Quand nous débattons du succès foudroyant de la Nintendo Switch, nous citons son concept hybride comme étant une des principales causes de son triomphe. À la fois console de salon et machine portable, elle est parvenue à parfaitement fusionner deux domaines où la firme de Kyoto avait une forte présence. Pourtant, en 1995, SEGA avait tenté le même genre d'aventure. Avec pertes et fracas.
Sommaire
- La victoire dans la poche
- Hybride, et pas une ride ?
- Nomad saoule
La victoire dans la poche
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la guerre du jeu vidéo se déplace vers de nouveaux horizons. Autrefois confinée aux maisons, elle s’exporte dans les cours de récréation avec l’avènement des consoles portables. En s’appuyant sur son expertise acquise grâce aux Game & Watch, Nintendo se lance dans le plaisir nomade avec la première console portable de son histoire, mais pas de l’histoire. Après le succès mondial de la NES, c’est désormais la Game Boy qui s’arrache comme des petits pains.
En face, SEGA, qui a déjà perdu le premier round avec sa Master System et qui lutte âprement pour imposer sa Mega Drive, sort la Game Gear. La mode des petites machines qui tiennent dans la poche (et le sac à dos) est lancée : de 1989 à 1991, quatre hardwares nomades tentent de s’imposer avec la Game Boy de Nintendo, la Lynx d’Atari, la Game Gear de SEGA et la PC-Engine GT de NEC. Cette dernière adopte par ailleurs une philosophie inédite, celle d’être une version transportable de la PC-Engine, dotée d’un écran LCD et acceptant les jeux au format HuCard. En voilà une idée intéressante !
De la console portable à la console transportable, il n’y a finalement qu’un pas à franchir. En 1989, la société BDL Enterprises travaille sur une NES portable munie d’un écran couleur rétro éclairé, capable de faire tourner presque tous les jeux de la machine de Nintendo. Mais finalement, après moult péripéties, le projet est définitivement abandonné en 1992. À une époque où le monde du jeu vidéo cherche la stabilité économique et où de grands groupes industriels – tels que Philips ou encore Mattel – entrent dans la danse, les acteurs de l’électronique bondissent sur les tendances.
Hybride, et pas une ride ?
Et si l’hybridation de la console de salon et de la machine portable était l’avenir de l’industrie ? Et si les joueurs préféraient n’avoir qu’un hardware pour tout faire ? Et si commencer une partie sur sa TV cathodique puis la continuer dans le bus en allant à l’école était la façon de jouer de demain ? Il est difficile de savoir jusqu’où est allée la réflexion de SEGA, mais en octobre 1995, la société japonaise sort la Nomad aux Etats-Unis. Le fait qu’elle arrive une année après le lancement des machines 32 bits que sont la Saturn et la PlayStation fait qu’elle est considérée par certains comme une vague tentative de recycler la Mega Drive pour la rendre transportable. Une idée que la société avait esquissée en 1993/1994 avec la Mega Jet, une Mega Drive miniature prenant la forme d’une manette, à relier à un écran.
Dans les faits, la Mega Drive et la Nomad disposent bien toutes les deux d’un processeur Motorola 68000 cadencé à 7,67 MHz et peuvent afficher 64 couleurs sur les 512 possibles. La machine portable possède des boutons X, Y, Z, A, B et C, une croix multidirectionnelle, un haut-parleur mono et bien sûr un écran LCD rétro éclairé, indispensable pour s’amuser loin de chez soi. Elle propose aussi sur sa partie inférieure un port manette pour qu’un deuxième joueur puisse rejoindre une partie, voire pour connecter un adaptateur autorisant d’autres participants.
Alors que Nintendo n’a toujours pas dégainé la remplaçante de sa Game Boy, et tandis que la ludothèque de la Mega Drive est suffisamment importante pour garantir une pelletée de bons jeux dès sa sortie, la Nomad ne décolle pas. Vendue à 180 dollars au moment de sa sortie, ce qui est perçu comme trop cher, elle n’a réussi à séduire que les fans hardcore de la marque. Avec seulement un million d’unités distribuées, SEGA décide d’annuler la sortie européenne de la console. Les dés sont déjà jetés : c’est en 1999 que la compagnie japonaise décide d’arrêter la production de ce qui sera sa dernière console portable.
Nomad saoule
Si le concept de la console hybride est bien là, à savoir permettre au joueur de s’amuser (seul ou avec ses amis) aussi bien devant sa TV qu’à l’extérieur de son domicile avec la même cartouche de jeu, SEGA se heurte forcément aux contraintes technologiques de l’époque. Et elles sont nombreuses ! Encore plus gourmande que la Game Gear, la Nomad vide les six piles LR6 dont elle a besoin pour fonctionner en moins de trois heures, ce qui décourage vite les potentiels acheteurs. Autre point important, la console demande qu’on lui fixe un boîtier amovible contenant les piles pour devenir véritablement nomade, ce qui la rend plus grosse et donc plus difficile à transporter/à prendre en main. Enfin, l’écran de la console est à matrice passive. Il provoque donc cet effet de “flou” assez désagréable bien connu des possesseurs de Game Gear.
Avec un concept nomade ayant finalement du plomb dans l’aile, la Nomad ne respecte pas sa promesse principale. Bien sûr, à l’instar de la Game Gear, il est possible de la brancher n’importe où grâce à un câble secteur, mais Nintendo a prouvé que les joueurs préféraient un hardware technologiquement moins puissant disposant d’une bonne autonomie plutôt que l’inverse. L’échec commercial de la console s’ajoutera à celui de la Saturn, ce qui fragilisera SEGA. L’entreprise décidera de jouer son va-tout avec la Dreamcast, à la fin de l’année 1998. La suite, on la connaît : le célèbre constructeur abandonnera le marché des consoles de jeux et se concentrera sur le développement et l’édition.
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Quant à Nintendo, l’entreprise reviendra avec le concept de la console hybride en 2017 par l’intermédiaire de sa Switch et connaîtra un succès retentissant. Avec ses manettes directement intégrées à la machine, son écran tactile et ses excellents jeux exclusivement pensés pour tourner dessus, la machine séduira petits et grands. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elle s’est vendue à plus de 132 millions d’unités.