La série Fallout sur Amazon est le cas d’école du lien entre cinéma et jeu vidéo

Pendant très longtemps, le milieu cinématographique n’a pas forcément tiré le jeu vidéo vers le haut. Désormais, il y a pas mal de noms sur la liste des longs-métrages jugés comme étant les pires adaptations de jeux vidéo : Super Mario Bros. (1993), Alone in the Dark (2005), Lara Croft : Tomb Raider, Double Dragon (1994), Resident Evil : Afterlife et bien d’autres encore. Finalement, on se rend compte que des adaptations catastrophiques ou, au mieux, dispensables n’ont jamais vraiment cessé d’exister. Heureusement, la balance s’équilibre de plus en plus et on peut même imaginer, au vu de certains succès récents, que la tendance s’inverse très clairement. L’un des exemples les plus concrets et les plus actuels que l’on peut fournir, c’est évidemment la série Fallout sur la plateforme Amazon Prime Video.

Plébiscitée un peu partout sur la toile, récoltant jusqu’à 93% et 89% de recommandations (presse et public), la série Fallout est le cas d’école parfait pour illustrer ce lien cross-média puissant qui est en train de se créer entre les adaptations vidéoludiques, d’un côté, et les licences dont elles s’inspirent, de l’autre. Dans le cas de Fallout, les spectateurs ont pour beaucoup ressenti l’envie de s’intéresser aux nombreux jeux vidéo sortis depuis le premier volet. D’ailleurs, ce ne sont pas des cas isolés puisqu’au sein de la rédaction, nous avons aussi pu éprouver cette sensation. Au bout du compte, l’afflux de joueurs a été encore plus conséquent que ce que l’on pouvait imaginer puisque, d’après le compte officiel de Fallout sur le réseau social X, se sont pas moins de cinq millions de joueurs qui se sont rués sur au moins l’un des jeux de la licence Fallout.

Pour le coup, Bethesda a été plutôt malin sur ce coup, car ce n’est pas seulement la série en elle-même qui a joué un rôle moteur dans ce regain de popularité. Les offres commerciales ont, elles aussi, eu un impact important. En l’occurrence, une offre d’essai gratuit pour Fallout 76 coïncidait parfaitement avec la sortie de la série Amazon, et elle a effectivement réussi son coup puisqu’on estime qu’un million de joueurs se sont laissés tenter ! À l’inverse, d’autres joueurs ont même investi une partie de leur argent, au risque d'être déçu, dans l’achat de l’un des jeux. Alors que l’actualité et le calendrier sont quelque peu saturés avec les grosses sorties à répétition (FF7 Rebirth, Dragon’s Dogma 2, Rise of the Ronin…), c’est Fallout 4 qui réalise une percée dans le classement des meilleures ventes Steam.

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Les projets cross-média, une stratégie aux effets concrets ces dernières années. Mais…

Devant ce constat, on peut se demander si de plus en plus de grands noms du jeu vidéo (constructeurs, éditeurs, studios) ne vont pas vouloir tenter l’expérience avec l’une de leurs licences pour espérer reproduire un exploit semblable. C’est une possibilité mais cette stratégie cross-média n’est pas vraiment une science exacte tant elle a prouvé qu’elle n’était pas forcément efficiente à chaque fois. Pour s’en rendre compte, on peut étudier plusieurs exemples qui ont fait leurs preuves ou non, et on se rend vite compte qu’il y a déjà un facteur d’aura et de notoriété qui rentre en jeu. Dans un premier temps, intéressons-nous et jetons un œil au catalogue de CD Projekt Red, notamment les scores de The Witcher 3 : Wild Hunt et de Cyberpunk 2077. Dans le cas des aventures de Geralt, il y a bel et bien eu une influence de la sortie Netflix.

Que ce soit en décembre 2019 et 2021, les deux saisons de la série Netflix ont eu un vrai impact sur les chiffres de fréquentation du troisième opus : un pic à 103 329 joueurs (enregistré en janvier 2020, le plus gros pic de joueurs du jeu !) pour la saison 1, un pic à 78 592 joueurs (enregistré en janvier 2022). Même la série dérivée, L’Héritage du Sang (Blood Origin, en VO) a permis à The Witcher 3 de connaître un autre regain de popularité avec un pic de 89 451 joueurs (enregistré en décembre 2022). Il faudra donc surveiller l’évolution avec le lancement de la saison 3 de The Witcher, mais l’on sent déjà que l’emballement est aussi dû au caractère inédit de l’adaptation. Pour Cyberpunk 2077, c’est un peu le même son de cloche. En l’espace d’un mois, la sortie de la série animée Cyberpunk Edgerunners a permis au jeu de CD Projekt de multiplier son nombre de joueurs actifs par 7, passant de 18 835 à 136 724 joueurs.

Certes, les chiffres évoqués proviennent du marché des jeux PC mais ces phénomènes se sont aussi produits pour les jeux prévues sur consoles de salon. Il y a plus d’un an, pour la sortie de la série The Last of Us de HBO (diffusée sur Prime Video), les scores de ventes du jeu original ont explosé sur PlayStation 4 et 5. Quelques mois plus tard, Nintendo se félicite également de l’impact de Super Mario Bros. Le film sur l’augmentation des ventes de jeux Mario entre avril 2023 (mois de sortie du film) et septembre 2023 (fin du deuxième trimestre financier), sensiblement supérieure d’une année à l’autre. En fin de compte, lorsque l’on regarde ces phénomènes, on se rend compte qu’ils sont avant tout ponctuels. Parfois, les scores moyens sont plus reluisants sur la durée qu’avant diffusion mais l’on remarque qu’ils s’effondrent forcément, démontrant que les films et séries n’instaurent pas une tendance durable. En réalité, plus l’on étudie ce phénomène, plus on se rend compte que de nombreux facteurs et de contre-arguments à cette stratégie, présupposément vertueuse, rentrent en ligne de compte et qu'il n'y a aucune véritable garantie.

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La popularité et le public, une science et un sujet bien plus complexes que ce que l’on peut croire

Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. C’est ce dont on s’aperçoit pas mal lorsque l’on jette un œil à l’ensemble des projets de films et de séries adaptés de jeux vidéo, et c’est ce qui nous fait dire qu’il ne faut pas croire qu’il suffit de réaliser un projet annexe pour permettre à une licence de bénéficier d’un second souffle. D’une part, cela reviendrait, entre autres, à occulter le travail des développeurs qui, par leurs seules actions, sont capables d’inverser une tendance. Il est vrai que Cyberpunk Edgerunners a fait du bien à Cyberpunk 2077 mais rien ne vaut le renouveau offert par l’extension Phantom Liberty et la version 2.0. Depuis la sortie, la moyenne de joueurs est bien plus élevée qu’auparavant. D’autre part, la stratégie cross-média n’a pas toujours été payante, et ce, pour plusieurs raisons.

Déjà d’une, il y a l’attractivité du projet à prendre en compte. Parfois, il s’agit d’un genre de production à la mode ou d’un projet dont on peut être sûrs que les personnes impliquées sont un gage de qualité (Jonathan Nolan pour Fallout, Craig Mazin pour The Last of Us pour ne citer qu’eux). Deuxièmement, il y a l’aura de l’univers dont le projet est extrait et, surtout, sa capacité à parler au grand public. Y a-t-il vraiment eu un nouvel élan pour les jeux de la série Uncharted lors de la sortie du film de Ruben Fleischer, pour les jeux Halo suite au lancement de la première saison de la série Paramount+, pour Sonic et Gran Turismo en réaction aux longs-métrages diffusés dans les salles de cinéma ? Eh bien, pas forcément. Encore une fois, il est difficile de prévoir ce genre de choses. À l’inverse, Granblue Fantasy : Relink n’a eu aucun mal à s’implanter dans le paysage vidéoludique occidental - ce qui est déjà un bel exploit, avec plus de 800 000 copies en dehors du sol japonais - sans forcément devoir orienter avec insistance les joueurs vers la série d’animation (qui avait été en partie mise à disposition sur la chaîne YouTube de Cygames).

On le citait lorsque l’on parlait du gage de qualité, mais il y a également un effet boule de neige provoqué par l’effet prescripteur qui émerge à travers la publication des critiques sur la toile. De fil en aiguille, une critique très positive aura plus facilement de chance de réveiller l’intérêt du public, même si cela ne garantit aucunement le fait que, par la suite, un spectateur se transforme en joueur. Ce qui aide grandement la démarche, c’est le fait que le jeu vidéo s’intègre désormais dans un écosystème de divertissement très large et qu’il entretient des frontières très poreuses avec d’autres objets culturels (littérature, pop-culture, manga/anime), dont le cinéma, et qu’il est plus facile de passer de l’un à l’autre, de faire des ponts. Et puis, pour les moins rodés aux univers de jeux vidéo, un film ou une série reste une porte d’entrée plus accessible, moins coûteuse et chronophage (la durée de visionnage d’une série n’est pas la même que la durée de vie d’un jeu). Dans ce genre de cas, si le spectateur se laisse convaincre, c’est parce qu’il est davantage happé par l’univers et le scénario que par les autres qualités qu’un joueur recherche dans un jeu vidéo, à l'image du gameplay. À l’inverse, un joueur qui connaît une franchise mais n’en apprécie pas les arguments vidéoludiques aura plutôt tendance à savourer la série et à en rester là.

Dans un sens, un projet cross-média, plutôt orienté vers le cinéma, est parfois un bel atout à jouer pour certains acteurs du jeu vidéo puisque leur permet d’ouvrir la porte à un public plus large, et l’on sait que le jeu vidéo ne cesse de se démocratiser au fil des années et des décennies. Cependant, il ne faut pas croire que c’est un lien, voire un avantage, à sens unique, et on a un exemple on ne peut plus parlant, à savoir le film Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs. Malheureusement, à sa sortie en salles, le long-métrage n’a pas rencontré l’effet escompté au box-office. Mais qu’en aurait-il été s’il avait emboîté le pas au lancement de Baldur’s Gate 3 ? Ce ne sont que des suppositions mais lorsque l’on voit l’engouement général qu’il y a eu et qu’il y a toujours pour le titre de Larian Studios, on se dit que le film aurait pu être bien plus populaire grâce à ce monument du RPG. Quoi qu’il en soit, il faudra vérifier si cet eldorado est tangible ou n’est qu’une illusion dans les prochaines années, et ça sera particulièrement intéressant lorsque l’on sait que certains gros poissons sont sur le point de s’essayer à cette stratégie, Sony en tête avec God of War, côté Amazon, et Horizon, côté Netflix.

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