Qu’est-ce que l’art ? Dans mon imaginaire le plus simplifié, c’est une création humaine esthétique ou émouvante. Aussi simple que ça. Si j’essaye de me remémorer mes cours d’art plastique, j’ai aussi le souvenir stéréotypé d’une professeur un peu lunaire qui me demande de développer ma créativité à partir d’éléments tout à fait sommaires ; comme cette fois en classe de 5e quand il m’a fallu construire une cage à mouche à partir d’une briquette de jus de fruits. Au vu de ma définition excessivement schématisée de la chose, je vais plutôt chercher celle de personnes plus éclairées. Pour l’école internationale des métiers de la culture, l’art regroupe les œuvres humaines destinées à toucher les sens et les émotions du public. Bon, ben c’est pas si différent en fait ; c’est même plutôt simple à comprendre et facilement assimilable à une multitude de créations. A partir de lignes de code et d'un peu de créativité, on peut créer de fantastiques œuvres vidéoludiques qui deviennent de l'art.

Ce que j'ai plus de mal à comprendre, c'est la raison pour laquelle une petite part de l’opinion publique estime encore que le jeu vidéo n’est pas un art. Vous vous en doutez peut-être, je relance la question suite à la prise de position d’un certain Jean-Pierre Mignard, un avocat qui, sur Twitter, a affirmé : “un film peut être une œuvre. Un jeu reste un jeu”. En fait, ce n'est pas un avis très nouveau. En 2007, le critique Rober Ebert défreyait la chronique en lâchant avec la plus grande conviction que le jeu vidéo ne pouvait être un art. L'argument ? "Personne, à l'intérieur ou à l'extérieur du monde vidéoludique n'a jamais été capable de citer un jeu digne de comparaison avec les grands poètes, romanciers ou réalisateurs". Mouais, si j’ai pour ma part quelques titres en tête pour refuter cette phrase, pourquoi a-t-on même besoin de devoir comparer le médium à un autre, plus ancien, pour lui donner de la légitimité ?

The Stanley Parable et BioShock Infinite

Étrangement, l'opinion d’Ebert avait rencontré le soutien d’Hideo Kojima, que beaucoup considèrent pourtant comme un créateur d'art. Selon ce dernier, “si 100 personnes passent par là et qu'une seule est captivée par ce que cette pièce dégage, c'est de l'art”. Et de poursuivre : “Un jeu vidéo doit faire en sorte que les 100 personnes qui jouent à ce jeu profitent du service qu'il fournit. C'est en quelque sorte un service. Ce n'est pas de l'art”. Essayons d’y réfléchir sans trop se cramer le cerveau. J’ai tendance à distinguer les purs produits de divertissement d’autres types de jeux. Alors attention, ma perception n’est pas forcément la bonne, elle est nourrie par ma culture du monde et par mes propres goûts. Je ne suis pas en train de dire que j’ai raison. Mais il y a deux notions qui, je pense, régissent ce secteur et qui parfois s’opposent ou s’entrecroisent : l’art et le profit. Quand FIFA répond simplement à une demande et embrasse sans le cacher un cycle de profit, The Stanley Parable tente plutôt indépendamment de bousculer les codes traditionnels du médium en tissant une philosophie habile sur le libre-arbitre. Entre ces deux parallèles il y a aussi des jeux comme Bioshock qui, tout en adoptant la tendance standard du shooter à la première personne, construisent une narration si intelligente qu'ils touchent les sens et les émotions.

Art total ou art unique ?

Mais voilà qui soulève encore une énième question (finalement, j’ai le cerveau qui fume) : je parle beaucoup de narration, le jeu vidéo n’est-il donc que le véhicule d’autres formes d’art comme la littérature ? beaucoup estiment que le jeu vidéo est en fait un regroupement d’arts : celui de l’architecture, de la scène, de la musique, ou même encore du cinéma. Je pense qu’il forge néanmoins sa propre singularité à travers son interactivité par laquelle il devient capable de forger une narration incomparable. Y a-t-il franchement plus poignant que la manière dont Spec Ops : The Line vous force à faire pleuvoir du phosphore blanc sur un bâtiment avant de vous faire découvrir que celui-ci était en fait rempli de civils ? Si le jeu suit encore une fois le schéma du shooter classique, il s'inscrit aussi dans un concept unique d’"expérience négative positive” ; ce dernier renvoie à une expérience intense, contraignante, mais tout de même gratifiante, car elle apporte de nouvelles perspectives. C’est juste suffisamment brillant pour faire de lui une œuvre d’art, selon moi.

Spec Ops The Line et Mutazione

L’affirmation erronée de Mignard (l'avocat cité plus tôt) me fait aussi penser qu’il fut une époque durant laquelle le cinéma n’était pas considéré comme un art. Peut-être que le jeu vidéo est encore trop jeune pour trouver la légitimité qu’il mérite pourtant. Quoi qu’il en soit, même s'il était consommé par l'entièreté de la planète il ne fera jamais l’unanimité, et c'est bien normal. Je ne me suis jamais extasiée devant la fontaine de Marcel Duchamp qu’on étudie pourtant sciemment dans les cours d’art. Tout est question de subjectivité. J'ai tendance à ne partager que très peu les goûts de mes collègues. Il sera difficile pour moi de leur faire entendre que Mutazione, un jeu narratif dans lequel une bande de mutants s'échange simplement des commérages de quartier durant quelques heures, est un chef d'œuvre absolu. À la rédaction, le chef d’œuvre d’Aymeric est Metal Gear Solid pour sa narration, ses messages sous-jacents ou même sa gestion ingénieuse du système d’infiltration. Pour meakaya, c’est indéniablement Journey pour sa poésie évidente. xsable, lui, penche pour Elden Ring et sa capacité à s'émerveiller. Quant à Carnbee, la perle rare est Silent Hill 2 pour sa narration fourmillant de détails. Peut-être que pour quelqu’un d’autre, le chef d’œuvre d'art absolu est FIFA 22 ? Qui suis-je pour juger ? Après tout, quelqu’un d'innommable vient de me souffler que Spec Ops : The Line était trop surcôté pour être cité dans cet article. La question du jeu vidéo en tant qu'art revient sans cesse car elle ne peut être soumise qu'à une multitude de perceptions individuelles et à tout autant de goûts et d'émotions différentes.

N'hésitez pas à partager votre propre avis sur le sujet dans les commentaires !