière que critique, de certaines grosses franchises n’a pas toujours été mirobolante ces derniers mois. On peut entre autres citer le titre Suicide Squad : Kill the Justice League, pourtant chapeauté par l’illustre studio britannique Rocksteady à l’origine des Batman Arkham ; Star Wars Jedi : Survivor à propos duquel Electronic Arts n’a pas communiqué de chiffes de ventes officiels ; Bayonetta qui a divisé par deux ses chiffres de ventes entre le premier et le troisième volet ; le désamour complet qu’il y a eu entre les joueurs d’Overwatch 1, pourtant récompensé du titre de jeu de l’année à l’époque, et d’Overwatch 2 ; ou encore Prince of Persia : The Lost Crown qui offrait pourtant un incroyable nouveau souffle à la licence. L’un des exemples les plus criants qui, en tant qu’adorateur de JRPG, me peine le plus concerne les résultats financiers des deux derniers volets de la saga Final Fantasy (Final Fantasy XVI et Final Fantasy VII : Rebirth) qui n’ont pas répondu aux attentes de Square Enix. D’ailleurs, en voyant FF 16 boudé au moment de son portage sur PC, on est en droit de se demander si les grandes franchises ont encore autant d’impact sur les joueurs…
Des géants qui prennent des risques, c’est ce que les joueurs attendent
Les joueurs de jeux vidéo veulent-ils passer à autre chose ? En vérité, la réalité est plus complexe qu’une totale lassitude ou non vis-à-vis des grandes franchises. Au long de ces deux années, on a pu constater que des séries de jeux vidéo étaient encore hégémoniques dans leur genre respectif : EA Sports FC, Call of Duty, The Legend of Zelda, Street Fighter, Resident Evil, Super Mario, Diablo... Mine de rien, les joueurs sont attachés à certaines des licences les plus cultes du jeu vidéo, même s’ils ne sont pas tendres avec certaines d’entre elles. En fin de compte, les nouvelles entrées de licences phares parviennent à exceller parce qu’elles rentrent dans le cadre d’une pratique annuelle, d’un rituel d’achat (EA Sports FC, Call of Duty…) ou parce qu’elle se montrent suffisamment innovantes pour donner envie aux joueurs de s’y intéresser encore. En 2017, Nintendo se lance un sacré pari au moment de commercialiser Breath of the Wild. Si l’on y retrouve des éléments indissociables de la saga, le cœur du gameplay n’est plus vraiment le même, si bien que certains joueurs de la première heure ont eu du mal à sauter le pas, tandis que d’autres ont totalement lâché l’affaire. Finalement, The Legend of Zelda a su se réinventer, et c’est pour cela que le diptyque, formé avec Tears of the Kingdom, a fait décoller les chiffres de ventes de la licence (un tiers du total des exemplaires vendus).
Le constat est également le même pour Baldur’s Gate 3 et sa réussite est encore plus spectaculaire puisque l’on parle, à la base, d’une licence de RPG à l’ancienne sur ordinateur, née à la fin des années 90 (1998) et en sommeil depuis presque vingt ans. Oui, Baldur’s Gate est un grand nom du C-RPG et aux antipodes des modes de consommation actuels mais les développeurs de Larian Studios, orfèvres en matière de jeux de rôle, ont sû trouver la recette parfaite pour la faire revenir sur le devant de la scène et lui ouvrir la voie du carton que l’on connaît tous désormais. Bref, chacun a trouvé sa petite technique - Hogwarts Legacy avec l’univers Harry Potter, God of War avec son reboot, et bien d’autres -, et c’est bien avec ce genre de réussite en tête que les grandes licences reviennent sans arrêt à la charge… ou se font suffisamment désirer pour surprendre les joueurs et capter leur intérêt. Ce n’est peut-être pas un hasard si la cérémonie des Game Awards était aussi chargée d'annonces en rapport avec des grands noms du jeu vidéo : The Witcher avec la révélation d’une bande-annonce dévoilant quelques informations sur le quatrième volet, Borderlands qui continue d’écrire son histoire avec, lui aussi, un quatrième épisode, Turok qui nous promet de revenir aux origines toujours aussi remplies de dinosaures, Mafia qui, en parlant d’origine, nous emmène découvrir les prémices de la pègre en Sicile et, enfin, la double résurrection inattendue de la série Onimusha et du cultissime Okami. Maintenant que l’effet d’annonce est passé, le plus dur va être de prouver que l’on peut multiplier les opus tout en étant conscient des attentes des joueurs du monde entier tandis qu’on atteint le quart du XXIème siècle.
Des outsiders qui ont de gros coups à jouer pour faire briller le jeu vidéo
À l’heure où le jeu vidéo se popularise de plus en plus, continue d’écrire sa jeune histoire et vit toutes sortes de crises et de transformations, les grandes licences de ce médium sont attendues au tournant. Il faut dire que la plupart ont fait rêver les joueurs pendant des années et que ceux-ci ont vite fait de s’en détourner lorsqu’elles donnent l’impression de ne plus être capables de se renouveler ou d’être en phase avec leurs attentes et leurs idéaux. Forcément, après des dizaines et des dizaines d’années de jeux vidéo, les tendances et surtout les envies évoluent. Désormais, les regards sont plus critiques envers certaines productions et les grands noms du jeu vidéo peuvent être rapidement remplacés par de nouveaux venus dont la tête est remplie d’idées et de concepts inédits. On le constate de plus en plus, les futures grands noms de demain commencent à apparaître et, petit à petit, prennent de vitesse les anciens géants de l’industrie. Désormais, il devient difficile de prédire certains cartons de l’industrie. Avoir un nom connu depuis des décennies sur sa jaquette ou sa fiche de jeu dématérialisée n’est plus un prérequis et, aujourd’hui, parce que les joueurs sont davantage demandeurs de nouvelles expériences, d’univers inédits ou de gameplay novateurs, de nouveaux jeux vidéo parviennent à se faire un nom et à rayonner dans les calendriers toujours plus fournis des sorties. C’est pour cette raison que l’on voit de plus en plus émerger des succès inattendus tels que Palworld, Helldivers II, Black Myth Wukong, Astro Bot (GOTY 2024), Balatro, Stellar Blade, Marvel Rivals, Enshrouded ou encore Warhammer 40 000 : Space Marine 2.
Ceci étant dit, les grandes licences du jeu vidéo ont encore des choses à apporter à l’industrie. Ce n’est pas pour rien que l’un des jeux les plus attendus de la décennie n’est autre que Grand Theft Auto 6. Néanmoins, les grandes licences n’ont pas à porter tout le poids du jeu vidéo sur leurs épaules pour relancer la machine et reconquérir le public. Le jeu vidéo évolue, se diversifie, étend ses horizons et c’est aussi pour cela que les nouvelles productions ont un rôle important à jouer. On ne dit pas que les studios qui émergent, les franchises qui font leur début et les idées ou concepts seront tous plébiscités (les échecs de Babylon’s Fall et Concord ou le pétard mouillé The Day Before laisseront leurs marques) mais il en va du renouvellement général du jeu vidéo. Aujourd’hui, les ventes de jeux vidéo ont reculé de 29% par rapport à 2023, l’un des grands crus parmi ces dernières années, mais l’horizon 2025 paraît plus optimiste. De ce fait, si les grandes licences sont parfois boudées par le public, elles n’ont pas forcément dit leur dernier mot et, surtout, elles ne sont plus seules. Si certaines entretiennent leur longévité, d’autres viennent prêter main forte et continuent de s’imposer (Elden Ring, Cyberpunk, Ghost of (...), les Marvel’s du studio Insomniac) ou tentent fièrement leur chance (Black Myth, Palworld, Hades, It Takes Two, Metaphor, Helldivers) dans un médium qui n’a pas fini de nous surprendre. Plus que jamais, le jeu vidéo ne se résume pas à quelques grands noms, il vit grâce à une pluralité d’idées et de propositions et, bien évidemment, grâce aux créateurs qui font des pieds et des mains pour donner vie à leurs fantasmes vidéoludiques dans l’espoir de nous faire rêver en retour : l'avenir du jeu, il n'est pas placé entre les mains de quelques-uns, chacun peut s'en emparer.