La peur est le chemin vers le côté obscur

"Vivez votre pire cauchemar !". C’est par cette interpellation imprimée au dos de sa boîte de jeu qu’Atmosfear (Nightmare aux États-Unis) tentait de vendre son concept audacieux au tout début des années 1990. Trois à six joueurs étaient effectivement invités à se retrouver autour d’un plateau de jeu avec les yeux rivés sur la télévision, ce qui n’était pas commun à l'époque. Par l’intermédiaire d’une cassette VHS introduite au préalable dans un magnétoscope (l’ancêtre du lecteur DVD/BR si des jeunes passent par ici), un maître de jeu lugubre – Le Seigneur des Clés – s’amusait à insulter les participants tout en leur mettant des bâtons dans les roues. Le concept du jeu de société utilisant une cassette vidéo n’était pas inédit, Cluedo l’ayant fait dès 1985, mais c’était une des première fois que cette technique était utilisée pour mettre en scène un antagoniste tirant les ficelles, peu après le méconnu Skull & Crossbones de 1988.

Les règles étaient assez simples. Basé sur les notions éprouvées du jeu de l’oie, Atmosfear demandait aux joueurs de jeter un dé afin d’avancer de case en case dans le but de récupérer six clés grâce au plateau, aux cartes Chance/Temps/Destin ou parfois grâce à la bonté du Seigneur des Clés. Une fois qu’un joueur avait récupéré les précieuses clés, il devait aller sur le cercueil central, faire un six, et lire une carte Cauchemar. Si sur cette dernière ne figurait pas le cauchemar inscrit en début de partie, alors la mission était accomplie et le Seigneur des Clés était vaincu. Les joueurs ne bénéficiaient que de 60 minutes (la durée de la VHS) pour accomplir leur objectif.

C’était donc une course contre le temps rythmée par les apostrophes intempestives d’un maître de jeu volubile que proposait Atmosfear. Le Seigneur des Clés n’hésitait pas à insulter les joueurs de “vermines”, de “vieux débris” ou encore de “cloportes”, quand il ne les envoyait pas directement dans la fosse commune, à savoir la prison du jeu. Bien entendu, l’originalité d’Atmosfear était contrebalancée par l’extrême linéarité des parties : le scénario de la cassette restait identique au fil des parties. Néanmoins, dans le but d’apporter de la variété et de la rejouabilité, le jeu de Brett Clements et de Phillip Tanner se reposait beaucoup sur des cartes à ramasser capables d’influencer le cours de la progression. Des extensions mettant en scène d’autres maîtres de jeu diaboliques (ainsi que de nouvelles cartes et parfois de nouvelles règles) sortiront entre 1992 et 1994 avec Baron Samedi le Zombie, Anne de Chantraine la Sorcière et Élisabeth Bathory le Vampire. Atmosfear - Les Émissaires débarquera en 1995 et proposera d’affronter une nouvelle fois le Seigneur des Clés via une nouvelle vidéo, un nouveau plateau et de nouvelles règles. Définitivement, “le jeu de société vidéo interactif” – comme il se fait appeler – a le vent en poupe au début des années 1990.

Un dé, ça ne vaut pas un bon pistolaser

Alors qu’Atmosfear hante les nuits des fans d’horreur en puisant ses inspirations des monstres classiques de la culture populaire (revenants, sorcières, vampires), c’est un des méchants les plus connus de l’histoire du cinéma qui épouse à son tour cette fusion entre jeu de société et jeu vidéo. “La Guerre des Étoiles, le jeu interactif” atterrit sur la planète Terre en 1996 avec à son bord un plateau de jeu ainsi qu’une VHS mettant en scène l’impitoyable Dark Vador comme maître de jeu. Les participants incarnent des rebelles du système D'rinba devant s’unir pour empêcher la destruction de leur planète par l’Étoile de la Mort, la célèbre station de combat spatiale équipée d’une puissance de feu prodigieuse. Le but est d'anéantir la structure en plaçant six explosifs dans un ordre précis, avec comme seule arme un dé, le tout en moins de 55 minutes. À l’instar d’Atmosfear, le maître de jeu, Dark Vador, intervient régulièrement pour ralentir les joueurs dans leur quête. Il peut arrêter un participant (et son R2D2), fermer des portes, désactiver des explosifs, et même convertir un joueur au côté obscur de la Force. Dans la peau de l’élève, sa mission sera alors d’embêter ses anciens petits camarades.

Ce nouvel essai de Parker dans le jeu de société vidéo interactif avait la bonne idée de placer Dark Vador dans de véritables décors dignes de ceux des films, contrairement aux fonds noirs d’Atmosfear. D’autres personnages, comme des Stormtroopers, étaient également présents au cours de la vidéo. Mieux, des extraits de l’épisode IV ponctuaient la progression, alors que les musiques officielles de John Williams égayaient l’avancée. Il y avait malgré tout plusieurs problèmes soulevés par les fans de la saga. Le premier venait du personnage de Dark Vador, dont les répliques ne collaient pas vraiment avec l’idée que l’on se faisait du personnage. Le manque de rythme des parties malgré la course contre la montre fut également pointé du doigt, alors que les événements importants de la vidéo (Dark Vador qui choisit l’élève) n'avaient plus rien de très impressionnants une fois la première partie terminée. Une année plus tôt, Atmosfear - Les Émissaires avait pourtant plutôt bien réussi l’intégration de joueurs se transformant en opposants, en désolidarisant ce changement de rôle du script de la vidéo. Vous l’aurez compris, ce Star Wars était réservé aux fans de la saga qui acceptaient de n’y jouer qu’une soirée avant de le ranger définitivement dans le placard.

Si Atmosfear a régulièrement tenté de raviver la flamme avec des épisodes DVD (2004) et mobiles (2019), le concept de base n’a finalement pas fait tant d’émules auprès des franchises déjà en place malgré les tentatives DragonStrike, Star Wars, Star Trek ou 24 Heures Chrono. Des jeux de société utilisant la vidéo sont bien sortis, parfois basés sur des licences célèbres telles que X-Files, Wayne’s World ou The Office, mais ces derniers se contentent bien souvent de n’être que des quiz. En ce qui concerne Star Wars, la saga a continué d’exister dans la sphère du jeu de plateau, et a même eu le droit à une édition du Trivial Poursuit… avec un DVD fourni à l’intérieur contenant des extraits des films.