L'héroïne de Fable, ou du moins le personnage féminin aperçu dans le dernier trailer du jeu, serait-elle trop "moche" pour porter l'aventure inédite ? Bien sûr que non.
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
Il y a une raison simple, naturelle et évidente pour laquelle les gens veulent incarner un héros ou une héroïne séduisant(e) : ils apprécient la beauté. Un argument qui ne nécessite pas de justification supplémentaire, pas plus que lorsque l’on exprime préférer une jolie maison à un taudis boueux, ou une Rolex flamboyante à une montre Peppa Pig rose cochon (à part peut-être quand on est un enfant de quatre ans). La logique s’applique également au cinéma : qui aimerait voir un Gollum tout suintant remplacer Ryan Gosling dans le premier rôle de Drive ? probablement pas grand monde, du moins, pas au premier degré. Aussi qui n’a jamais tenté de magnifier sa propre apparence dans un éditeur de personnages de RPG, pour se voir, tout pimpant, arpenter un univers fantastique en arborant un physique des plus séduisants et recevoir les louanges de villageois admiratifs de notre braverie ? Moi, même, je plaide coupable. En outre, il existe une vraie relation entre la beauté et l’attribution de compétences, étudiée dans les branches de la psychologie évolutionniste ; la sociabilité et le leadership sont à ce propos des notions particulièrement associées à la beauté. Parfois, les auteurs de livres comme les créateurs de jeux vidéo veulent que les lecteurs aiment leurs personnages principaux, alors ils les rendent beaux, puisque la beauté fait du bien. Un système simplifié, qui explique parallèlement pourquoi Peter Pettigrow est autant laid à l’extérieur qu’à l’intérieur : pour lui donner un air encore plus détestable. Mais pourquoi les protagonistes dits moches ne seraient-ils pas autorisés, eux aussi, à sauver le monde ? ou à endosser le premier rôle d’une aventure, même en tant qu’anti-héros ?
Pas le droit d’être moche ?
N’y a-t-il pas aussi une place pour les personnages que vous trouvez “moches” ? Spoiler alert, il y en a bien une. Passons les trolls, nains velus et ogres atroces que beaucoup incarnent à longueur de temps sans rechigner. Trevor, de Grand Theft Auto 5, est ultra populaire mais n’est pas tellement un canon de beauté : une immense calvitie semble avoir élu domicile sur son crâne depuis un certain moment, sa peau souffre visiblement des séquelles de l’eczéma et son visage est globalement le témoin des kilogrammes de drogues qu’il s’est enfilé jusqu’à présent. Pourtant, il est un protagoniste de l’un des jeux vidéo les plus lucratifs et appréciés au monde, détenteur d’une dizaine de records. Je n’ai pas souvenir de plaintes à l’égard de son physique désavantageux, loin de coller aux standards de beauté. Raz, le héros de Psychonauts, a littéralement la tête d’une prune jaune séchée, mais détient pour autant un énorme capital sympathie. À l’inverse Markus, l'androïde de Detroit Become Human (Quantic Dream) a beau être calqué sur le physique de la vedette Jesse Williams, il a tout de même le charisme d’une huître.
Évidemment, nul besoin de préciser que la laideur est une notion subjective. Peut-être que ceux qui considèrent Aloy de Horizon et l’héroïne de Fable hideuses le sont d’autant plus dans le regard de quelqu’un d’autre, tout en représentant le plus bel humain du monde aux yeux de leur maman. C'est bien connu, la beauté est dans les yeux de celui qui la considère et l'apparence de certaines personnes changera à vos yeux une fois que vous aurez appris à les connaître. Pour une poignée de joueurs masculins, un héros de jeux vidéo doit être beau pour incarner leur projection idéal, comme une héroïne doit être belle pour incarner l’objet parfait de leur désir dans leur monde de rêve. Soit. Pour autant, les studios de développement font bien ce qu’ils veulent. Et Playground Games a bien raison de s’éloigner des carcans traditionnels pour s’essayer à des types de représentations plus rares susceptibles de modifier drastiquement la perception du monde fictif à leur égard, de façon novatrice, sans le privilège de la beauté.
Fixed Fable? 🤔 pic.twitter.com/U9N7VWMoLi
— Xbox3R 🥊 (@blntforcetrama) June 15, 2023
Éloigner un personnage principal de jeux vidéo des standards de la beauté n’était pas considéré comme un acte wokiste par certains avant qu’Aloy et l’héroïne de Fable, dévoilée dans un trailer dimanche, ne soient montrées au public. Ces dernières heures, une flopée d’internautes influents affichent son mécontentement au sujet du visage de l’aventurière du nouveau volet de Playground Games. Elle ferait preuve d'une laideur si effroyable, qu’elle a valu au trailer un review bombing de pas moins de 10 000 dislikes pour 8 000 likes (avant que la tendance ne s’inverse quelques heures plus tard). “C'est le personnage principal du nouveau jeu Fable de Microsoft. Poursuivant la tendance des personnages principaux féminins étrangement peu attrayants dans les jeux vidéo, parce que la beauté est objectivée”, écrit un internaute indigné. Et comme Aloy, le personnage de Fable a eu droit à un relooking amateur sous Photoshop, lui offrant un visage entièrement maquillé. Soyons sérieux un instant, les joueurs apprécient les mondes imaginaires pour leur immersion autant que pour leur cohérence, justement garante de l’immersion. Une simple dissonance et l’univers créé s’effrite. C’est pour cette même raison qu’Aloy ne prend pas le temps d’appliquer son meilleur gloss avant d’aller chasser des créatures.
C’est juste la recette Fable
Le fait est qu’il n’y a en réalité vraiment rien de surprenant dans le choix de Playground Games de proposer une femme au physique non formaté sur un critère de beauté. La licence Fable s’est toujours éloignée des méthodes traditionnels, proposant une satire du RPG médiéval bourrée d’humour britannique. Elle a un amour sincère pour la comédie et la bêtise et n’a pas peur de ne pas se prendre au sérieux. Et surtout, elle a toujours eu un rapport intéressant avec la beauté. Les choix moraux auxquels vous devez faire face s’appuient sur des représentations manichéennes du monde. L'idée derrière Fable, c'est d’incarner un personnage de sa naissance jusqu'à un âge avancé, et de partir vivre une aventure où chacun de vos choix aura des conséquences sur vous-même et le monde qui vous entoure, sans débuter avec le privilège de la beauté.
Les décisions prises auront un impact non seulement sur le gameplay du titre, mais également sur son esthétique. Le protagoniste dispose d’une barre de moralité ; en adoptant un comportement maléfique, des cornes lui poussent sur la tête. À l’inverse, il aura droit à une auréole. Le joueur peut ainsi décider de ses actions selon l'apparence qu'il souhaiterait revêtir. On parle de jeux à systèmes moraux sans morale. Même manger et boire peut affecter le poids du joueur, ce qui modifie son attrait pour les autres. Et il peut être vraiment intéressant de voir comment un monde fictif réagit à un personnage qui n’a pas le charme habituel de ses compères. En tout cas, le trailer de Fable présage de conserver l’humour pince-sans-rire de la trilogie originale en promettant une expérience inédite qui combine des références classiques avec un gameplay moderne.
“Le bien et le mal, c'est à peine le début, franchement. Fable est l'une de ces rares et fascinantes séries de jeux sur lesquelles personne ne semble s'accorder très longtemps. C'est un jeu de rôle superficiel, ou peut-être un examen intelligent et satirique des jeux de rôle en général. C'est hilarant - oh, les rots ! Ou peut-être que c'est tout simplement juvénile. Ne nous voilons pas la face : Fable est facile au point d'être obséquieux, n'est-ce pas ? Ou peut-être choisit-il de se mesurer à d'autres critères que la simple difficulté ? Il n'est donc pas surprenant qu'avec toutes ces discussions, le monde d'Albion soit si souvent défini par un mécanisme qu'il ne contient même pas.” - Eurogamer