Le jeu vidéo pour faire campagne

Un meeting de Jean-Luc Mélenchon sur Minecraft? C’était le poisson d’avril que nous avaient concocté les équipes de Minecraft-France, d’Epicube, et de communication de Jean-Luc Mélenchon en 2017. Et pourtant, cinq ans plus tard, cette idée de meeting dans le jeu cubique n’a plus rien d’une blague. Et c’est le candidat Emmanuel Macron qui fit de cette boutade une réalité. Le 2 avril 2022 se tenait en effet un meeting sur le serveur dédié du candidat à l’élection présidentielle, ouvert quelques jours auparavant. Si en pratique cet événement n’avait rien d’un meeting virtuel (se contentant de renvoyer vers la diffusion du meeting en cours à La Défense), il est tout de même symptomatique d'un changement de stratégie important dans la communication politique : le jeu vidéo est devenu un outil de campagne comme les autres.

Mais ce n’est pas la première fois qu’un candidat à l’élection présidentielle française utilise ainsi le jeu vidéo. Les membres du Discord insoumis avaient même poussé l’outil encore plus loin en proposant leur propre jeu vidéo lors de la campagne précédente. Répondant au nom évocateur de Fiscal Kombat, il s’agissait d’un beat them all mettant à l’honneur Jean-Luc Mélenchon, parti affronter ceux qui ont “volé” l’argent de l’Etat et du peuple (François Fillon, Jérôme Cahuzac, Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany, Emmanuel Macron…). Le but ? Cogner ses adversaires pour renflouer les caisses de l’Etat et mener à bien le programme du candidat. Petite anecdote : le projet est né sur le forum 18-25 en 2016. Trois ans plus tard, à l’occasion des élections européennes, Fiscal Kombat a même eu le droit à une édition spéciale : Fiscal Kombat: European Edition, mettant en scène Martine Aubry. Les soutiens du candidat de la France Insoumise ont réitéré l’expérience cette année avec LAECestTOI, cette fois-ci inspiré de l’innovant Baba is You.

Vous incarnerez notre candidat, vous organiserez le partage des richesses en récupérant l’argent de ceux qui l’ont confisqué

Manuel Bompard, directeur de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017

D’une certaine façon, c’est donc la France Insoumise qui a ouvert la voie à ce tout nouveau moyen de communication. Et autant dire que certains ne prirent pas longtemps avant de s’engouffrer dans la brèche à leur tour. Lors des élections européennes de 2017, Martine Aubry ne fut pas la seule à avoir droit à un jeu à son effigie. Les Jeunes avec Macron développèrent Super Jam Bros avec Nathalie Loiseau comme héroïne, tandis que Marie-Hélène Bourlard (Parti Communiste Français) menait une lutte effrénée contre les banques, le patronat et l’extrême droite dans Une ouvrière au Parlement européen. Dernièrement, les soutiens d’Eric Zemmour l’ont également mis en scène dans un jeu baptisé le Z. Mais cet attrait grandissant pour le jeu vidéo n’est pas une particularité franco-française.

Inspiré par Fiscal Kombat, le Parti Travailliste britannique a également décidé de mettre son candidat de l’époque à l’honneur avec Corbyn Run. Ce jeu fut dévoilé à l’occasion des élections générales de 2017. On y retrouve un Jeremy Corbyn déterminé, pourchassant les plus riches avec sa horde de citoyens précaires. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est l’éditeur Kitsune Games qui a décidé d’utiliser Super Bernie Bros. pour faire connaître son candidat de cœur : Bernie Sanders. Cela ne sera pas sa seule apparition dans un jeu puisqu’un an plus tard un meme du candidat socialiste fut modé dans de nombreux titres.

Plus largement, le jeu Animal Crossing : New Horizons a été utilisé par de nombreux politiques pour promouvoir leurs idées. Ce fut le cas tout au long de la campagne américaine de 2020/2021, durant laquelle la Biden Island incitait les jeunes à découvrir l'équipe et le programme de Joe Biden (Parti Démocrate), tout en les invitant à aller voter le jour J. De son côté, Alexandra Ocasio-Cortez (membre démocrate de la Chambre des représentants) faisait du porte-à-porte en jeu, allant voir ses électeurs pour échanger avec eux. Au Canada, c’est le candidat du Nouveau Parti Démocratique, Jagmeet Singh, qui a créé sa propre île de campagne. Ces diverses initiatives ont été poussées par les confinements successifs qui ont considérablement perturbé les habitudes de campagne. Cette situation inédite a permis d’imposer le jeu vidéo comme l’un des nouveaux champs de bataille de la communication politique. Mais pourquoi donc ?

Un outil efficace pour remobiliser les jeunes ?

Vous l’aurez remarqué, ce sont jusqu’ici majoritairement les groupes politiques affiliés à gauche qui ont opté pour le jeu vidéo comme outil de communication. Et cela n’est pas bien étonnant. Car pour beaucoup, les jeux vidéo c’est un truc de jeunes. Si cela est de moins en moins vrai, il est impossible de nier que les jeunes d’aujourd’hui sont de gros joueurs. Selon l'étude du SELL (France, novembre 2021), 89% des 15-24 ans sont des joueurs et 90% chez les 25-34 ans. Ça, c’est pour les jeux vidéo, mais qu’en est-il pour la politique ?

Pour résumer de façon assez grossière, la jeunesse est historiquement un électorat plutôt attiré par les partis de gauche. Mais entre la montée de l'extrême droite, l’augmentation de l'abstentionnisme et l’effondrement du clivage droite/gauche, la gauche voit progressivement cet électorat lui échapper. Et quel meilleur moyen pour tenter de le récupérer que de s’inviter sur un médium où ses membres sont très largement présents ? Et c’est ainsi que s’explique en partie l’importance grandissante qu’a pris le jeu vidéo dans les différentes campagnes, et ce sur deux axes d’attaque.

Premièrement, il s’agit d’un moyen de rappeler aux moins vieux l’importance d’aller voter. Aux dernières élections régionales françaises, on enregistrait 82% d’abstention chez les moins de 35 ans. Nous n’expliquerons pas le pourquoi du comment de ce phénomène complexe, mais sachez qu’une partie des abstentionnistes ont évoqué leur manque d’intérêt et leur ignorance face à ses élections. Autant dire que remobiliser tout cet électorat est un véritable enjeu pour les figures politiques étant de moins en moins soutenus. Aux États-Unis, le Parti Démocrate en a fait son affaire. On vous parlait d’ailleurs plus haut de l’île de Biden ou du porte-à-porte numérique de AOC. Cette dernière ne s'est pas arrêté là, s’invitant par exemple sur Twitch le temps de quelques parties d’Among Us pour inciter ses 435 000 viewers à aller voter.

Si vous pouvez voter, alors assurez-vous de vous organiser pour aller voter. Si vous ne pouvez pas voter, essayez de parler à quelqu’un qui le peut. C’est tout ce qui importe ce soir.

Si cette initiative fut moquée par certains, elle est pourtant particulièrement bien réfléchie. La jeune AOC est devenue rapidement une figure incontournable de la gauche américaine, notamment auprès des jeunes, et cela est notamment dû à son utilisation des réseaux sociaux et, par extension, des jeux vidéo. En se rendant ainsi plus proche de son électorat, elle est devenue un visage connu à qui certains accorderont plus rapidement leur confiance. Grâce à elles, ils pourraient bien même se diriger à nouveau (ou pour la première fois) en direction des urnes. Il est encore trop tôt pour calculer l’efficacité d’une telle stratégie, mais ils sont nombreux à être convaincus que l’avenir de la communication politique se joue sur ces média :

Les jeux vidéo pourraient être un formidable moyen de générer de l’empathie et de pallier à la déconnexion ressentie entre les citoyens et leurs représentants

Paula Forteza, députée des Français d’Amérique Latine et des Caraïbes, membre du groupe Écologie démocratie solidarité (EDS)

Les jeux vidéo sont également un moyen de modeler à sa guise l’image de tel ou tel candidat. Si le simple fait d’utiliser ce médium peut rendre un politique “cool” aux yeux de toute une tranche de la population, les différentes propositions en disent long sur les stratégies de communication des uns et des autres. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon était présenté comme un héros combatif et hargneux dans Fiscal Kombat, il est aujourd’hui bien en retrait avec LAECestTOI qui se concentre sur le contenu du programme. Il n’y a pas besoin d’avoir un master en communication pour voir que la stratégie de la France Insoumise a bien changé entre les deux campagnes.

Si Mélenchon était auparavant particulièrement mis en avant comme celui ayant assez de hargne pour dynamiter tout un système, ses différentes frasques ont poussé le parti à lisser son image et tout donner sur l’adhésion au programme et non au candidat. Ce qui colle parfaitement à un jeu dans la veine de Baba is You. Le choix du jeu est donc important pour l’image que l’on souhaite dégager et le message que l’on veut faire passer. Et ce n’est pas James Moulding qui dira le contraire :

Nous avons choisi de ne pas faire un jeu de combat parce que nous ne voulons pas être vus comme étant agressifs, parce que nous étions plus intéressés à l’idée de mettre en avant le principe de construction d’un mouvement et d’une action coopérative et collective {...}

Ce genre de réflexion montre que certains politiques ont réussi à s’approprier les codes du jeu vidéo pour le bien de leur communication. Et pourtant, cela était bien loin d'être gagné.

Politique et jeu vidéo : de la haine à l’amour

La relation entre les jeux vidéo et les politiques a longtemps été plus proche de la détestation que de la coopération. Souvent pointés du doigt à cause des scènes violentes qu’ils pouvaient représenter, les jeux vidéo étaient mal vus par les politiques de tout bord. C’est simple, chaque fois que les mots “jeu vidéo” étaient prononcés par l'un d'eux, c’était généralement pour demander leur interdiction ou leur censure. Manhunt, Grand Theft Auto IV, Doom, Mortal Kombat, Sanitarium, Phantasmagoria… Nombreux sont les jeux à avoir été pointés du doigt.

Un enfant ou un adolescent immergé chaque jour pendant des heures dans un monde virtuel fait de violence gratuite, de meurtre, de torture, sort-il du jeu ou du scénario du film? Est-il encore apte à distinguer le réel du virtuel ? Le tolérable de l’inacceptable?

Jacques Remiller, député UMP

Et si seulement ce n’était que ça… Comme le disait Ian Bogost et Olivier Mauco dans Jeux des discours normatifs et enjeux de l’analyse, les jeux vidéo furent longtemps “marginalisés et accusés de nombreux maux”. On a ainsi eu le droit à tout le pan sur la dangerosité du médium, les risques d’addiction, et même quelques grosses polémiques sur des sujets bien précis. Ce fut notamment le cas pour la représentation de Rousseau et de la Révolution dans Assassin's Creed Unity, vivement critiquée par Jean-Luc Mélenchon notamment. Fut un temps, toutes les raisons étaient bonnes pour taper sur ce medium, peu considéré et regardé de haut comme le furent les mangas et animé à l’époque du Club Dorothée.

Même Barack Obama incitait les parents à “éteindre la console” en 2008. Selon lui, il fallait que les enfants laissent tomber les jeux vidéo pour se concentrer sur leurs apprentissages et ainsi atteindre l’excellence. Si l’argument en convaincra sans doute certains, il sonne un peu risible quand on sait qu’à la même période le candidat démocrate avait déboursé une petite somme pour faire apparaître une affiche de campagne dans le jeu Burnout Paradise. Notez que l’année d’avant, des candidats à l’élection présidentielle française (tout autant virulant envers le médium) avaient tout de même installé des bureaux de campagne au cœur de Second Life.

Cela fait donc un petit moment que les politiques ont planté les premières graines de la coopération. Et alors que les discours véhéments à l’égard du jeu vidéo s’estompent peu à peu, nous sommes aujourd’hui témoin de l’apparition de nombreux petits bourgeons. Cela se ressent sur la communication, comme nous l’avons vu, mais également dans les programmes qui reconnaissent enfin le jeu vidéo et proposent des mesures spécifiques pour son développement. Nous vous invitons d’ailleurs à parcourir notre article récapitulatif sur le sujet, si cela vous intéresse.

Qu’adviendra-t-il de ces petits bourgeons ? Seul l’avenir pourra nous le dire. Mais il y a fort à parier que l’utilisation des jeux vidéo comme moyen de communication politique n’en soit qu’à ses débuts. Certains politiques se voient déjà capables d’accomplir de grandes choses grâce au jeu vidéo. Paula Forteza, par exemple, juge pertinent de développer des jeux de simulation portant sur la construction de programmes politiques, afin de permettre aux citoyens de mieux comprendre le fonctionnement de ces derniers et être ainsi plus engagés. Et cela pourrait également être bénéfique pour les politiques eux-mêmes.

En effet, une telle plateforme permettrait d’évaluer les priorités des citoyens afin de proposer des mesures qui répondent à leurs préoccupations. Audrey Tang, ministre taïwanaise du numérique, a même poussé l’idée un peu plus loin en suggérant l’utilisation de la réalité virtuelle avant chaque grande prise de décision. Le but ? Se rapprocher du vécu des citoyens pour mesurer réellement l’impact de leurs réformes. Il y a peu de chances qu’on en arrive jusque-là, mais le jeu vidéo pourrait tout de même jouer un rôle crucial dans les futures campagnes électorales.

Ce n’était pas gagné pour le jeu vidéo. Longtemps désavoué par le monde politique, il a su peu à peu se faire sa place comme sujet à part entière, puis comme véritable outil de communication moderne. Si certains voient ce rapprochement d’un mauvais œil, ils vont malheureusement devoir prendre leur mal en patience. Utiliser le jeu vidéo pour communiquer et trouver de nouveaux électeurs a le vent en poupe. Et face aux nouveaux enjeux placés sur la route des différents candidats, il ne serait pas étonnant de voir cette association aller plus loin qu’un simple serveur Minecraft ou d’un amusant Fiscal Kombat à l'avenir.