Cela fait maintenant 10 jours que la série télévisée adaptée de The Last of Us par HBO est disponible, et les discussions et théories poussent un peu partout aussi vite que le champignon meurtrier dévastant l'humanité dans l'univers imaginé par Naughty Dog. Les différences entre le jeu vidéo et la série TV sont scrutées jusqu'au moindre détail, tout comme les clins d'œil et éléments témoignant du respect de l'œuvre originale sortie sur les consoles de salon PlayStation depuis bientôt 10 ans. Cependant, c'est en donnant la parole aux hommes et aux femmes ayant œuvré sur cette adaptation que l'on peut obtenir le plus de réponses, et cela tombe bien puisque HBO Max a recueilli tout un tas de témoignages, du co-créateur de la licence Neil Druckmann jusqu'aux visages incarnant Joel, Ellie et les autres personnages phases de l'univers.

Sarah, un personnage plus important que dans le jeu

Cela ne vous aura pas échappé : l'introduction du premier épisode de la série The Last of Us s'attarde bien plus longuement sur le personnage de Sarah Miller, la fille de Joel. Si le jeu vidéo ne nous laisse pas le temps de nous y attacher avant qu'elle ne soit brutalement arrachée à son père, ce que Pedro Pascal (interprète de Joel) définit comme « cet événement tragique définit qui est le personnage de Joel pour le reste de sa vie », le pilote de l'adaptation imaginée par Craig Mazin (Chernobyl) et Neil Druckmann (co-créateur de la série, et réalisateur du jeu) souhaitait que les téléspectateurs prennent le temps de la connaître :

Nous avons demandé à Nico Parker (interprète de Sarah, NDLR) de jouer un rôle incroyablement délicat : il fallait que le public tombe amoureux d'elle, et qu'elle interprète un personnage très particulier, très différent de celui que Joel découvrira plus tard en la personne d'Ellie. Il était important que les l'audience s'attache à elle comme si elle serait le protagoniste pour le reste de la série, qu'elle est presque jusqu'au désastre qui survient.

'''— Craig Mazin, co-créateur de la série TV The Last of Us

Bien que son rôle dans la série The Last of Us se limite, du coup, à ce qui était initialement l'entièreté d'un épisode 1 finalement rallongé en le fondant avec le deuxième, la jeune actrice d'à peine 18 ans incarnant Sarah a joué son rôle à fond, soulignant la qualité de sa relation avec l'acteur jouant le rôle de Joel. De quoi renforcer avec succès la portée particulièrement dramatique de la scène culte qui changera le destin du héros du premier jeu.

Je ne pouvais pas rêver d'un meilleur papa à l'écran (que Pedro Pascal) (…) La majeure partie du temps, quand vous jouez un rôle, vous ne voyez pas ce que vous avez lu et ce que l'audience voit, vous pouvez créer cette propre narration dans votre tête. D'une certaine manière, vous arrivez à voir quelqu'un mourir pour de vrai alors que vous êtes juste en train de regarder une zone d'herbe. (…) Lorsque j'apparaissais comme effrayée à l'écran, il faut savoir que j'étais naturellement effrayée pour de vrai.

– Nico Parler, interprète de Sarah Miller

Joel et Ellie, une relation forte et unique traitée avec soin

Comme le souligne Neil Druckmann, « l'amour inconditionnel est très beau et effrayant à la fois » et constitue le ciment des motivations de Joel tout au long de l'histoire qui le met sur le devant de la scène bien malgré lui. Craig Mazin insiste sur le fait que « la façon dont Sarah meurt est vilaine, ce n'est pas beau et ça n'a pas pour but d'être beau, sa mort se doit d'être le point de départ de tout » que « Joel est un homme brisé qui rencontre cette gamine » en parlant d'Ellie Williams. L'héroïne principale de l'univers The Last of Us est en effet un personnage avec qui la confrontation va constituer la nouvelle pierre angulaire de son existence. Neil Druckmann explique également qu'en tant que scénariste, l'objectif était de « construire un scénario où un personnage essaie d'échapper à un destin encore pire que la mort » sachant que Joel se voit contraint et forcé de lutter pour « éviter de perdre une fille une seconde fois, une chose à laquelle il ne survivrait pas » ; selon lui, il était nécessaire que Joel soit placé dans une situation où la présence de Ellie l'amène à la rejeter immédiatement, ce que la série accentue très clairement. Il y a cependant une raison à cela : les deux personnages se ressemblent plus qu'ils ne le pensent.

Ellie n'est clairement pas fan de Joel la première fois qu'elle le croise. Leur première rencontre ne les destine clairement pas à devenir meilleurs amis, mais je pense que c'est parce qu'ils ont des personnalités similaires, qui se confrontent et ils ne savent pas comment les faire interagir convenablement.

— Bella Ramsey, interprète de Ellie Williams

Une des différences les plus importantes entre le jeu vidéo et la série réside dans l'ultime scène de l'épisode 1, où le trio constitué de Joel, Ellie et Tess est confronté à un soldat de la FEDRA (l'agence fédérale chargée de la réponse aux catastrophes, NDLR). Dans l'adaptation, contrairement au jeu où deux soldats contrôlent les protagonistes avant d'être tués par balles, Joel abat dans un grand accès de violence le seul et unique soldat s'opposant à eux, qui plus est s'avère être une connaissance avec qui il faisait de la contrebande. La raison à ce changement est aussi simple que logique : la scène est pensée pour faire écho à la manière dont Sarah est abattue dans ses bras par un militaire 20 ans plus tôt, ce qui réveille en lui un flash consécutif à un évident syndrome post-traumatique. Selon Neil Druckmann, « dans les derniers moments de cet épisode, Joel oublie que la fille qui est derrière lui n'est pas sa fille ; un instinct primitif prend le dessus, quelque chose prend le contrôle de lui, sa réaction est violente mais c'est par amour qu'il agit ainsi ». C'est sans doute en vérité le point de départ d'une relation très forte encore non assumée par Joel, mais que Ellie a déjà compris bien plus vite que lui :

La chose la plus remarquable à ce moment, c'est que pendant que Ellie le regarde frapper un homme à mort, elle semble fascinée. À l'inverse, plus tôt dans l'épisode, quand Sarah voit son père tuer cette vieille femme infectée qu'il n'a pas d'autre choix que d'abattre, elle s'effondre en larmes. Ellie ne pleure pas. Ellie aime ça, elle aime l'idée que quelqu'un la défende de la sorte, et l'idée que ce type soit puni. C'est là que vous voyez le début du problème, mais aussi la subtilité de ce duo : ces deux-là sont faits pour être réunis.

– Craig Mazin

Marlene et Tess, deux personnages clés maîtrisés

Même si le cœur de The Last of Us réside dans le duo fascinant que constituent Joel et Ellie, d'autres personnages essentiels au déroulement de l'intrigue ne sont pas à négliger. Pour le coup, deux d'entre eux ont fait l'objet d'un soin tout particulier dans l'adaptation du jeu vidéo en série TV : Tess et Marlene. La première, dont le véritable nom est Theresa Servopoulos (*), est interprétée par Anna Torv, surtout connue pour son rôle dans la série Fringe. Tess est une femme d'allure impitoyable dans le jeu vidéo, presque dénuée d'humanité, bien qu'elle évolue assez vite au contact d'Ellie. Un rôle dont la transformation est plus lentement et intelligemment amené dans la série.

(*) Le nom de Tess est confirmé sur son passeport affiché en ultra haute définition dans The Last of Us Part I, le remake PlayStation 5 à paraître sur PC le 3 mars prochain.

Tess est un personnage que nous avons particulièrement développé. De ce qu'on sait, elle n'a pas vraiment de connexion émotionnelle avec le monde, ce qui fait d'elle la survivante idéale. Lorsqu'elle réalise ce que Ellie représente, à savoir qu'elle détient peut-être la clé du potentiel remède qui peut sauver l'humanité, on découvre qu'il reste quelque chose en elle, qui a toujours été là, mais qui est prêt à complètement refaire surface. Même en se faisant mordre, et en comprenant que sa vie va prendre fin, elle garde espoir et tente d'inspirer Joel pour le convaincre d'emmener Ellie avec lui plus loin que prévu.

— Craig Mazin

Comme le soulignera Neil Druckmann, « lorsque Tess réalise que Ellie est immunisée, il y a immédiatement cette lumière qui s'allume en elle, qui lui fait penser qu'une forme de rédemption est arrivée », une vision confirmée par l'interprète du personnage, qui estime que tout ce qu'elle a pu faire de négatif peut être corrigé par la tournure improbable des événements : « Tess se dit que s'ils peuvent faire ce truc, ce seul truc qui peut potentiellement sauver tout le monde, elle peut en quelque sorte se racheter pour toutes les conneries qu'elle a faites. » Bien que n'ayant pas prêté ses traits (ni sa voix) au personnage du jeu de 2013, Anna Torv s'est parfaitement imprégnée de ce dernier, ce que Merle Dandrige a eu évidemment beaucoup moins de mal à faire. 'L'actrice jouant le rôle de Marlene est en effet celle qui l'interprétait déjà dans le jeu vidéo, un cas unique pour le moment dans la série. Ce qui n'a pas toujours été un avantage à en croire l'intéressée :

J'ai fait la connaissance du personnage de Marlene lors de mes premières auditions pour le jeu vidéo il y a 10 ans. Étais-je convaincue d'être retenue pour le personnage dans la série ? Absolument pas ! Il y a des centaines de personnes travaillant sur le jeu dans le but de vous faire ressembler à Marlene, mais dans la réalité, c'est très différent de me mettre face à une caméra et de l'incarner avec mon corps comme propre instrument. Mon avantage, c'est que j'ai grandi avec elle, et que j'ai énormément de passion et d'amour pour ce personnage.

– Merle Dandridge, interprète de Marlene

Comment rendre les claqueurs réalistes et effrayants ?

Si le bestiaire terrifiant de The Last of Us se compose de plusieurs évolutions d'infectés, la plus notoire de toutes est incontestable : il s'agit des fameux claqueurs, ces créatures dont seul le corps est encore vaguement humain, mais dont la tête entière a été enveloppée par un champignon les ayant aveuglées. Aussi repoussants que fascinants, les claqueurs se devaient bien sûr de faire partie de la série, dont ils sont des personnages clés eux aussi, et d'après les créateurs, les intégrer à l'adaptation fut un des défis les plus compliqués :

Bien avant de commencer à filmer, nous avons réuni tout un tas de gens pour voir comment on pourrait gérer les claqueurs comme il faut. Et par gérer les claqueurs comme il faut, j'entends faire réagir les gens ayant joué au jeu en mode "Mais oui, c'est exactement ça !" Et les gens qui n'y ont pas joué seront terrifiés, en mode "Oh mon dieu !" (NDLR : il mime un air effrayé). Pour montrer les claqueurs à l'écran correctement, j'avais l'impression qu'on devait prendre 5000 décisions précisément comme il fallait. On a fait venir Barrie Gower, qui avait travaillé sur les prosthétiques dans la série Chernobyl. C'est le meilleur.

— Craig Mazin

Barrie Gower, en détaillant le processus créatif des claqueurs pour la série The Last of Us, explique avoir discuté avec ses deux co-créateurs et travaillé sur de très nombreux concept arts préliminaires, qu'il voyait comme un "tremplin" (sic). Toutefois, rien ne valait les originaux issus du jeu, puisque selon lui, « même que nous étions en train de créer de nouvelles visions, nous revenions constamment au design original que Neil et son équipe avait conçu pour les jeux » : de quoi confirmer la vision artistique du jeu vidéo, réexploitée plus ou moins à l'identique pour un résultat probant à la télévision. En effet, la finalité fut une réussite, Craig Mazin précisant que « Neil (Druckmann, NDLR) et (lui) étions impitoyables à ce sujet », ajoutant ensuite qu'ils avaient « trouvé des acteurs terrifiants qui étaient fans des jeux et comprenaient parfaitement les mouvements à reproduire » avant de se déclarer extrêmement satisfait du rendu final à l'écran. Concepteur, avec le staff de Naughty Dog, des claqueurs originaux dans le jeu vidéo, Neil Druckmann ne pouvait que savourer le résultat :

La première fois que j'ai pu voir les modèles finaux des claqueurs, ça m'a mis des larmes aux yeux. C'était si effrayant et si beau à la fois, ça capturait tout ce que l'on essayait de retranscrire avec le jeu, sauf que c'était réel.

– Neil Druckmann

Une révision totale de la propagation de la pandémie

Enfin, un des éléments majeurs de l'univers de The Last of Us ayant fait l'objet d'un changement notable dans la série est bien sûr la façon dont l'infection s'étend et ravage l'humanité. Cette dernière ne part pas exactement du même point que dans le jeu vidéo, et ne se développe pas non plus pour les mêmes raisons, ce qui est dû à la fois à des contraintes de réalisation, mais aussi une volonté de proposer une approche encore plus réaliste et cohérente de cette effroyable pandémie, aussi imaginaire que terriblement crédible :

Un des changements que Neil et moi souhaitions apporter concernait la manière dont le champignon allait s'étendre. Évidemment, nous avons approfondi nos recherches sur le cordyceps, prolongeant le travail déjà effectué par Neil et Naughty Dog par le passé. Nous nous sommes intéressé au mycélium, cette espèce de fil qui constitue le champignon. Dans le jeu, ça se transmet par la morsure et la salive, mais également dans l'air, à travers des spores. Ça peut marcher dans un jeu vidéo, mais dans la réalité, les spores s'évaporent absolument partout. Il est bien trop compliqué de partir du principe que les spores sont localisés et ne s'étendent pas.

(…)

En fait, il y a ce truc qu'on appelle le "wood wide web" (vulgairement, la toile des bois géante, en opposition au "world wide web, NDLR). Le champignon peut communiquer à des distances incroyables. Ce sont des organismes remarquables, qui malheureusement dans ce cas, sont surtout effrayants.

– Craig Mazin

Discutée entre ses deux créateurs, qui de toute évidence ont travaillé en parfaite harmonie avec des points de vue se complétant à marveille, la vision de la pandémie adaptée à la série TV semble en effet moins adaptée au jeu vidéo, mais tout aussi crédible. Selon Neil Druckmann, l'idée (qu'il dit "adorer") de faire opérer le champignon, inspirée des "grands organismes que l'on trouve dans la forêt" (sic) vient de Craig Mazin : « C'est en vérité un organisme unique qui communique entre différentes parties. Si vous touchez une petite vrille ici, vous pouvez réveiller une horde d'infectés à plus d'un kilomètre de là, qui vont du coup vous détecter et se déplacer là où vous vous trouvez. » La horde en question, davantage mise en avant que dans le jeu vidéo, constitue une menace plus importante et encore plus terrifiante que dans ce dernier, au point de devenir ici l'ennemi principal ; Neil Druckmann rappelle que « dans le jeu, ce sont les militaires qui nous pourchassent, mais vu l'orientation prise dans la série, il fallait penser autrement », avant de conclure : « Je trouve ça finalement plus intéressant, et plus dramatique, que ce qu'il se passe dans le jeu. »

D'une manière générale, il semblerait que les deux réalisateurs, finalement tous deux créateurs de sagas post-apocalyptiques, étaient aussi faits pour collaborer ensemble presque autant que Joel et Ellie dans le scénario de l'œuvre qui les a réunis, si l'on en croit leurs déclarations. Craig Mazin trouve ainsi que « Neil (Druckmann) comprend comment créer la peur, et c'est magnifique » tandis que son confrère estime que c'est dès qu'il a discuté avec lui qu'il « est devenu extrêmement enthousiaste à l'idée de ce à quoi ressemblerait cette adaptation. » Les deux premiers épisodes de la série The Last of Us confirment en tout cas cette alchimie entre les deux créateurs, et nous avons d'ores et déjà hâte de visionner le troisième pour confirmer ces excellents débuts.

Pour rappel, la série The Last of Us est diffusée depuis le 15 janvier sur HBO Max, et en France depuis le 16 janvier sur Amazon Prime Video, à raison d'un épisode par semaine jusqu'au 12 mars prochain. Le troisième épisode sera diffusé dans la nuit de dimanche 29 à lundi 30 janvier vers 3h du matin, heure française.

Les déclarations et certaines captures d'écran proviennent de la série de making-of intitulée "Inside the Episode" disponible sur la chaîne YouTube de HBO Max (intégralement en anglais).