Une nouvelle approche de la difficulté

Le premier point que va modifier drastiquement le succès d’Elden Ring, c’est l’approche de la difficulté dans les jeux vidéo. Nous le savons bien, c’est un sujet très subjectif, mais mine de rien, après avoir passé un certain nombre d'heures sur le jeu, nous voyons se dessiner un mode opératoire de génie pour calibrer la difficulté des joueurs. Avec son jeu, Miyazaki et ses équipes ont fait le pari d’une mono-difficulté, certes, mais aux paramètres ajustables. Cet open world fait que, concrètement, vous pouvez très facilement aller affronter le premier boss en étant niveau 30 au lieu d’être niveau 10, ce qui est une première liberté sur la difficulté du jeu. Mais en plus de cela, il ne faut pas oublier qu’Elden Ring vous offre des invocations d’alliés, des invocations de joueurs, parfois multiples, et des âmes d’animaux ou de monstres qui peuvent vous épauler dans certains affrontements. Tout cela permet d’adoucir les combats, et donc de rendre plus abordable le jeu.

Si vous n’êtes pas convaincu de l’efficacité de cet argument, amusez-vous, à chaque succès déverrouillé dans le jeu, regardez quelle proportion des joueurs les ont débloqués, vous allez être surpris de voir que les acheteurs du jeu y jouent autant comparé à un ancien Souls. Avec tous ces éléments qui viennent rendre le jeu plus abordable, nous n'avons que rarement l’impression de “tricher” en utilisant ces méthodes. Cela est totalement intégré au jeu. De même manière, pour vos alliés, le jeu reste difficile, et vous fait toujours comprendre que vous prenez là une liberté qui a un coût significatif. Quand on invoque un ami, nos fioles de Larmes sont divisées par deux par exemple. Quand on invoque une créature pour nous aider, l’action d’invoquer fait baisser notre mana et dure trois précieuses secondes.

Pour faire court, Elden Ring vous fait savoir que c’est un jeu From Software. En revanche, il est impressionant de voir toutes les libertés qu’il prend pour vous proposer de contourner son principe, son cœur de son gameplay. Et rien que pour cela, Elden Ring va changer des choses dans le game design global des jeux, car il prouve que l'on peut faire un jeu difficile, sans modes de difficulté imposé, juste en proposant des éléments facilitateurs, qui n’y ressemblent pas vraiment. Première évolution donc, et on enchaîne avec les modifications en interne au studio…

Le futur de From Software

Le deuxième élément que modifiera drastiquement Elden Ring, il s'agit simplement de la façon dont From Software va créer ses prochains jeux. Depuis Demon’s Souls en 2009, le studio produisait pas mal de jeux assez similaires, exception faite de Sekiro, plus aérien et narratif. Nous voyons difficilement comment ils pourraient se remettre à faire des jeux plus linéaires et sans monde ouvert, tant Elden Ring rend l’avancée plus libre, et donc plus accueillante pour les nouveaux joueurs. En revenant à la formule basique des Souls, le studio japonais risque de perdre ces millions de joueurs qu’Elden Ring a converti. Avant que les millions de joueurs d’Elden Ring deviennent des experts des Dark Souls, prêts à se ruer sur un ancien jeux de From Software, il y a encore bien du chemin. Le plus logique serait donc que From Software, parte sur cette structure là, maîtrisée du premier coup, et nous sorte d’autres productions arborant la même structure très ouverte.

Difficile donc de savoir si Elden Ring va pouvoir coexister avec Dark Souls, ou s’il va prendre sa place. En-tout-cas, une chose est sûr, au studio, le jeu va faire bouger les choses, et dans l’industrie aussi.

Terminée l’opposition “Jeu de niche VS grand public”

Le troisième point important, il va falloir changer notre façon d'opposer naïvement jeu de niche et blockbuster. Un peu comme au cinéma, nous avons souvent l’image d’un marché scindé en deux. D’un côté, le jeu d’auteur, il est innovant, abrupt, mais il se vend qu’à un public d’experts, et de l’autre le jeu un peu convenu que les joueurs peu regardants vont acheter par palette. C’est en raisonnant comme cela que l'on s’enferme dans des cases, et que l'on brise toute possibilité d’innovation dans les studios, par peur du risque. Alors que le risque, c’est ce qui fait avancer l'industrie. Bien évidemment,The Legend of Zelda : Breath of the Wild était passé par là auparavant, mais on parle d’un jeu estampillé Zelda, et d’un jeu Switch, alors d’un engagement des joueurs sera forcément énorme, quoi qu’il arrive. Pour Elden Ring le pari était plus tendu, cette refonte totale a été un énorme risque, mais a été une réussite. From Software fait de l'héritier d’une saga de niche, l’un des plus gros démarrages de ces 10 dernières années.

L’assistanat ne paye pas toujours…

Le quatrième point qu’Elden Ring va chambouler, c’est la notion d’assistanat vidéoludique. On a déjà pu évoquer la difficulté, alors nous devons aussi évoquer les UI et UX du jeu. UI pour User Interface, UX pour User Experience. Pour dire ça plus clairement, ces deux sciences, combinées, créent et réalisent les interfaces de votre jeu vidéo. Il s'agit de la manière dont elles sont pensées, formées, agencées, designées et introduites. Est ce que les interfaces sont claires, suffisantes pour comprendre comment fonctionne tel ou tel élément ? Est ce qu’un public habitué s’y retrouve ? Et surtout est ce qu’un novice qui ne connaît pas bien les manettes peut s’en sortir ? Là dessus, il faut le dire, les jeux From Software ne brillent pas par leurs excellences. Les interfaces sont austères, lourdes, et les explications ne sont pas toujours très claires. Mais, ces interfaces ont un avantage, c’est qu’elles restent relativement épurées à l’écran. L’austérité laisse le plus souvent l’action en premier plan : on regarde l’écran, le décor, les personnages, plus que des indicateurs placés çà et là. Autrement dit, l’absence de soin dans les options d’assistance du joueur, fait le plus grand bien a l’expérience de jeu.

Nous avons tendance à l’oublier, mais nos triple A, nos blockbusters habituels, les développeurs essayent souvent d’en faire beaucoup trop pour accompagner les joueurs peu habitués au médium. Des points d'intérêt partout, des minimap, des indices de proximité, des éléments d’état pour savoir si on est en alerte ou non. Certes, il est souvent possible de masquer ces éléments, mais dans un monde où les open world font 100 à 150 heures et bouclent souvent les mêmes mécaniques, on a tendance à s'y habituer. Voir Elden Ring aussi austère au niveau de ses interfaces, a donné quelques idées aux internautes qui se sont demandé à quoi ressemblerait Elden Ring avec tous ces éléments modernes, typiques des triple A, ce qui donne une image assez cocasse. Depuis, la plaisanterie est partie un peu loin, mais il n'y a pas de fumée sans feu et ces parodies ont commencé à émerger lorsque des membres de l’industrie ont critiqué la pauvreté des quêtes du jeu. Le souci c’est que ces gens travaillent souvent pour des gros studios, et produisent des triples A modernisés.

On comprend donc mieux leur frustration face à un jeu dont les éléments d’UX d’UI de Quest Design, leur spécialité professionnelle à eux, est aussi peu traité, et sont pourtant salués pour l’immersion que cela procure. C’est en quelques sortes l’ancienne école, hyper avenante à l’égard du joueur, quitte à un peu trop le prendre par la main, face à la nouvelle école, campée par Zelda et Elden Ring, qui laissent libre court à l’interprétation, à la découverte, et à l’observation de l’environnement. Et si nous n'avons pas de journal de quête, ce n'est pas grave. Si vous avez loupé un dialogue, il fallait suivre. Si vous ne comprenez pas un objet, testez-le. D’une certaine manière, c’est la communauté qui va créer cette aide, à travers les messages au sol, pour aider, à travers des guides vidéo et écrits, à travers Twitter, Twitch, YouTube, le bouche à oreille. Et plus l’entraide sera présente, plus cela augmentera la notoriété naturelle du jeu.

L’émulsion communautaire : un élément-clé

Enfin, dernier point sur lequel Elden Ring va tout changer, c’est l’émulsion communautaire qu’il génère. Nous l'avons vu, tout le monde peut jouer à Elden Ring, et tout le monde partage son petit parcours sur les réseaux sociaux. La liberté d’action, la façon dont on peut explorer le jeu fait qu’aucune run ne ressemble à l’autre, comme dans un livre dont vous êtes le héros ou dans un jeu de rôle. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi le lore, creusé dès la sortie par des amoureux de narration qui fouillent les descriptions d’objet à la recherche du moindre élément narratif, et vont même jusqu’à fouiller les fichiers du jeu pour en apprendre plus. Il y a alors une véritable volonté d'analyser le contenu de ce jeu, et tout ce qui l’entoure. Une véritable mouvance qui fait que les joueurs passionnés évangélisent les curieux sur une période plus ou moins longue après la sortie du jeu.

Et comme le jeu est passionnant, il est facile de trouver une porte d’entrée, qu’elle soit compétitive avec le PVP sauvage, humoristique avec les messages, les blagues qui pullulent dans les messages au sol d’Elden Ring, qu’elle soit artistique avec les panoramas qu’on se partage sur les réseaux sociaux, ou bien narrative avec, par exemple, l’histoire cachée des différents boss. Quoi qu’il arrive, il y a toujours des éléments qui invitent au partage d’expérience, à la petite anecdote de la session de la veille. C’est ça, l’émulsion communautaire, faire en sorte que chaque joueur ou chaque curieux puisse parler du jeu et livrer son aventure aux autres, ce qui remettra forcément une pièce dans la machine.

C’est exactement ce qui se passe avec Elden Ring, qui, grâce à son mystère, à son exploration libre, et grâce à son découpage totalement libre, permet à quiconque de créer son aventure. Cette émulsion communautaire, certes, monopolise les espaces de discussion et elle peut s’avérer spoilante ou assez lourde, mais le résultat est simple : 20 jours, 12 millions de copies écoulées. La qualité appelle le public, et les 5 éléments que nous venons de citer y contribuent aussi.