Le jeu vidéo est une œuvre, mais est-il une œuvre d’art ? Cette question, remise sur la table il y a quelques jours, a déjà fait l’objet de débats qui s’étalent sur des décennies. Remettons en lumières les avis d’experts.
Le jeu vidéo est-il un art ? Cette question revient régulièrement à la façon d'un marronnier et soulève à chaque fois une multitude de points de vue. Cette année, c’est un article de BFMTV baptisé “Comment le jeu vidéo est en train de supplanter le cinéma” qui a encouragé sa réapparition, et surtout la réaction de Jean-Pierre Mignard, avocat au Barreau de Paris. L’auteur, Jérôme Lachasse, souligne les prouesses uniques du format et cite notamment les louanges faites par Mathieu Bablet, l'auteur de Carbone et Silicium.
Quand le jeu vidéo n'essaye pas de singer le cinéma et utilise une narration propre au jeu vidéo pour raconter des histoires, non seulement il supplante le cinéma, mais il supplante aussi tous les autres arts. Grâce à sa dimension interactive, le jeu vidéo est l’art ultime, celui qui permet de pousser au plus loin l’expérience narrative.
Mais pour Jean-Pierre Mignard, suivi par quelque 30 000 abonnés, le jeu vidéo ne peut pas être une œuvre d’art. Une opinion tweetée (le tweet est aujourd'hui en visibilité restreinte) qui n’a pas manqué de faire réagir des centaines d’internautes indignés par ce qu'ils estiment être une méconnaissance du format. Pourtant, la création d’un jeu vidéo fait indéniablement appel à des compétences artistiques, mais aussi techniques, tout comme le cinéma.
La place du jeu vidéo en France
Si son poids culturel n'est plus à défendre, on a en revanche tendance à oublier que le jeu vidéo est aussi reconnu comme étant le dixième art. Il a même été désigné comme une forme d’expression artistique par le ministère de la Culture il y a une quinzaine d'années. Et plus récemment, il a également intégré le Pass culture proposé par le gouvernement ; “Le jeu vidéo est un art, il y a donc toute sa place”, assurait à cette occasion le ministre Franck Riester. Alors pourquoi se pose-t-on encore la question de la légitimité du format en tant que forme d’art ? Peut-être parce que le jeu vidéo est encore très récent et que comme tout nouveau support, il doit un peu compter sur sa longévité pour que l'on reconnaisse sa légitimité.
Pourtait cela fait maintenant un petit moment que le jeu vidéo a trouvé une place de choix dans les musées, comme au musée d’art moderne ou au musée de l’art ludique. On en parle d'ailleurs souvent comme d’un art total, tant il peut comporter une multitude d’autres formes d’art, comme la littérature, le cinéma, le dessin, etc. Le sociologue Emmanuel Ethis écrit dans l’Obs à ce sujet : “Le jeu vidéo, en soi, est une forme de l’art total du XXIe siècle qui est susceptible de porter les mêmes ambitions récapitulatives que l’on a connu avec certaines œuvres magistrales du cinéma comme celle de Joseph L. Mankiewicz, John Ford, Fritz Lang, Jacques Tourneur, Walt Disney, Hayao Miyazaki, Terry Gilliam, Steven Spielberg, Peter Jackson ou Ingmar Bergman, avec certaines séries comme "Lost", "Alias" ou le "Prisonnier"”. Et comme le dit le journaliste Erwan Higuinen, “tous les sujets abordés régulièrement par les autres arts le sont aussi par le jeu vidéo.”
Si on dit que le jeu vidéo est un art total et regroupe dès lors une flopée de formes d'art, n’a-t-il pas tout de même sa propre originalité ? On estime que celle-ci réside généralement dans les mécaniques de jeu. Pour revenir à l’article de BFMTV, Mathieu Bablet cite en particulier Ico, œuvre datée de 2001 déjà dans laquelle "un lien narratif et affectif se crée par le gameplay" ou encore Brothers : A Tale of Two Sons qui construit de la même façon un récit par des biais mécaniques. La singularité du jeu réside dans son interactivité et la narration qu’il peut construire autour.
L'art total
Il y a des jeux qui font presque l'unanimité et à qui l'on prête facilement le titre de chef d'œuvre : God of War, The Last of Us, Monkey Island et GTA, des licences autant plébiscitées par la presse que le public. Leur qualité technique, graphique ou même scénaristique n'est certainement pas à prouver. Leur réception magistrale ne leur vaut-elle pas le titre de chef d'œuvre tant ces noms ont forgé l'histoire du jeu vidéo et lui ont apporté ses lettres de noblesse ? Si on ne s'attache qu'à la définition la plus simple du dictionnaire Larousse, un "chef-d'œuvre" est un "ouvrage capital et supérieur dans un genre quelconque ; la meilleure œuvre d'un auteur". Les titres cités plus hauts ne répondent-ils pas tous à ces critères ? Si la réponse tend naturellement vers le "oui", il y en a qui s'en moquent complétement. Jean Baptiste Clais, conservateur au musée national Eugène Delacroix, disait dans les colonnes de 20Minutes : “Les joueurs se fichent de savoir si le jeu vidéo est un art total ou pas. Ce qui compte c’est qu’ils s’amusent. C’est comme la littérature, il y a des prix Nobel et des romans de gare, dans le jeu vidéo c’est pareil. Certains sont mauvais, d’autres ont une narration extraordinaire. Par exemple, Flowers et Portal sont des chefs-d’œuvre". Aussi, peut-on considérer un Call of Duty au même titre qu’un Journey ? Finalement, on en revient à la question du goût et des couleurs. Thomas Morisset, chercheur et auteur de De quoi le jeu vidéo est-il l’art ? pour la revue Nectart, écrit :
De quelle manière voit-on qu’une pratique appartient à ce domaine restreint des arts que nous signalons ? Par le fait que nous portons sur ces œuvres des jugements de goût, dont le plus commun est la formule : « c’est beau ». Ce jugement très particulier est un jugement sensible qui évalue le plaisir que nous prenons à la vision, à la lecture d’une œuvre ou simplement à la rencontre d’un objet naturel ou artificiel, quelle que soit son origine
Et vous, quel est votre avis sur le sujet ?
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