Décidément, ce début d'année 2022 est placé sous le signe des rachats. Après Take Two qui récupère Zynga, Microsoft qui met la main sur Activision-Blizzard-King et enfin Sony qui devient propriétaire de Bungie, il y avait déjà suffisamment d'acquisitions pour bouleverser le secteur jeu vidéo. Alors que le mois de mai débute à peine, une nouvelle information vient de nouveau modifier le paysage vidéoludique. Ainsi, lundi 2 mai, Square Enix annonçait avoir vendu Eidos Montréal, Crystal Dynamics et Square Enix Montréal au groupe suédois Embracer pour 300 millions de dollars. La transaction devrait être finalisée cet été.

Une volonté de s'ouvrir à un nouveau marché

Si l'annonce a fait l'effet d'un petit séisme dans le monde du jeu vidéo, c'est aussi pour le montant de cette vente. 300 millions de dollars pour trois studios qui comptent 1100 employés et plus d'une cinquantaine de licences, cela paraît peu, surtout pour des franchises prestigieuses comme Tomb Raider, Deus Ex, Legacy of Kain, Thief, Sleeping Dogs... C'est d'autant plus le cas lorsque l'on compare ces chiffres à d'autres rachats comme celui d'Insomniac (Marvel's Spider-Man, Ratchet & Clank : Rift Apart...) par Sony en 2019 pour 229 millions ou encore les 1,3 milliard de dollars dépensés par Embracer Group pour mettre la main sur Gearbox (Borderlands 3, Tiny Tina's Wonderlands...). D'un côté, il faut se rappeler qu'Eidos et Crystal Dynamics ont connu des périodes assez compliquées au cours de la dernière décennie.

Si on remonte le fil de l'histoire, c'est en 2009 que Square Enix investit dans les studios de développement occidentaux avec le rachat d'Eidos, ce qui comprenait aussi Crystal Dynamics et IO Interactive. Suite à cette acquisition, le premier titre à sortir de cette collaboration n'est autre que Deus Ex : Human Revolution en 2011, le retour d'un grand nom de l'immersive-sim signé Eidos Montréal. Avec ses 2,18 millions d'exemplaires écoulés dans le monde en novembre 2011, poussant l'éditeur a qualifié les ventes de "résultats favorables". Malheureusement, c'est à partir du prochain jeu que les choses commencent à se gâter. En 2012, c'est au tour d'IO Interactive de lancer Hitman Absolution qui est une déception pour Square Enix car le titre ne s'est vendu qu'à 3,6 millions de copies au 26 mars 2013, ce qui est en dessous des attentes initiales. Même chose l'année suivante avec Tomb Raider (2013) qui s'est écoulé à 3,4 millions d'exemplaires dans le monde, soit le plus haut record de ventes de la franchise, mais qui n'a pas réussi à atteindre les objectifs fixés par l'entreprise.

Une décennie tumultueuse pour Square Enix

Les années qui suivent vont s'arranger puisqu'en 2014 Thief aura des ventes "favorables" malgré sa mauvaise réception critique, tandis que Rise of the Tomb Raider lancé en 2015 s'en sortira très bien car le succès commercial du jeu sera jugé satisfaisant par Square Enix. En plus d'éditer la nouvelle aventure de Lara Croft, Microsoft avait aussi dépensé 100 millions de dollars pour que le titre soit une exclusivité Xbox pendant un an. Une somme qui fait relativiser quand on voit le rachat de ces studios par Embracer Group. Malheureusement, les projets qui suivent vont avoir plus de mal à s'imposer dans le paysage vidéoludique. Que ce soit Hitman et sa formule épisodique ou Deus Ex : Mankind Divided, l'année 2016 sera jugée comme décevante pour l'éditeur japonais du côté de ses productions occidentales. Si Shadow of the Tomb Raider parvient à remonter la barre avec ses plus de quatre millions d'exemplaires écoulés fin 2018, les années 2020 et la concrétisation de la collaboration avec Marvel ne vont pas avoir l'effet escompté.

Avec Marvel's Avengers lancé en septembre 2020, Square Enix s'essaie au jeu-service à l'Occidental avec une énorme licence pour le soutenir dans son initiative. Malheureusement, le studio à l'origine du projet, Crystal Dynamics, n'est pas spécialisé dans ce genre de productions. Résultat, le titre sort dans un état compliqué et manque cruellement de contenus à son lancement, malgré une campagne principale et un gameplay efficaces. Si un an et demi plus tard le jeu est toujours en service, ce dernier continue de souffrir d'une absence d'activités qui l'empêche d'attirer un nouveau public. En novembre, Square Enix a reconnu que Crystal Dynamics "n'avait pas les compétences nécessaires pour travailler" sur ce genre de productions, ce qui explique ce "résultat décevant" et le fait que les ventes du jeu "ont été inférieures à ce que nous avions prévu et n'ont pas permis de compenser complètement l'amortissement des coûts de développement du jeu". Malgré sa formule radicalement différente et la réception positive de la presse et des joueurs, Les Gardiens de la Galaxie aura lui aussi des ventes jugées décevantes par Square Enix. Heureusement, le titre a récemment fait l'objet d'un vif regain d'intérêt de la part du public grâce à sa sortie dans le Xbox Game Pass.

Des attentes trop élevées de la part de l'éditeur japonais ?

Après ce petit historique, vous l'aurez compris, Square Enix ne semble jamais vraiment satisfait par les ventes de ses jeux occidentaux. L'une des raisons qui peut expliquer cette réaction, c'est tout d'abord les grands espoirs que place l'éditeur japonais dans ses productions occidentales. Pour preuve, Yosuke Matsuda, président de Square Enix depuis juin 2013, a lui-même reconnu que pour Tomb Raider (2013), les attentes de l'entreprise étaient "extrêmement élevées". À force de lire que les ventes des jeux occidentaux sont décevantes, les joueurs se sont habitués à ce que l'éditeur japonais ne soit jamais satisfait par ces titres. Dans ce sens, l'acquisition d'Eidos, Crystal Dynamics et Square Enix Montréal par Embracer Group n'est pas si étonnante, puisque c'est aussi ce qui c'était produit avec IO Interactive en 2017. À la suite des résultats décevants de Hitman (2016), Square Enix décide de se séparer du studio danois qui est alors racheté par ses dirigeants pour devenir indépendant, garder les droits de la licence et produire Hitman 2.

Pour comprendre pourquoi les attentes de Square Enix sont aussi élevées pour ses jeux occidentaux, il faut jeter un oeil du côté de ses productions japonaises. Lorsque l'on voit que NieR Automata a dépassé les 5 millions de ventes en décembre 2020 alors que le titre n'a bénéficié que d'un budget de AA, c'est le jackpot pour l'entreprise. Et même si on ne connaît pas le coût exact de développement, le réalisateur, Yoko Taro, avait indiqué que les développeurs n'avaient pas assez d'argent pour travailler sur un DLC conséquent. Ainsi, s'il s'agit bien d'une production double A, alors on peut estimer que le budget était inférieur à 50 millions de dollars. Forcément, il s'agit là d'un projet beaucoup plus rentable qu'un jeu AAA occidental qui peine à écouler plusieurs millions d'exemplaires rapidement. D'ailleurs, ces derniers termps, Square Enix semble se tourner vers ce genre de productions aux budgets plus raisonnables, souvent développés en externe, comme Babylon's Fall, Stranger of Paradise Final Fantasy Origin, Valkyrie Elysium etc... Ainsi, en cas d'échec commercial, les pertes sont moins importantes pour l'éditeur, plutôt qu'un AAA sur lequel il aurait misé beaucoup.

Même chose en ce qui concerne les jeux mobiles de l'entreprise qui constituent aujourd'hui l'une de ses principales sources de revenus. Des contenus d'autant plus rentables qu'ils coûtent peu à entretenir et qu'ils se reposent sur des franchises fortes comme Final Fantasy, Dragon Quest, Kingdom Hearts SaGa, ou encore NieR. Rien que récemment, un nouveau free-to-play mobile issu de la licence Mana/Senken Densetsu a été lancé avec Echoes of Mana. Et puis, si Square Enix a voulu essayer de créer des nouveaux jeux services, c'est aussi pour essayer de répétéer le succès de Final Fantasy XIV qui ne cesse d'attirer de nouveaux joueurs depuis sa refonte en 2013 et qui constitue une source de revenue importante pour l'entreprise grâce à son abonnement mensuel.

Depuis le rachat d'Eidos et ses studios en 2009, Square Enix a tenté de sortir chaque année un jeu AAA occidental. Malgré plusieurs productions aux ventes conséquentes comme Rise of the Tomb Raider, l'éditeur japonais n'a jamais vraiment été satisfaisant par la réception commerciale de ces titres, peut-être à cause d'attentes trop élevées. Après une tentative dans le monde des jeux service avec Marvel's Avengers jugée comme décevante, l'entreprise a finalement décidé d'arrêter les coûts pour revendre ses studios à Embracer pour investir dans l'intelligence artificielle, le Cloud et la blockchain. Une volonté conforme aux propos du président de Square Enix exprimés lors de ses voeux de bonne année. Reste désormais à voir ce qu'Embracer fera du prochain Tomb Raider récemment annoncé ou encore d'un éventuel Deus Ex 3 en rumeurs depuis plusieurs années.

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