
Ces derniers jours, on entend parler que de Baldur’s Gate 3 et Starfield… Les deux titres sont (à raison) des bons concurrents au titre de jeu de l’année. Et pourtant, ce ne sont pas eux qui marqueront mon année et ce pour une raison simple : les jeux les plus innovants ne se trouvent pas du côté des AAA mais bien des indés !
Attention, pas de méprise. J’ai lancé Baldur’s Gate 3 et est prévu de m’y perdre pendant de longues heures, j’attends Assassin’s Creed Mirage avec impatience et compte bien platiner Marvel’s Spider-Man 2. Mais au moment de faire mon bilan de l’année, je penserais très certainement à des jeux comme The Wreck, Dredge, DAVE THE DIVER ou encore The Cosmic Wheel Sisterhood. Ce sont eux qui m’ont le plus marqué pour le moment et vous savez pourquoi ? Ils sont véritablement originaux et innovants, que ce soit par leur approche, leur gameplay ou leur concept même. C’est d’ailleurs en discutant de l’envoûtant Chants of Sennaar que l’idée de ce billet a émergé. Entendu dans l’open-space : “y a que les indés pour faire des jeux aussi innovants”. Et factuellement, ce n’est pas idiot de l’affirmer.
Tous les mêmes ?
À vrai dire, ça fait un petit moment que cette remarque me trotte dans la tête, depuis le Summer Game Fest de l’année passée pour être précise. Après avoir digéré la longue cérémonie d’ouverture de l’événement estival, force est de constater qu’il me restait un goût amer de redondance dans la bouche. Entre Aliens : Dark Descent, The Callisto Protocol, Routine ou Fort Solis, c’était clairement une soirée à thème (on n'avait juste pas reçu l'invit) : l’horreur dans l’espace. En plus de ça, on a eu le droit à des suites, des remakes et autres remasters en majorité. Alors, certes c’était un très bon cru avec notamment The Last of Us Part I et Street Fighter 6, loin de moi l’idée de remettre en cause la qualité des titres proposés. Mais toujours est-il que rares sont les jeux à être sortis réellement du lot ou à proposer quelque chose de foncièrement nouveau. Cette année, rebelote ! On a eu le droit à des hommages, des suites, des reboots, des remake en tout genre, mais peu de réelles nouveautés. Et on ne peut pas dire que les quelques IP inédites présentées semblaient prêtes à vraiment innover.

Depuis quelques années, il faut dire qu’ils se sont faits rares, ces gros jeux capables de rabattre les cartes et briser les codes. Si on a naturellement envie de citer Elden Ring et les derniers Zelda, on peine à en trouver d’autres… D’ailleurs, on le voit. Parmi les jeux les plus attendus de cette année, on recense un open-world magique mais classique, une suite convenue d’un jeu Star Wars, un énième jeu de combat, la suite d’une licence historique et de son gameplay habituel, un RPG dans l’espace avec une formule bien connu des joueurs, un jeu de rôles à l’ancienne particulièrement riche et bien réalisé, un retour aux sources pour une licence vieille de plus de 15 ans… Ajoutez à ça les reboots et autres remakes et vous obtenez peu de profondes nouveautés. D’ailleurs, de nombreux joueurs ont déjà exprimé leur déception face à ce sentiment de jouer toujours à la même chose, de ne jamais vraiment découvrir quelque chose de nouveau. Une exception cette année ? The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom bien sûr et son gameplay véritablement innovant, mais c’est la seule. Il y a certainement de multiples raisons à ce manque de recherche d’innovation flagrant mais la plus évidente est probablement la plus simple : ces gros jeux n’en ont pas vraiment besoin.
La plupart se reposent aujourd'hui sur une marque, un gameplay, une licence, une patte graphique, une renommée d’un studio, d’un grand nom… Ils se reposent sur quelque chose de déjà connu, quelque chose qui a fait ses preuves par le passé. Si innovation il y a, elle est plus portée sur les performances, les graphismes… Bref, tout le côté technique qui nécessite des moyens que seuls les plus gros studios peuvent se permettre de déployer pour conserver leur place dans la course. Au final, les AAA n’ont pas vraiment besoin de se démarquer avec un concept, une DA ou un gameplay innovants, ce n’est pas là que les joueurs les attendent (à part un peu Nintendo et sa fameuse école du gameplay)… Et vu que les ventes suivent, ils n'ont pas de raison de se remettre en question et d'essayer des choses nouvelles. Contrairement aux jeux indés qui regorgent, eux d’idées innovantes et réellement originales.
Les indés et leur volonté d’innover
D’ailleurs, si vous cherchiez des jeux innovants lors des différents Summer Game Fest, et bien c’était du côté des indés que ça se passait. Anger Foot, The Plucky Squire, Paper Trail, Skate Story, Melatonin, SCHiM, Laika: Aged Through Blood, COCOON, Neon White, 33 Immortals… Tous ces petits jeux ont tous un côté innovant et ils ont tous fait une apparition au cours d’un Summer Game Fest. Et des petites pépites qui sortent comme celles-ci du lot, il y en a plein chez les indés. Cette année a même été particulièrement fournie à ce niveau.

Une comédie musicale en jeu vidéo ? Stray Gods : The Roleplaying Musical. Un jeu de cape et d’épée ? En Garde!. Un jeu fait main aux airs d’aquarelle ? Dordogne. Un jeu où les lycéens sont en fait des dinosaures ? Goodbye Volcano High. Un jeu narratif réellement surprenant et inattendu ? The Cosmic Wheel Sisterhood. Un jeu d’usines de lettres et de mots ? Word Factori. Un jeu d’horreur qui mêle 2D et 3D ? Holstin. Un jeu de pêche à l’ambiance glauque à souhait et difficile à expliquer ? Dredge. Un mélange ultra additicf entre Subnautica et Cooking Dash ? DAVE THE DIVER. Un jeu d’échecs avec un fusil à pompe ? Shotgun King: The Final Checkmate. Un jeu incompréhensible où c’est à vous de tout déchiffrer ? Chants of Sennaar. On pourrait continuer comme ça longtemps avec tout un tas de jeux. Mais à la place, on va s’attarder un peu sur le dernier jeu cité.




Oui, on en revient encore au jeu dont je parlais plus haut, mais ce n’est pas pour rien. Chants of Sennaar cristallise totalement le propos de ce billet. Ce jeu est une réécriture du mythe de la Tour de Babel, cette tour remplit de peuples incapables de se comprendre et divisés par la barrière de la langue. Votre but ? Rassembler ses peuples. Mais pour ça, il va falloir vous même réussir à déchiffrer leurs différentes langues. Ça donne un jeu totalement incompréhensible au début qui utilise le langage comme ressort ludique et d’enquête. Dans un monde où les joueurs ont l’habitude d’être guidés par un didacticiel et des indications, c’est un changement total de philosophie et c’est ce qui rend Chants of Sennaar si innovant. Du coup, on se retrouve avec une expérience de jeu profondément marquante qui laisse forcément des traces. Le genre d’expérience qui peut pousser un journaliste bien connu à dire “c'est l'un de mes jeux préférés de l'année”, et ce malgré le grand cru de potentiels GOTY sortis cette année.
A week ago I had never heard of this game - now it's one of my favorites of the year. It's called Chants of Sennaar and it's a beautiful, haunting logic puzzle reminiscent of Obra Dinn. Took me ~10 hours to finish. It's out today and you should play it https://t.co/kij8encKIQ
— Jason Schreier (@jasonschreier) September 5, 2023
Ce genre de remarques, on les a souvent entendues cette année pour parler de petits jeux indés. “C'est facilement l'un des meilleurs jeux auxquels j'ai joué depuis le début de l'année” pouvait-on lire sur IGN au sujet de Dave the Diver. Le jeu s’était d’ailleurs hissé au sommet des ventes Steam au moment de sa sortie. Selon le youtubeur et développeur Doc Géraud, Dredge était “le petit banger de ce début d'année”. On voit un peu moins ce genre d’affirmations enthousiastes pour les grosses productions. Alors peut-être qu’on a tendance à être plus indulgents et enclins à complimenter des petits jeux indépendants, mais cela n’enlève rien au doux goût de renouveau que ceux précédemment cités ont laissé derrière eux. Ils ne sont pas parfaits, ils ne sont pas techniquement impressionnants, mais ils laissent une empreinte indélébile, le sentiment d’avoir eu affaire à un OVNI vidéoludique. Et c’est là que l’immersion permise par le jeu vidéo prend tout son sens également.

Personnellement, j’ai besoin d’expériences comme celles-ci dans ma vie de joueuse, et je pense sincèrement que l’industrie en a aussi besoin pour se réinventer. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des gros jeux s’inspirer d’indés innovants. On sent un peu des jeux contemplatifs de Jenova Chen dans l’approche qu’a The Legend of Zelda : Breath of the Wild vis-à-vis de l’exploration par exemple. Plus globalement, le goût des indés pour le pixel art ou des titres spécifiques tels qu’Hollow Knight ou The Binding of Isaac ont joué sur les tendances vidéoludiques. Dès 2009, Mathias Cena dans Slate appelait d’ailleurs à miser sur les indépendants pour sauver une industrie à la dérive. Et d’ailleurs les plus gros ont, depuis quelques années, choisi également de draguer un peu le secteur de l’indépendant. Mais pour être convoité, encore faut-il se démarquer.
Personne ne vous demande de créer le nouveau FPS, RPG ou jeu de foot d’EA. Il ne sert à rien d’essayer de concurrencer des studios de plusieurs centaines de personnes avec des budgets en millions de dollars, qui font probablement le même jeu que vous, mais en mieux.
Kyle Gabler, développeur sur World of Goo dans Canard PC
Se démarquer pour survivre ?
Au final, est-ce que la précarité de la scène indépendante ne serait pas la raison première d’autant d'innovations ? Dans un monde où plus d’une quinzaine de jeux indés sortent tous les jours (6376 jeux indépendants sur l'année 2020), la concurrence est rude. Pour être juste mis en avant (ce qui ne garantit pas le succès), il faut pouvoir se démarquer. Et puisque les indés peuvent rarement miser sur une technique et des graphismes impressionnants, c’est sur le concept, le gameplay et la créativité que tout se joue. Pour survivre, il faut sortir du lot - une problématique que n’ont pas la plupart des grosses productions comme nous le disions plus haut. Forcément, les développeurs vont donc chercher à innover d’une façon ou d’une autre. Et aujourd’hui plus qu’hier.

Car être un développeur indépendant de nos jours, c’est loin d’être facile. Entre l’inflation, les concurrents toujours de plus en plus nombreux ou encore l'avènement des abonnements, ça devient de plus en plus compliqué de rentabiliser son jeu. The Wreck, pourtant plébiscité par la critique et dans la liste de souhaits de plus de 20 000 joueurs, ne s’est écoulé qu’à 2 000 exemplaires. Cela avait d’ailleurs poussé son créateur, le président du studio The Pixel Hunt Florent Maurin, à publier un billet quelque peu morose sur Reddit : “Pourquoi diable prenons-nous la peine de créer des jeux indépendants ?” Dans Canard PC, on a récemment appris qu’un autre gros jeu indépendant français de l’année, Dordogne, s’était particulièrement mal vendu sur Steam. Certains vont même parler d’indiepocalypse, une situation sur laquelle est justement revenu Yamukass pour Canard PC dans l’article cité plus haut.
Après lecture de ce dernier, un paradoxe se profile : si on serait tenté de penser que pour survivre il faut se démarquer, la règle semble tout autre pour les premiers concernés. Pour réussir à financer son jeu, il faut convaincre ceux qui détiennent les gros billets et pour ce faire, il faut opter pour une étude comparative. “C'est important de prédire les ventes pour savoir convaincre un financeur,” explique Stan*, patron d’un studio indépendant, dans l’article. “Il n’y a pas 36 techniques : on se base sur les wishlists Steam et sur le nombre de commentaires des jeux qui ressemblent au nôtre.” Au fil des lignes et des témoignages, on comprend que les éditeurs sont frileux. Ils ne cherchent pas un jeu qui sort du lot, mais un jeu qui ressemble à ce qui marche !
Des éditeurs nous disent que c'est la meilleure présentation qu'ils aient jamais vue, ou qu'ils sont super enthousiastes de nous recevoir... et pourtant. Certains nous disent qu'ils n'ont pas le budget (un million d’euros), mais plus curieux encore, ils nous disent de plus en plus qu'ils ne veulent pas prendre de risque et qu'ils ne signent que des projets "faciles" : au-delà de l'excellence, des suites, ou des jeux basés sur des licences existantes.
Thomas Altenburger de Flying Oak pour Canard PC

Alors, si ce n’est pas la nécessité de se démarquer, qu’est-ce qui fait que les jeux les plus innovants se trouvent du côté des indés ? Est-ce que c’est juste une histoire de ratio ? Que sur plus de 6000 jeux à l’année on est obligé de se retrouver à la fin avec une dizaine de concepts particulièrement originaux ? Que si l’industrie des AAA se contente d’un ou deux game changer tous les deux/trois ans, c’est uniquement car elle produit peu en comparaison ? Ou bien est-ce que l’industrie indépendante est plus attrayante pour les esprits les plus libres et créatifs ? En tout cas, il y a des exemples qui vont dans ce sens comme l’histoire d’Arnt Jensen dont le génie créatif était bridé chez IO Interactive, avant de se libérer au moment de passer en indé pour développer le révolutionnaire Limbo. Difficile à dire et cela mériterait certainement un article à part…

En attendant de trouver toutes les réponses à ces questions, je ne peux que vous inviter à soutenir les jeux précédemment cités ainsi que les pépites d’originalité passées et à venir. Dans chaque industrie, le client est roi et fixe les règles, parfois malgré lui. Pour que les indés continuent à innover, il faut leur donner les moyens de faire valoir leurs idées que ce soit en les achetant, en en parlant, en se renseignant ou en relayant les quelques informations qui subsistent encore à leur sujet. Auquel cas l’industrie du jeu vidéo ne sera plus qu’un marasme de …-Like dépourvu de réelles nouveautés et sans grande saveur. Ce serait bien dommage de devoir se priver de ces quelques bouffées d’air frais, vous ne pensez pas ?