Action, réaction ! Au lendemain de l’annulation de l’E3 2023, le 31 mars, le Summer Game Fest s’est empressé de rappeler que “l’été du jeu vidéo est toujours d’actualité” sur Twitter. Le rendez-vous, qui tiendra sa quatrième édition le 8 juin 2023, promet des “annonces, des nouvelles des 25 éditeurs et développeurs” les plus en vogue du milieu. Ubisoft - qui tiendra sa propre conférence - sera de la partie. Quelques jours plus tôt, l’entreprise française, au même titre que Sony, Nintendo et Microsoft, avait précisé son absence de l’E3. On ne sait pas si le célèbre salon américain s’en relèvera un jour.

“L'E3 signifiait beaucoup pour moi” confie Geoff Keighley, producteur à l’origine de trois événements majeurs de l’année (Summer Game Fest, Gamescom : Opening Night Live, Game Awards). “Il y a 4 ans, j’ai réalisé que le rendez-vous n’évoluait pas (...) dans un monde numérique global. Nous avons donc commencé à bâtir la suite”. En 2020, à cause de la pandémie de Covid-19, l’E3 est annulé une première fois. Les acteurs de l’industrie commencent à élaborer leur propre temps fort vidéo, dans la veine du Nintendo Direct. Keighley propose alors de regrouper ces prises de parole sous une même entité, se réservant des premières mondiales d’ampleur à l’image du gameplay d’Elden Ring (2021). En peu de temps, le Summer Game Fest s’est imposé comme un rendez-vous important de l’année.

De plus en plus balaise

Avec en plus les Game Awards (aussi très influents) et la soirée d’ouverture de la Gamescom, ça ne ferait pas un peu trop ? Florian Velter, ex-rédacteur en chef chez Gamekult, tire la sonnette d’alarme. “L’E3 avait bien des défauts (...) mais alors le modèle Keighley - en seule et unique alternative - c’est vraiment tout sauf une bonne nouvelle” explique-t-il (Twitter). Le journaliste parle notamment d’une ligne édito “dictée par l’argent” ainsi que d’un rythme d’annonces effrené pour toujours plus de profit.

Depuis 2021, le Summer Game Fest se compose d’une soirée inaugurale produite et présentée par Geoff Keighley et d’une multitude de rendez-vous partenaires. Autrement dit, c’est à la fois un show global, à la façon des Game Awards, et des prises de parole externes dédiées | gérées par de gros acteurs de l’industrie (Xbox, PlayStation, Ubisoft, etc). Dans tout cela, Keighley s’occupe avant tout de son propre événement, qui est déjà un gros morceau. L’année dernière, c’était 2h de direct, des jeux en pagaille, un pic à 3,5 millions d’internautes. Une audience 2 fois plus importante qu’en 2021.

Le bon profil pour le job ?

Bref, le Summer Game Fest gagne en puissance et rivalise sans problème avec les plus gros lives jeux vidéo de l’année. Par conséquent, les places pour y figurer ne doivent pas être données. Lors de l’édition 2021, il y avait un manque notable de “petits jeux”, relégués à la section “Days of the Devs”, émission d’une heure accolée au show principal. Parmi eux, de futures sensations de la scène indé, comme Planet of Lana. Dans une interview accordée à Cnet, Keighley affirme que ses rendez-vous visent à “mettre en valeur les développeurs”, que ce soit de grandes sociétés ou des artisans du JV.

Mais, avec tous ses contacts… l’homme peut donner l’impression de privilégier ses amis du milieu ! En 2012, le producteur, à l’époque journaliste, cristallise les critiques autour des avantages offerts aux rédactions par les éditeurs (“press tour”, cadeaux en tout genre), dans le cadre de la promotion d’un jeu vidéo. Une image de Keighley, installée entre une affiche d’Halo 4 | des paquets de Doritos fait le tour du monde. C’est ce qu’on appellera le “Doritos-gate”.

“Je pense que c’est malheureux que Geoff soit devenu le visage de notre ressentiment, à l’égard du mariage entre la publicité et l’industrie de consommation” explique Leigh Alexander, ex-rédacteur JV, à The Ringer : “C’est un grand milieu. Il y a le commercial, il y a l’indépendant, il y a un large éventail de secteurs dans lesquels les gens peuvent bosser, comme Geoff Keighley qui host des spectacles”.

Dans le même papier, Stephen Totilo, journaliste jeu vidéo d’Axios, parle du producteur comme du « meta-marketeur » : “C’est le marketeur des marketeurs, lui qui prend le plan de marketing de tout le monde et qui essaie de voir si vous pouvez rejoindre ces perspectives d’avenir excitantes”. Au vu du succès du Summer Game Fest et des Game Awards - considérés comme les Oscars du jeu vidéo -, la file d’attente de Geoff Keighley doit être longue. L’absence de l’E3 l’a sans doute même allongée.