
Une enquête Mediapart/Criirad révèle que l'eau du robinet de 10 millions de Français présente un taux de tritium, déchet radioactif, cinq fois supérieur à la norme. Des villes majeures sont concernées, soulevant des inquiétudes sanitaires et des questions sur la transparence des contrôles. Une carte interactive permet de vérifier sa commune.

On boit de l’eau contaminée ?
Une enquête conjointe de Mediapart et de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) révèle une situation préoccupante : plus d'un Français sur sept, soit environ dix millions de personnes, consomme régulièrement une eau du robinet dont la teneur en tritium, un déchet radioactif issu des centrales nucléaires, dépasse les normes recommandées. Cette révélation, publiée par Mediapart et appuyée par une carte interactive mise en ligne par la Criirad, soulève des questions cruciales sur la sécurité sanitaire de l'eau potable et la transparence des informations relatives à la radioactivité.
L'enquête met en lumière des concentrations de tritium atteignant 2 becquerels par litre (Bq/L) dans l'eau distribuée à des millions de foyers, un niveau cinq fois supérieur à la norme généralement considérée comme acceptable. Si ce taux reste en deçà de la limite légale de potabilité fixée à 10 000 Bq/L par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l'inquiétude persiste quant aux effets potentiels d'une exposition prolongée à des niveaux de radioactivité, même faibles, notamment pour les populations les plus vulnérables.
Les zones géographiques les plus touchées par cette contamination sont situées à proximité des cours d'eau accueillant des centrales nucléaires, notamment la Seine, la Loire, la Vienne, la Garonne et le Rhône. Des villes importantes comme Paris, Nantes, Angers, Tours, Orléans et Lyon figurent parmi les agglomérations où des taux de tritium significatifs ont été relevés. La Criirad souligne toutefois que ces données ne représentent probablement que la partie émergée de l'iceberg. En effet, l'absence de contrôles systématiques dans certaines communes, ou le manque de publication des résultats, rend difficile une évaluation exhaustive de l'étendue réelle du phénomène. La carte interactive mise à disposition par l'organisme permet aux citoyens de vérifier si leur commune est concernée par cette contamination.
Un manque de réglementation ?
L'enquête de Mediapart et de la Criirad soulève des interrogations quant à la gestion de la radioactivité en France et à l'information délivrée aux consommateurs. Si la réglementation impose une enquête dès lors que le seuil de 100 Bq/L est dépassé, aucune action concrète n'est entreprise pour des concentrations inférieures, malgré les signaux d'alerte lancés depuis plusieurs années. Des mesures intermédiaires, parfois préoccupantes, comme celles enregistrées dans la Vienne (65 Bq/L en 2017) ou à Angers (56 Bq/L en 2019), semblent ainsi être passées sous silence.
L'absence de consensus scientifique sur les effets à long terme d'une exposition chronique au tritium renforce l'inquiétude. Si le seuil de potabilité fixé par l'OMS est largement supérieur aux taux actuellement observés, certaines études pointent du doigt des risques mutagènes potentiels, susceptibles d'augmenter les risques d'infertilité et de maladies. Face à ce manque de certitude, le principe de précaution devrait inciter à une vigilance accrue et à une transparence totale sur les données relatives à la radioactivité dans l'eau potable.
Se tourner vers l'eau en bouteille n'apparaît pas comme une solution viable. Outre son impact écologique désastreux dû à la production et à la gestion des déchets plastiques, l'eau embouteillée n'est pas exempte de risques, notamment en raison de la présence de microplastiques. La solution réside plutôt dans une politique ambitieuse de réduction des rejets radioactifs des centrales nucléaires, couplée à une surveillance renforcée de la qualité de l'eau potable et à une information claire et transparente des citoyens. L'enjeu est de garantir à tous l'accès à une eau saine et sans danger, un droit fondamental qui ne saurait être compromis par des considérations économiques ou politiques.
La publication de cette enquête devrait inciter les pouvoirs publics à réagir et à prendre des mesures concrètes pour garantir la sécurité sanitaire de l'eau potable. Il est impératif de renforcer les contrôles, d'améliorer la transparence des données et d'investir dans des solutions permettant de réduire les rejets de tritium dans l'environnement. L'avenir de la santé publique en dépend.