Quand on pense gros événements sur Twitch, on pense avant tout GP Explorer, Eleven All Stars… Et pourtant de nouveaux ponts sont en train d’être construits entre le monde du streaming et ceux de l’artisanat, de la mode ou encore de la musique. Et c’est surtout du côté des streameuses françaises que ça se passe !
Twitch, plus que du jeu vidéo
“Twitch n’est pas une plateforme de jeu vidéo.” Cette déclaration n’est pas de nous, mais du PDG de Twitch lui-même, Dan Clancy. À l’occasion d’une interview pour le journal Le Monde, il a en effet indiqué que la plateforme était avant tout un lieu de discussion, et que le support choisi n’avait pas forcément vocation à être le jeu vidéo. S’il y a quelques années, une déclaration de ce genre pouvait sembler ubuesque, c’est assez logique aujourd’hui. Depuis quelque temps, la plateforme accueille pléthore de contenus en tout genre n’ayant aucun lien avec le dixième art. Certes, Twitch tourne toujours énormément autour des jeux vidéo, mais pas seulement. La plateforme a activement élargi son champ des possibles en mettant en avant des créateurs de contenu plus portés sur l’art et en créant de toutes nouvelles catégories. Au moment où nous écrivons ces lignes, certaines d’entre elles (Discussion, Musique, Sports, ASMR, Nourriture et Boissons, Animaux, aquariums et zoos, Politique…) font partie des catégories visionnées sur la plateforme.
Ces catégories nouvelles, elles font le bonheur de nombreux créateurs de contenu, et surtout créatrices. Si on jette un œil à toutes les streameuses mises en avant par le collectif Stream’her, une bonne partie d’entre elles proposent un contenu divers, pas forcément lié aux jeux vidéo. Alea_LaBibli fait des ateliers d’écriture, Angelique_tkmk de la traduction, Auram20 de la cuisine, Auroreqoi de la musique, Azalais des game studies, Chikentear du militantisme, PatchyPop de l’artisanat, Pandamnesik_ de la couture… Parmi les streameuses régulièrement mises en avant par Twitch, on retrouve également Pépipin et ses dessins, Bulledop et ses lectures, Llaudem et ses poteries, bonjourAlba et sa musique, DamDam et ses mix ou encore Modiie et ses lives socio. Au moment de choisir un partenaire, la boîte Wecandoo (qui propose des tas d'activités manuelles différentes) s'est d'ailleurs récemment tournée vers la streameuse Sarah LeChat Price. Avec son émission CRAFT, la créatrice de contenu s'attaque à un bien intéressant projet : créer et donner de la visibilité à des artisans aux talents bien différents. Bref, vous l'aurez compris, on a tendance à beaucoup miser sur la créativité et la diversité de contenu des streameuses. Ou alors sont-ce les créatrices de contenu qui vont se tourner, plus naturellement, vers des propositions différentes ?
Bienvenue dans l’aventure CRAFT ✂️ ! Notez bien la date le 28 novembre à 18h sur ma chaîne @twitch !
— Sarah Lechat Price (@sarahlechatttt) November 26, 2023
🔥 On ira à la rencontre de @thomas_segaud_glass_sabbath souffleur de verre pour notre première activité !
En partenariat avec @wecandoo ! #CRAFT #wecandoo #twitchfr pic.twitter.com/LrvQKDF1Rp
La seconde hypothèse ne paraît pas totalement insensée. La plateforme Twitch était très majoritairement masculine à ses débuts. Pour réussir à se faire une place dans un monde pareil, se démarquer, notamment avec d’autres types de contenu, peut s’avérer être la clé. “Pour être irremplaçable, il faut être différente” disait Coco Chanel. Et puis, pour certaines activités, se joue bien sûr l’influence du genre. Historiquement, les ateliers de lecture, par exemple, ont pendant longtemps été presque réservées aux femmes. Il en va de même pour la couture ou la cuisine par exemple. Au vu de l’éducation genrée qu’ont reçu un grand nombre d’enfants, ce n’est pas vraiment surprenant de voir les streameuses s’intéresser plus que les streamers à ce genre de contenu. Mais il ne s’agit là que de suppositions bien sûr. Il est difficile de statuer avec certitude sur le pourquoi du comment. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on sent chez les streameuses françaises une propension à s’essayer à de nouvelles choses, en parallèle de leur amour pour le jeu vidéo.
Et ça, c’est valable même pour les plus grosses créatrices de contenu. On a souvent retrouvé les streameuses qui font aujourd’hui partie du top français à l’initiative de contenus divers et variés, peut-être même plus que leurs homologues masculins. Car si aujourd’hui Domingo fait ses En Cuisine, Trinity a lancé son émission hebdomadaire Miam Miam quelque temps avant. Et qui dit émission hebdomadaire, dit contenu plus fréquent et important. Elle a même également écrit son propre livre de recettes. Jeel, Maghla et Ultia ont également fait plusieurs streams de ce genre. Pour ce qui est des rendez-vous hebdomadaires, on avait également celui de Maghla avec ses streams créatifs Maghlever. Et puis si on se penche sur le top 10 des streameuses de novembre, force est de constater que ça transpire la créativité. Elles sont en effet 7 sur 10 à proposer régulièrement du contenu autre que du pur jeu vidéo sur leur chaîne. Dans le lot, on retrouve la streameuse Trinity qui s’est lancée dans le projet d’une vie : parcourir le monde en van en documentant tout cela sur sa chaîne Twitch. Un genre de contenu innovant qui permet également de souffler un vent de fraîcheur sur la plateforme. Pour le reste du top 10, on a un peu de tout chez tout le monde : du dessin, de la poterie, de la lecture, de la musique… Et cette diversité de contenu proposée n’est pas seulement une bonne chose pour la prospérité de la plateforme. Cela permet en effet de construire des ponts improbables avec des acteurs culturels prestigieux.
Rex Club, Glénat, Fashion Week… Des projets historiques
Encore une fois, on pense beaucoup à Domingo quand il s’agit de faire se rencontrer des mondes bien différents. Il faut dire que grâce à Popcorn et son attrait pour le sport, le streamer a su ouvrir des portes lui donnant accès à des grands athlètes, cuisiniers ou artistes, probablement plus qu'à n'importe quel autre streamer. Récemment, il a notamment organisé une édition IRL de L’Echappée avec le cycliste Pierre Rolland. On pense également au GP Explorer 2 qui a monopolisé l’attention il y a quelques mois. Si ces événements ont fait grand bruit, on a un peu moins entendu parler de ces trois autres projets portés par des streameuses et qui sont pourtant au moins autant impressionnants, du moins dans leur domaine respectif.
Récemment, la streameuse Ultia a présenté sur son live la soirée de lancement de la nouvelle bande-dessinée de Julien Neel : Lou ! Sonata - Tome 2. Un live dans les coulisses d’un événement privé pendant lequel la streameuse a notamment pu s’entretenir avec l’auteur et rediffuser un concert dessiné. Si pour Ultia c'est un véritable honneur de se retrouver au cœur de cet événement autour d’une licence qui a marqué son adolescence, pour Twitch c'est également une avancée importante. Cela montre que la plateforme est devenue un moyen de communication de choix sur des secteurs qui n’avaient pourtant pas de lien apparent avec cette dernière. Car si voir Glénat s’investir dans des émissions manga colle plus avec l’esprit “geek” de la plateforme, se retrouver avec la soirée de lancement des dernières aventures de Lou diffusée en direct sur Twitch, c’est une autre histoire. Ça montre qu’une relation de confiance s’est peu à peu construite entre des acteurs importants du milieu de la bande dessinée et le streaming. Et cette confiance elle s'est dessinée au fil du temps, notamment grâce à des partenariats fructueux comme celui entre Ultia et l'éditeur Glénat qui n’a pas débuté avec cette soirée. La streameuse est déjà intervenue dans les locaux de Glénat à l’occasion d’émissions comme Les Lives Romans Graphiques ou Les Lives imaginaires et a notamment été envoyée au festival d’Angoulême grâce à l'aide de l'éditeur. Notez d'ailleurs que quand Le Stream organisait des émissions autour du bien connu festival d'Angoulême, c'était une autre streameuse, Kao, qui était envoyée sur place, cette fois-ci grâce à un partenariat avec la SNCF. Si des émissions comme Manga Sur ont permis de rapprocher deux média au public concordant, ces streameuses ont aidé à faire valoir Twitch comme une plateforme incontournable même sur des sujets plus variés, de créer des ponts auxquels on n'aurait pas spécialement pensé il y a quelques années.
Elle commence à être à l’aise la petiote 🤓 pic.twitter.com/gLnGKBoHr1
— AVA MIND (@avamind_) May 25, 2023
Et cela vaut également pour le monde de la musique. Si dans le domaine, on a notamment Little Big Whale et Clara Doxal, celle qui nous intéresse aujourd’hui a plutôt opté pour les DJ sets. Non, il ne s’agit pas de DamDam et de ses sessions psychédéliques mais d’AVAMind. La streameuse originaire de Toulouse est passionnée de mix et de musique électronique depuis longtemps. Récemment, elle a décidé de s’y remettre et partage régulièrement ses progrès sur ses réseaux. Tant est si bien que la marque Energyson a décidé de signer un partenariat avec la créatrice de contenu plus tôt dans l’année afin de la fournir en matériel de mixage. Sur le site du spécialiste de la sonorisation professionnelle, on peut lire que l’objectif de ce partenariat est de “redéfinir les standards de l'industrie musicale et d'offrir des solutions novatrices pour les DJs et les compositeurs”, rien que ça. C’est dire l’importance qui est donnée depuis peu à Twitch par le monde de la musique électronique. Et le point culminant de cette association improbable, il a été atteint le 8 novembre dernier.
J’ai été aiguillée par Gaël Mectoob qui mixe proche de chez moi vers le DJ Asdek. Tout ça s’est fait très naturellement, on discutait sur les réseaux, j’aimais ce qu’il faisait, donc je lui ai proposé qu’on se voie pour qu’il me donne quelques conseils, il a tout de suite accepté.
AVAMind pour un portrait sur Konbini écrit par Artoise Bastelica
La streameuse a été invitée à participer à la release party (l’équivalent d’une soirée de lancement pour un EP) de son mentor Asdek à l’occasion de la sortie de son EP You Should Have Closed The Door Before You Left. Même si vous n’y connaissez pas grand chose à la musique électronique, notez que cet événement a rassemblé de très grands noms du milieu dont vous avez forcément déjà entendu comme Vladimir Cauchemar ou Dirtyphonics. Et c’est donc aux côtés de ces figures de la scène techno qu’AVAMind a pu faire résonner ses platines en plein cœur du mythique Rex Club. Ce DJ set prestigieux, surtout pour une personne dont l’activité principale est le streaming, est en train de marquer le point de départ d’un tournant dans les relations entre ces deux mondes. Peu de temps après, AVAMind et Asdek ont été contactés par Riot Games pour remixer Set 10 de Teamfight Tactics et participer à un live un peu particulier. Et on se doute que ce n’est que le début pour cette carrière hybride de streameuse/DJ. Et puisqu’on parlait éclectisme plus haut, c’est intéressant de voir le rapport qu’entretien AVAMind avec son propre contenu. Dans le portrait pour Konbini cité un peu plus haut, elle parle des différents projets qui lui trottent dans la tête. Entre cosplay, maraude, merch et compétition, “il y a plein de trucs qui m’intéressent,” reconnaît-elle, “sauf que je ne peux pas forcément tout avoir quand je l’aimerais. Pour autant, même si certains trucs paraissent inatteignables, ils sont toujours là dans un coin de ma tête.”
Et il y en a une autre qui a plein d’idées en tête : Maghla. C’est d’ailleurs pour les réaliser qu’elle a décidé de se concentrer, en parallèle de sa chaîne Twitch, sur sa récente chaîne Youtube. Récemment, elle a également mis sur pied sa propre émission : Sip and Gossip. Autant dire que son activité sur Internet est plus étendue que jamais, mais ce n’est pas tout. Depuis quelques années, la streameuse s’est rapprochée du milieu de la mode. Si elle a “réfrénée ce côté très féminin dans ses débuts de carrière” par peur de recevoir des remarques déplacées ou désobligeantes, elle a peu à peu pris confiance en ce qu’elle aimait et décidé de le montrer. Tant est si bien qu’en 2022, la marque Yves Saint Laurent toque à sa porte pour lui proposer de devenir l’égérie d’une nouvelle gamme de mascaras. Pour une streameuse française, c’est une première. Mais cette entrée dans l’univers de la mode n’est que le début pour Maghla. Début octobre, elle a défilé pour L’Oréal à l’occasion de la Fashion Week de Paris aux côtés de célébrités comme Kendall Jenner ou Elle Fanning. Même sans trop s’intéresser à la mode, impossible de ne pas saisir à quel point c’est un véritable événement. Si des marques comme Balenciaga ou Louis Vuitton s’étaient déjà intéressé au monde du jeu vidéo, cette rencontre entre Twitch et le monde de la mode est presque historique. Si Maghla s’est déjà dit prête à retenter l’expérience, on est assez curieux de voir si de véritables ponts seront établis entre ces deux univers ou si elle oscillera de l’un à l’autre sans que trop de liens se tissent. Ce qui est sûr, c’est que Maghla a d’une certaine façon inscrit les streameuses dans une autre catégorie en se présentant comme une porte-parole légitime auprès des marques et des événements les plus prestigieux, un peu comme Lena Situations l’a fait sur Youtube.
Attention, le but de cet article n’est absolument pas d’opposer les événements ou les streamers aux streameuses. Mais en un sens, ces dernières apportent une reconnaissance que la plateforme n’avait pas encore dans certains secteurs et un nouveau souffle. Avec la succession de gros projets venant de certaines streameuses, le Twitch français semble s'ouvrir à de nouveaux horizons et s'inscrire dans une dynamique neuve, de plus en plus ouverte à de nouveaux publics. Les événements et projets dont nous avons parlé aujourd’hui ne peuvent que tirer la plateforme vers le haut et on espère qu’elle continuera à nous surprendre de la sorte à l’avenir. Mais ça, ça dépend des streameuses et des streamers qui la façonnent jour après jour, ainsi que les spectateurs que nous sommes.