Depuis le mois d'octobre environ, le paysage de l'animation japonaise est chamboulé. Un OVNI détrône Fullmetal Alchemist : Brotherhood, dans le cœur des fans depuis plus d'une décennie. J'ai cherché à comprendre l'origine de cette passation de pouvoir, qui se prolonge suffisamment pour que l'on s'y intéresse.
Dans le domaine du dessin animé japonais, 2024 commence en douceur. S’il y a bien Solo Leveling qui s’élève au-dessus de la mêlée pour sa première adaptation à l’écran, les autres séries diffusées cet hiver semblent moins briser la glace. D’autant qu’il y en a un qui reste bien au chaud, à la place de meilleur anime de tous les temps sur le site MyAnimeList : il s’agit de Sousou no Frieren, au nom anglais de Frieren : Beyond Journey’s End.
Frieren : un univers aux airs de déjà-vu, une aventure inédite
Frieren en tant que top 1 aussi longtemps, même si cela ne peut durer que le temps de sa diffusion, reste un exploit suffisamment fort pour que l’on s’y intéresse. Ce manga (et son adaptation), bien qu’installés dans un univers de fantasy vu et revu, se distingue de plusieurs manières de ses colocataires du classement : s’il affiche bien un côté action, ce dernier est mis au second plan. C’est le côté voyage introspectif qui est ici mis en avant, dans un registre que l’on qualifie régulièrement de slice of life (tranche de vie en français). Un genre qui côtoie rarement les univers fantastiques.
L’œuvre s’intéresse à Frieren, une elfe magicienne ayant fait parti du groupe d’aventuriers ayant vaincu le Roi-Démon. C’est après ce combat final que commence l’histoire avec les décès successifs des “héros de la légende”. Frieren étant l’elfe du groupe, c’est la seule à ne pas dépérir (elle est âgée, au moins, de plus de 1 000 ans) et voit ses compagnons partir de l’autre côté. Si Frieren est d'abord apathique, la perte de ses amis lui provoque un mini-déclic humain : elle se rend compte qu’elle ne sait finalement rien d’eux malgré le temps passé ensemble. On suit alors le cheminement intérieur de Frieren à l’aube d’une nouvelle aventure, humaine cette fois-ci. C’est notamment grâce à Fern et Stark, deux apprentis de ses anciens compagnons qu’elle prend sous son aile, que l’on assiste au mûrissement personnel de chacun.
Convaincu par les premiers épisodes sans être totalement séduit, j’ai décidé de pousser ma curiosité un peu plus loin histoire de voir si je partageais les critiques dithyrambiques affichées sur Internet.
Mtn que j’ai fini frieren plus rien n’a de sens dans ma vie pic.twitter.com/WLtQmfTHt7
— Sak 🇻🇳 (@sakuta16_) March 19, 2024
Une sensation que Frieren s'éparpille
De manière générale, je considère Frieren comme un anime rafraîchissant. Il mélange avec finesse fantasy et slice of life sans trop oublier les scènes d’action de manière à installer régulièrement un suspens. Les protagonistes, peu nombreux, sont attachants et facilement différenciables les uns des autres, même si la profusion étrange de noms allemand peut porter à confusion. Frieren a aussi le mérite d’être très facile à suivre : les arcs narratifs ne sont jamais longs ni trop compliqués à comprendre (repousser les démons d’un château, enquêter sur une vieille connaissance…). On pourrait même dire que Frieren laisse du temps, plus que ses concurrents directs, à ses spectateurs pour qu’ils s’immergent en douceur dans l’univers.
Et c’est un peu ça que je peux reprocher, personnellement, à Frieren : il est, d’une certaine façon, trop novateur pour son propre bien. En voulant mélanger voyage initiatique et univers fantastique, c’est comme si l’œuvre voulait faire cohabiter deux choses antinomiques : la fantasy, qui plus est lorsque le protagoniste est le mage le plus puissant de son histoire, appelle à l’action. C’est clairement en opposition avec le rythme que propose Frieren. Si l’anime affiche des scènes d’action nécessaires pour le dynamiser, c’est à l’inverse au détriment d’autres séquences justement plus adaptées au genre Slice of Life.
Frieren semble un peu avoir les fesses entre deux chaises ce qui, à mon sens, le rend mou. S’il continue à me divertir semaine après semaine, il n’arrive pas à me rendre aussi dithyrambique que les notes laissées sur sa page MyAnimeList. Pour moi, il manque un truc accrocheur. Un truc qui me fasse vivre mon visionnage. J’ai peut-être loupé quelque chose, et suis donc parti me renseigner sur Internet concernant cet enthousiasme débordant de la part des autres spectateurs qui l'ont propulsé au sommet.
Ce que j’ai trouvé sur le net
Après plusieurs heures de lectures sur le sujet, j’ai enfin eu ma réponse. S’il ressort que le manga et son adaptation ne sont pas faits pour tout le monde, ils arrivent à être malines dans leur proposition.
De fait, c'est dans son écriture que Frieren est intéressant à suivre. Bien que le personnage principal (à l'instar de ses deux disciples) ne semble avoir aucun égal sur le champ de batailles, l'œuvre arrive à maintenir son suspens. Et bien que chaque protagoniste semble très fort, cela ne les empêche pas d'être imparfaits. Fern surréagit à propos de Stark, même si celui-ci ne fait vraiment aucun effort pour comprendre ce qu'il a pu faire de mal. De la même manière, la relation maître-élève entre Frieren et Fern s'écarte des modèles traditionnels. L'elfe est paresseuse, traîne au lit... elle n'affiche pas la discipline que l'on pourrait attendre de "la mage qui a vaincu le roi-démon". Un pied de nez que l'on retrouve à plusieurs reprises. Les anciens compagnons de Frieren avaient tous leurs petits défauts : le prêtre affiche un penchant fort pour la boisson, le guerrier nain ne peut pas s'empêcher de trembler avant chaque bataille... Certains ont aussi pu remarquer que Himmel, le héros de la Légende, a réussi à vaincre le Roi-Démon quand bien même il ne réussit pas à retirer l'épée légendaire de son socle.
C'est justement parce que Frieren prend le temps de s'attarder sur ces imperfections qu'il affiche une telle notoriété. Un rythme à la fois lent (consacré à ces passages tranche de vie) et rapide (les arcs narratifs sont bien plus courts que dans les œuvres populaires similaires) qui séduit et divise au sein des spectateurs.
En vagabondant sur Internet, on trouve un peu de tout. Mais ce qui ressort, c'est que Frieren installe de nouvelles bases pour le genre du shônen. Il n'y a pas de jeune garçon qui hurle dès qu'il entre en combat, au contraire : la protagoniste est une elfe au sang-froid inégalable. Il n'y a aucun gag forcé. Les retours en arrière sont nombreux mais jamais longs ni inutiles puisqu'ils apportent des anecdotes intéressantes sur les personnages. À l'instar des combats qu'elle chapote, l'animation (gérée par Madhouse, dont certains sont allés fonder MAPPA) n'est jamais excessive bien qu'elle puisse être d'excellente qualité. On peut même lire sur les réseaux que certains regrettent que cette qualité d'animation soit accordée à un anime "de ce genre" en opposition à d'autres plus action.
frieren animation is god tier
— Nami (@Nami_oh_yeah) March 14, 2024
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Au final, deux conclusions m'apparaissent comme évidentes au moment de justifier le succès de Frieren. Elle reste fidèle au matériau d'origine, ne se force pas à repsecter des codes de réussite suggérées par d'autres œuvres réputées. L'œuvre les utilise même pour en proposer une lecture opposée, efficace et à portée de tous. En d'autres termes, Frieren joue avec les règles sans les suivre et surtout en restant fidèle à son identité.