Si on espère les strass et les paillettes pour l’annonce d’un jeu, le mercato des pontes de l’industrie, quant à lui, est généralement bien plus sobre… C’est ainsi par le biais d’un simple communiqué que nous avons appris, le 27 septembre, le départ de Jim Ryan, PDG de Sony Interactive Entertainment (en gros PlayStation). L’homme quittera les locaux du constructeur japonais en mars 2024 pour une retraite bien méritée. “J’ai savouré l'opportunité d'avoir un travail que j'aime dans une entreprise très spéciale (...) Mais j'ai de plus en plus de mal à concilier ma vie en Europe | mon travail en Amérique du Nord”, confie-t-il. L’Anglais aura donc défini la stratégie de la branche jeu vidéo pendant près de cinq ans, ayant entamé ses fonctions de “big boss” en avril 2019. À compter du mois prochain, c’est Hiroki Totoki, directeur financier de Sony, qui occupera le poste de PDG par intérim afin de “soutenir Jim Ryan et sa transition”. À ce jour, son ou sa futur(e) remplaçant(e) n’a pas encore été désigné(e).

C’est qui Jim Ryan ?

Même si le nom Jim Ryan évoque forcément quelque chose aux observateurs assidus de l’industrie, ce n’est pas le cas du grand public. Alors c’est qui “Jim Ryan” ? Déjà, avant de s’asseoir sur le trône de PlayStation, c’est un vétéran de la marque. En 1994, au lancement de la PS1, l’Anglais fait partie de Sony Interactive Entertainment Europe (ex-Sony Computer Entertainment Europe) ! “Ma mission était de créer les sociétés PlayStation sur le continent”, explique-t-il au micro de GamesIndustry.biz. “Je devais trouver des locaux, embaucher des gens, organiser la distribution”. À l’époque, la division jeu vidéo de Sony compte vingt personnes au Royaume-Uni, mais aucune dans le reste de l’Europe.

Bref, c’est un premier gros chantier. “C’était une tâche très exigeante”, se souvient Jim Ryan dans la même interview. Après ça, l’homme monte en grade et dirige la “fonction financière” de Sony Europe, alors que s’annoncent la PS2 et le passage aux années 2000. À nouveau, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités… À l’aube du nouveau millénaire, le Vieux Continent est un marché qui a ses propres règles (à l’image du Japon) et, avant l’arrivée de l’euro, un tas de devises différentes. Finalement, “l’Europe est devenu le territoire leader de la PS2”, note Jim Ryan. Par la suite, l’Anglais occupera le poste de président de Sony Europe ; de responsable monde des ventes et du marketing chez Sony Interactive ; et de big boss adjoint de PlayStation ! La suite, en 2019, vous la connaissez.

Un “leader inspirant”

Autrement dit, Jim Ryan est un “business man | pro de la croissance” qui n’a pas peur de s’attaquer à de gros chantiers… À l’annonce de son départ, Kenichiro Yoshida, PDG du groupe Sony, le décrit même comme un “leader inspirant” tout au long de sa carrière chez Sony. Et surtout, Yoshida salue le lancement de la PS5 (novembre 2020), alors supervisé par Jim “himself”, en plein COVID-19. Eh oui, ni la pandémie, ni la pénurie de composants n’a empêché la console de nouvelle génération de devenir le “plus gros lancement de console” de la marque. Une jolie performance encore d’actualité, avec un total de 40 millions d’exemplaires constatés le mois dernier ! Tout ça en moins de trois ans.

Alors oui, avec l’immense succès de la PS4, Jim Ryan partait sur de bonnes bases, mais l’industrie nous rappelle assez souvent qu’un triomphe, aussi énorme soit-il, peut très bien laisser place à une sacrée désillusion (la Wii U après la Wii et la PS3 après la PS2). Également, le PDG et ses équipes ont réussi à garder un catalogue d’exclusivités toujours très puissant (Spider-Man, Demon's Souls, Ratchet & Clank, Horizon, God of War) tout en développant une stratégie de rachats agressive, en réponse aux investissements tous azimuts de Microsoft. Alors que l’année 2019 a été marquée par le seul rachat d’Insomniac Games, en 2021, Sony Interactive Entertainment a acquis pas moins de six studios. Quatre autres l’année suivante. L’idée est bien sûr de renforcer le portfolio d’exclusivités de la société, mais surtout d’élargir ses domaines de compétences. Avec Nixxes, PlayStation a une entreprise 100% dédiée au portage PC. Savage Games s’y connaît en jeux mobiles - ainsi de suite.

Quelques sorties de route

Même si tous ces rachats semblent s’inscrire dans un business plan cohérent (dans un contexte où les coûts de développement | les risques financiers ont explosé), ils donnent aussi l’impression que PlayStation se disperse, tire dans tous les sens dans l’espoir que ça paye. On reproche ainsi à Jim Ryan de privilégier à présent les “game-as-a-service” au profit des jeux 100% solo, ces mêmes jeux qui ont pourtant forgé la réputation de la marque au cours de l’ère PS3 | PS4. On entend également parler de “l’américanisation” de Sony avec en gros point noir la fermeture de Japan Studio (The Last Guardian, Gravity Rush). Leurs créations, au-delà de générer des millions, apportaient une certaine fraîcheur au catalogue de PlayStation en marge des blockbusters occidentaux… comme Uncharted. Enfin, le groupe s’est lancé dans la production d’accessoires 100% dédiés à la PS5 - sur un modèle similaire à celui d’Apple. On se retrouve donc avec un casque, des écouteurs, un écran et même un dispositif de jeu à distance next-gen ! L’un dans l’autre, le PlayStation d'antan est quelque peu noyé.

On peut donc dire que le mandat de Jim Ryan souffle le chaud comme le froid ! Malheureusement, l’ex-PDG gardera sans doute une image un peu plus contrastée auprès des joueurs - surtout au vu de certaines déclarations chocs. On lui reproche notamment de s’être opposé au Game Pass pour, finalement, rénover le PlayStation Plus sur la base d’un modèle similaire ; D’avoir été réticent avec le cross-play avant, là aussi, de l’adopter ; Sans oublier ses propos pour tenter d’endiguer le projet de rachat d’Activision-Blizzard-King par Microsoft et de garder Call of Duty sur PS4 | PS5 ! D’après la vice-présidente de l’éditeur tant convoité, Jim Ryan a même déclaré : “je veux juste bloquer cette fusion”. Un objectif à oublier, alors que l’énorme acquisition est sur le point d’être validée. Quoi qu’il en soit, pour quelqu’un qui voulait dès 2019 “faire évoluer le divertissement de Sony” (ses mots lors de sa prise de fonction), tout le monde tombera d’accord sur une chose : le contrat est rempli, Jim.