On le sait, HBO aime les séries dérangeantes et sulfureuses. Cette série vendue comme une critique provocante de l'industrie de la musique avait donc un producteur tout trouvé. Mais l'illusion n'a pas fonctionné bien longtemps et la première saison de cette série a été écourtée. Malgré ça, les acteurs se disaient confiants sur une potentielle seconde saison. Mais HBO a sonné le glas de The Idol. Et, la chaîne a très bien fait puisqu'il n'y a vraiment rien à en garder dans cette série. Pire, elle est même presque dangereuse !
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
The Idol, une mauvaise série ?
19/100 sur Rotten Tomatoes, 4,7/10 sur IMDb, 2,5/5 sur AlloCiné… Cela faisait longtemps que l'on n'avait pas vu des notes aussi basses pour une série, qui plus est une série HBO. Et encore, ce n'est rien face aux mots forts qui ont été employés pour décrire cette nouvelle production. "Puante", "show faussement glamour qui tutoie les frontières de la pornographie", "plus ridicule que sulfureux", "honteuse, sale, régressive, un fantasme masculin écœurant, un mauvais film pornographique"... Mais alors de quelle série on parle ? De The Idol, la nouvelle réalisation provocante et sulfureuse (du moins vendue comme tel) de Sam Levinson. Cette série, pourtant très attendue, était déjà sous le feu des critiques avant même sa sortie. Entre sa diffusion lors de la sélection Hors Compétition du dernier Festival de Cannes, les révélations de Rolling Stone concernant son tournage a priori chaotique et les scènes choquantes retirées, les choses avaient très mal commencées pour The Idol. Mais cette mauvaise presse s'est donc révélée méritée une fois les épisodes sortis.
The Idol est une mauvaise série, tout le monde ou presque s'accorde pour le dire. Pourquoi ? A vrai dire, pour beaucoup de raisons. Déjà, il y a le scénario qui s'éparpille trop pour rester cohérent, passe du coq à l'âne sans aucune raison et laisse beaucoup trop de blancs et d'incohérences. Du coup, ça donne aussi des personnages sans évolution logique et assez fades. Puis il y a le mauvais jeu d'acteur d'Abel Makkonen Tesfaye (The Weeknd), qui risque d'avoir du mal à réussir sa reconversion après une telle prestation. Même l'aspect sulfureux faussement provocateur est plus ridicule qu'autre chose, avec des scènes de sexe aussi mal filmées que risibles (le glaçon, vraiment ?). Euphoria, autre série chapeautée par Sam Levinson, n'est pas exempt de défauts mais propose tout de même des scènes plus convaincantes que ce simulacre de plaisirs malsains. À dire vrai, même Cinquante Nuances de Grey est plus réussi à ce niveau...
Vraiment, rien n'est bon dans The Idol, à part peut-être les musiques. Pour le coup, s'il faut retenir quelque chose de positif de The Idol, c'est bien sa bande-son. Et encore une fois, quasiment toutes les critiques s'accordent là-dessus. Tout comme elles s'accordent à dire que The Idol propose quelques plans esthétiquement très réussis et que Lily Rose Depp réussit diablement bien à donner vie à ce personnage qui ne mérite pas son talent d'actrice. Mais c'est grosso merdo tout ce qu'il y a à tirer de cette première saison. Alors, pourquoi me suis-je lancée dans le visionnage d'une série que je savais mauvaise ? Pourquoi s'infliger 5 heures de ce que tout le monde s'accorde à qualifier de l'une des pires séries d'HBO, voire même de l'histoire ? Ce qui m'y a amené, c'est ce que j'ai cru comprendre qu'il sommeillait en' The Idol bien plus que les défauts classiques d'une mauvaise série. Ce que renvoie la série est ignoble et, histoire de ne pas parler sans connaître, il fallait que je m'en assure par moi-même.
Plus qu'une mauvaise série
Parce qu'en vérité, des mauvaises séries, il en existe déjà plein. Peut-être même avez-vous votre petit plaisir coupable, une série objectivement nulle mais qui vous happe sans que vous puissiez déterminer pourquoi. Le truc avec The Idol, c'est que cette série n'est pas juste mauvaise, elle est profondément malsaine. Le principe de base était pourtant louable : dénoncer une industrie musicale gangrenée par l'appât du gain et les règles du marketing, aux dépens parfois des artistes, ceux-là même qui lui permettent d'exister. Amy Seimetz, la réalisatrice originelle de la série, souhaitait ouvertement "dénoncer les violences physiques, psychologiques et sexistes subies par de nombreuses jeunes stars des années 2000". Des exemples connus, il y en a toute une pelletée, à commencer par celui de Britney Spears. Bref, il y a un vrai sujet à exploiter. Et sur le papier, le projet était d'autant plus intéressant que l'on retrouvait au casting des maillons de cette même industrie.
Oui mais voilà, les plans ont changé quand Sam Levinson a repris la barre, tout en gardant tout de même une partie de ce message. On se retrouve donc avec un premier épisode qui se moque ouvertement de l'hypocrisie de l'industrie et de l'appât du gain des producteurs. Mais par la suite, The Idol se fourvoie totalement dans son approche. À vouloir parler de trop de choses, cette première saison met sur le même plan tout et n'importe quoi : les producteurs égoïstes, les gourous de secte, les pervers en puissance, les starlettes en quête de gloire...
A partir de maintenant, ce billet contient des spoils de la première saison de The Idol.
En fait, dans cette série, il n'y a pas vraiment d'échelle de valeur. Le méchant manipulateur de l'épisode un devient la victime du suivant et ainsi de suite. Jusqu'à ce qu'on se rende compte, lors de l'ultime dénouement de la saison, que la victime originelle, celle que l'industrie musicale est censée manipuler, objectiver, est en fait celle qui tire les ficelles depuis le début... Du coup, on ne sait plus qui pointer du doigt, qui est l'immonde saloperie que l'on est censé haïr. Enfin si, à la fin, la série nous pointe donc une coupable : Jocelyn, la chanteuse interprétée par Lily Rose Depp. C'est donc ça le message de cette série censée être une satire de l'industrie : ne vous fiez pas aux apparences, les pires ordures sont les artistes eux-mêmes. Et puis, il y en a d'autres, des messages border dans cette série comme celui qui dit que "pour être un bon artiste il faut avoir subi des sévices et/ou traumatismes" ou celui qui a poussé les équipes de la série à croire qu'il serait bon de venir ajouter à tout ça une histoire de fausse accusation de viol. Et avec ce dernier point, on touche du doigt un autre gros problème de cette série : ce mélange malsain entre culture du viol et représentation ultra-sexiste.
L'anti #MeToo
À un moment, l'ex de Jocelyn, acteur bien connu dans l'univers de la série, débarque chez elle et, après une bonne partie de jambes en l'air, s'en va. Mais au passage, il fait une photo avec une "fan" et on comprend très vite que son but est de le piéger. Et ça marche, puisqu'on comprend qu'une simple fausse accusation de viol suffit à mettre à mal toute sa carrière. Outre le fait que la scène est absolument incohérente et sans réel intérêt dans l'histoire au final, elle vient un peu plus renforcer le mythe selon lequel les fausses accusations de viol seraient omniprésentes. Et le monde n'a clairement pas besoin de ça.
Alors certes, les fausses accusations de viol existent, il y a même eu toute une flopée d'études à ce sujet. Mais elles ne constitueraient que 4 % à 9 % des plaintes (selon l'étude de 2009 Different systems, similar outcomes? Tracking attrition urope and the United States have in reported rape cases across Europe). Pas de quoi brandir l'argument de la potentielle fausse accusation à chaque affaire du coup... Surtout que cette statistique est à remettre en perspective. Dans le lot, on compte en effet les personnes qui mentent sciemment, celles à qui la mémoire leur joue des tours et celles qui ont été à tort définie comme tel. Et ce chiffre, il ne se rapporte qu'aux plaintes déposées. Quid des viols qui ne font pas l'objet d'une plainte ? S'ils sont difficiles à chiffrer, ils sont indéniablement nombreux. Selon le gouvernement français, 94 000 femmes en moyenne sont victimes de viol ou de tentatives de viol chaque année (2011-2018). Pourtant, en 2018, on enregistrait que 8100 plaintes dans le pays (chiffres en nette augmentation aujourd'hui). Il y a donc forcément un gros problème. Ajoutez à cela le fait que les plaintes pour viol ou agression sexuelle mènent rarement à des sanctions (76% des plaintes sont classées sans suite d'après le Ministères de la Défense) et vous obtenez le résultat suivant : seuls 0,6% des violeurs supposés sont condamnés (chiffres de 2022). Il existe un petit graphique (bien qu'à nuancer) qui résume très bien tout cela, celui de The Enliven Project que vous pouvez retrouver ci-dessous.
La réalité de la situation, c'est ça. Et pourtant, à chaque accusation revient le fameux discours visant à accuser la potentielle victime de mentir pour ternir l'image de celui qu'elle accuse. Et c'est dramatique de voir une série HBO faire le choix d'appuyer un peu plus ce mythe qui fait du mal aux victimes et peut en pousser. certaines à se murer dans le silence. Ai-je encore besoin de faire la liste des célébrités dont la carrière n'a pas été détruite suite à une accusation de viol ou d'agression sexuelle ? Gérard Depardieu, Roman Polanski, Till Lindemann (Rammstein), Patrick Bruel, James Franco, Donald Trump, Jared Leto, Luc Besson, Richard Berry, Ben Affleck, Seal, Steven Seagal, Léo Grasset... Difficile de croire que les accusations peuvent briser des carrières (même si cela arrive dans de rares cas) quand on fait la liste non-exhaustive de tous ces gens accusés et qui se portent pourtant très bien, malgré des accusations parfois nombreuses et confirmées par des tiers. Et c'est sans parler de toutes ces personnes pour qui tout le monde savait, des plaintes ont parfois été déposées et il aura pourtant fallu des années avant qu'une condamnation ou une sanction médiatique pointe le bout de son nez (Weinstein, PPDA, Cosby...) . Si toutes ces plaintes manifestement fondées ne suffisent pas, alors imaginez à quel point le nombre de carrières qui ont pu être détruites à cause de fausses accusations cette fois-ci doit être minime... Avec cette scène, Sam Levinson fait un bras d'honneur au mouvement #MeToo. '''Mouvement qu'il tourne d'ailleurs au ridicule notamment avec sa représentation tronquée des coordinateurs d'intimité qui ont justement été implémentés pour s'assurer qu'il n'y ait pas de dérives sur les tournages suite au mouvement.
Alors, c'est quoi le message au juste ? Que cette série aime les femmes uniquement comme des objets de désir, mais les hait le reste du temps ? Qu'une femme forte est une femme qui n'a pas peur de montrer son corps ou de manipuler et anéantir les autres pour réussir ? En fait, ce court passage qui m'a révolté n'est que l'apothéose d'un récit qui passe son temps à traiter différemment ses personnages féminins et masculins. Il y a bien sûr le traditionnel male gaze qui nous livre constamment le corps des personnages féminins en pâture. Au moins, dans Euphoria , il y en avait à peu près pour tous les goûts, mais pas là. Et puis, il y a la manipulation qui nous est presque présentée comme une caractéristique féminine. Jocelyn ment et manipule même les plus gros manipulateurs, Jennie n'a pas de scrupules, Destiny fait la taupe, Nikki Katz n'a pas de cœur... À quelques exceptions près, les hommes cristallisent moins la colère des spectateurs. Outre les producteurs et Tedros, les personnages masculins ont plutôt des airs de victimes. Si Xander et Izaak agissent de façon honteuse par moment, c'est surtout par dévotion (ou peur) envers Tedros. Rob existe uniquement pour se faire balader et manipuler par les autres. Et même Tedros, au final, est ouvertement présenté comme une victime dans toute cette histoire. Ce qui ressort à la fin de cette série, c'est surtout une belle brochette de personnages féminins détestables, et c'est quand même un tour de force réfléchi et loin d'être anodin vu le sujet initial...
Alors oui, HBO a eu raison d'annuler la saison 2 de cette série... La maintenir aurait était un non-sens total, d'autant plus que les audiences n'étaient pas bonnes. Merci HBO d'avoir arrêté le massacre et tué une bonne fois pour toute The Idol.