Skull and Bones : une histoire de pirates qui commençait bien

Tout commence en juin 2017. L’E3 bat son plein et Ubisoft nous délivre sa conférence habituelle. Outre l’annonce des petits nouveaux pour ces licences phares, à savoir Assassin's Creed Origins et Far Cry 5, une IP inédite réussit à marquer les esprits : Skull and Bones. Jeu de pirates et de batailles navales, il rappelle forcément Assassin's Creed IV : Black Flag, cet opus qui vous permettait de découvrir la vie de pirate et de voguer sur les flots.

On apprend d’ailleurs rapidement que c’est lors du développement de ce dernier que le projet est né. Au cours de l’année 2013, alors que les équipes d’Ubisoft Singapour finalisent le titre, elles se lancent dans quelques expérimentations en vue de produire un jeu inédit. Au fil de ces dernières, l’idée de proposer un jeu de pirates à découvrir avec ses amis émerge. Particulièrement inspirés par cette proposition nouvelle (Sea of Thieves n’est alors pas sorti), les développeurs se lancent dans cette grande et longue traversée que sera le développement de Skull and Bones.

Peu à peu, le concept se précise. Le jeu sera certes multijoueur, mais devra également proposer du nouveau contenu régulièrement. Pour ce qui est du fond, les développeurs souhaitent nous embarquer sur les vagues de l’Océan Indien, histoire de se démarquer du récit caribéen que l’on nous sert habituellement sur les pirates. Ajoutez à cela un gameplay axé sur la chasse au loot, des batailles navales et une forte personnalisation et vous obtenez le Skull and Bones qui fut montré en 2017.

Dès l’annonce, une forte communauté se crée autour du jeu d’Ubisoft, qui compte bien leur donner une place importante dans le processus de création. Se basant sur l’aspect participatif du développement de Ghost Recon Phantoms (bêta et autres contributions de fans), Ubisoft Singapour avait même déjà invité un groupe de joueurs, les Keepers of the Code, à venir tester le jeu et donner leurs avis au cours d’un atelier dédié. Une bêta fermée est également lancée et, d’après le studio, elle atteint un niveau record de participation pour une nouvelle licence Ubisoft.

Grâce à ce genre d’initiatives, c’est plus fort que jamais que Skull and Bones revient à l’E3 2018. Lors de l’événement, on avait même pu y jouer et le jeu avait de bien nombreux atouts, faisant presque office de vitrine technique pour Ubisoft. Mais voilà, si le jeu s’est plus montré à cette occasion, il a également été reporté à 2019, pour le plus grand dam des fans. Malheureusement pour eux, il ne s’agit alors que le premier sur une longue liste de reports. Car si tout semblait aller pour le mieux du côté de Skull and Bones, le jeu s’apprête alors à débuter une longue traversée du désert.

2018-2022 : Silence radio du côté d’Ubisoft

Fin 2018, Justin Farren, directeur créatif de Skull and Bones, quitte le navire. Si on a peu d’informations sur le sujet, l’enquête conduite par Gamasutra et révélée en 2020 laisse penser que l’ambiance n’était pas vraiment au beau fixe dans les studios. Le bonhomme est en effet cité dans les nombreux témoignages pointant du doigt un climat de travail qui serait toxique et bourré de remarques plus que déplacés. Impossible de dire si cela a causé son départ, mais on se doute que la situation n’a pas dû jouer en faveur d’un développement serein pour le titre. Cette enquête a même poussé Ubisoft à écarter un autre membre du studio en 2020 : Hugues Ricour, directeur d’Ubisoft Singapour et participant à la production de Skull and Bones.

Ces départs ont forcément eu un impact sur le développement du jeu. Changer d’équipe et de direction en plein milieu d’un projet, ce n’est jamais évident. Au final, l’annonce d’un nouveau report au cours de l’année 2019 n’est donc pas vraiment une surprise. Ce qui l’est plus en revanche, c’est bien le silence radio qui a suivi. Pendant près d’un an, on n'a aucune nouvelle du titre. Pour rassurer les joueurs, Elisabeth Pellen prend finalement la parole sur le site d’Ubisoft afin d’expliquer le report. Il serait ainsi dû aux grandes ambitions du titre ainsi qu’à une nouvelle vision qui se serait dégagée au fil des mois.

Vous êtes nombreux à vous demander pourquoi nous avons dû reporter notre lancement. La réponse est que nous avions simplement besoin de plus de temps. Nous rêvions de quelque chose de plus grand pour Skull & Bones, et ces ambitions se sont naturellement accompagnées de défis plus importants.

Ces difficultés ont entraîné des retards nécessaires pour notre jeu. Des questions cruciales ont dû être abordées au cours des derniers mois, telles que : comment moderniser le jeu de pirates classique ? Comment garantir une expérience plus immersive et viscérale ? Comment pouvons-nous créer des moments cools et mémorables dans le jeu ? Pour répondre à la plupart de ces questions, il était clair que nous avions besoin de plus de temps de développement.

Et puis le studio repart aussitôt dans son silence. En 2021, pas un seul tweet n’est publié par le compte officiel de Skull and Bones. La page du jeu, elle, se vide peu à peu de toute information. Jusqu’à la présentation de cette semaine, le site officiel se contentait de rediriger les joueurs vers l’Insider Program, sans donner la moindre précision sur le titre en soi. À la sortie du bilan financier d’Ubisoft en 2021, on apprend même que le jeu est de nouveau repoussé, sans même qu’une annonce officielle n’ait été faite.

Petit à petit, l’espoir de voir un jour ce titre sortir s'éteint. Skull and Bones obtient le titre d’arlésienne et l’engouement autour du jeu s’amenuise. Après quatre ans sans nouvelles images et un seul communiqué en trois ans, le titre a, contre toute attente, décidé de faire son grand retour cette année. Avec quelques brides d’informations il y a quelques mois et, surtout, l’Ubisoft Forward de cette semaine, Skull and Bones nous a montré qu’il n’est pas mort, loin de là. Le jeu est en effet quasiment fini et sortira finalement cette année, le 8 novembre 2022 pour être précis. Mais alors, si le développement a bel et bien avancé pendant tout ce temps et que le projet n’a pas été abandonné comme certains le pensaient, comment ce fait-il qu’Ubisoft ait été aussi silencieux à son sujet ?

Vision floue, limites techniques… Les bruits de couloir

Si nous n’avons aucune information officielle à ce niveau, il y a tout de même quelques points qui expliquent l’étrange silence autour de Skull and Bones, à commencer par la situation chaotique du studio. Nous l’avons évoqué plus haut, Ubisoft Singapour était au cœur des accusations portées à l’encontre du géant français du jeu vidéo. Si bien qu’à l’été 2021, la TAFEP (Alliance Tripartite pour des Pratiques d'Emploi Justes et progressives) a lancé une enquête sur les conditions de travail des employés. Encore une fois, difficile de développer un jeu sereinement dans les conditions signalées, mais aussi au beau milieu d’une enquête de ce genre.

Notez que quelques jours avant cela, un tout autre genre d’enquête avait été publiée par Kotaku. Affirmant avoir recueilli le témoignage d’une vingtaine de personnes travaillant ou ayant travaillé sur le projet, le journal en ligne y dresse un état des lieux chaotique du processus de développement. Si on se fie à ses lignes, Skull and Bones n’a pas seulement changé de vision au cours des années, mais a plutôt eu le plus grand mal à en trouver une et à s’y tenir.

On nous parle d’un jeu qui aurait pu se passer dans un monde fantastique pour finalement investir l’Océan Indien. On évoque les nombreux points qui seraient restés en suspens pendant des années, comme celui de contrôler uniquement le bateau ou bien son capitaine, ou encore la taille et le fonctionnement de la carte. D’autres, moins fondamentaux, auraient accaparé des membres de l'équipe pendant plusieurs mois, pour finalement être purement et simplement retirés.

Manque de prises de décisions claires, changements d’avis perpétuels, systèmes de jeu très différents s’empilant les uns sur les autres… L’article de Kotaku fait état d’un développement aussi confus que frustrant. On note tout de même que certains témoignages se contredisent entre eux et qu’il est donc difficile de saisir pleinement la réalité de ce processus de développement. Mais ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il n’a pas été des plus clairs et reposants.

De plus, les différents reports ont mis Ubisoft Singapour face à des problèmes plus techniques. Nous sommes aujourd’hui en 2022 et les dernières consoles en date sont la PS5 et les Xbox Series. Skull and Bones sera d’ailleurs un jeu next-gen, puisqu’il est prévu, côté consoles, sur ces dernières uniquement. Mais pour en arriver là, il a fallu travailler dur et surtout repartir à zéro de nombreuses fois. Quand le projet est né, c’était l’époque de la PS3 et de la Xbox One. Au fur et à mesure, les équipes d’Ubisoft Singapour ont donc été forcées de revenir sur leur travail initial afin de coller avec les standards techniques de l’époque PS4/Xbox One, et maintenant PS5/Xbox Series. Autant dire que le temps perdu à mettre incessamment le jeu à niveau a dû être conséquent.

Si Skull and Bones était à un studio concurrent, il aurait déjà été abandonné une dizaine de fois

Mais alors, si le développement était si chaotique, pourquoi le jeu est-il toujours sur les rails ? Certains affirment que c’est parce qu’Ubisoft aurait déjà mis beaucoup d’argent sur la table (près de 120 millions de dollars d’après Kotaku) et que le projet ne peut donc pas se permettre d’être abandonné. D’autres avancent un supposé contrat avec l’Etat singapourien, qui aurait autorisé Ubisoft à ouvrir un studio dans le pays en échange du développement d’une nouvelle IP triple A made in Singapour.

Que ce soit pour la première ou la seconde raison, Skull and Bones a bel et bien maintenu le cap. Rendez-vous donc le 8 novembre pour voir si le jeu en aura valu la chandelle. Malheureusement, le vent ne tourne pas vraiment en sa faveur. Car si certains ont été rassurés par la présentation de cette semaine, la date de sortie sera, elle, un réel handicap. Skull and Bones devrait en effet sortir un jour avant l’un des jeux les plus attendus de l’année : God of War Ragnarok. Pour maintenir le cap, le jeu de pirates a donc intérêt à avoir les reins solides.