À chaque nouvelle enquête du journaliste Jason Schreier, le monde du jeu vidéo retient son souffle. D’autant plus quand l’enquête concerne l’un des principaux acteurs de l’industrie. Cette fois, ce fut au tour de Sony. Sur l’article, des infos sur Days Gone 2, suite supposée du survival horror en monde ouvert imaginé par Bend Studios et sorti en 2019. Selon les informations de Schreier, la même année, l’équipe ne serait pas parvenue à convaincre PlayStation sur l’intérêt d’un second opus. “Le jeu n’était pas considéré comme une option viable” explique le journaliste. Depuis la nouvelle, les joueurs ont manifesté leur mécontentement via une pétition sur le site Change.org, qui a réuni près de 90.000 signatures en une vingtaine de jours.

Days Gone (Images promotionnelles)

Affaire d'argent

Days Gone - qui s’apprête d’ailleurs à sortir sur PC le 18 mai prochain - n’est pas un échec commercial. Même si aucun chiffre de vente n’a été communiqué à ce jour, le titre a cartonné au Japon et s’est installé en haut des ventes britanniques les trois semaines qui ont suivi sa sortie. Dans son papier, Schreier affirme que le survival horror a été rentable. Mais est-ce suffisant pour Sony ? Chez Gamekult, le journaliste indépendant Oscar Lemaire note que la rentabilité n’est pas forcément synonyme de succès commercial, et qu’à contrario, un petit manque à gagner d’un million ne saurait faire vaciller une entreprise aussi imposante.

Dans un tel contexte (où la création d’un jeu demande plusieurs années et une somme énorme d’argent, ndlr) il convient de faire les bons choix. Au moment de définir les projets qui occuperont un studio pendant potentiellement la moitié d’une décennie, aucune erreur d'appréciation n'est permise - Oscar Lemaire, dans les colonnes de Gamekult

Même Jeff Ross, réalisateur de Days Gone, qui est revenu sur les révélations de Jason Schreier dans un long entretien diffusé sur YouTube, est d’accord. Selon lui, à une époque où les frais de développement peuvent atteindre 4 à 5 millions de dollars, le retour sur investissement est de moins en moins sûr. Il serait donc normal que Sony fasse preuve d’une telle prudence, en particulier avec une licence comme Days Gone, dont le premier opus a obtenu un 71 sur Metacritic - un indicateur très observé - après sept années de gestation.

Prise de risque

L’importance des triples-A comme Uncharted, The Last of Us et Horizon dans la stratégie et la réussite commerciale de la branche jeu vidéo de Sony (qui a signé une année fiscale 2020-2021 record) a façonné la manière dont la firme mène sa barque. Et c’est d’ailleurs un autre morceau du papier de Jason Schreier. Le journaliste y retrace le parcours du Visuals Arts Service Group, équipe généralement appelée en renfort sur des productions internes et qui s’est heurtée à la prudence, voire à l'indifférence de la société japonaise. Au départ, l’équipe voulait s’occuper d’un remake de The Last of Us à destination de la PS5, dans l’espoir d’être reconnu comme un studio à part entière. Au lieu de cela, l’effectif est parti épauler Naughty Dog sur un jeu multi et un nouvel Uncharted. D’après Schreier, Sony n’a jamais vraiment reconnu l’existence du Visuals Arts Service Group, et lui a encore moins accordé les ressources ou le soutien pour réussir. Dans le même papier, David Lang, fondateur du studio Iron Galaxy ayant collaboré avec PlayStation, apporte son éclairage sur le sujet :

Les personnes qui financent (le développement de jeux vidéo, ndlr) sont souvent prudent avec les risques, et s’ils doivent choisir entre une équipe qui a déjà prouvé sa valeur et une autre qui essaie de le faire pour la première fois, je peux comprendre pourquoi certaines personnes privilégient la première option - David Lang, fondateur d’Iran Galaxy Studios (Bloomberg)

De g. à d. : The Last of Us, Naughty Dog, Uncharted 2

C’est là un autre reproche que l’on pourrait faire à Sony : la manière dont la firme japonaise, taxée d'américanisation ces dernières années, soutien et privilégie ses studios clés (Naughty Dog, Insomniac, Guerilla Games) au détriment d’autres équipes plus “originales”, moins en accord avec la ligne éditoriale de PlayStation. Le manque de moyens insufflés dans le marketing de Dreams, la fabrique à jeu vidéo de Media Molecule exclusive à la PS4, encourage cette vision des choses. Tout comme le démantèlement de Japan Studios, à l’origine de Knack ou Everybody's Golf, qui a signé le départ de certains membres phares.

Miser sur d’autres

Des projets qui ont fait du bien au catalogue PlayStation, même si l’équipe japonaise battait de l’aile depuis des années. Aujourd’hui, ce sont des studios externes qui incarnent un certain vent de fraîcheur chez Sony, comme Arkane (Deathloop), Heart Machine (Solar Ash) et Sloclap (SIFU), dont les prochains titres seront des exclusivités consoles PS4 et PS5. Et l’actualité semble même dessiner une certaine externalisation des jeux first-party, comme le montre le partenariat avec Firewalk Studios en vue de créer un triple-A multijoueur, l'accord signé avec la nouvelle équipe de Jade Raymond, et la sortie de Returnal seulement sur PS5.

Une approche confirmée par les propos de Hiroki Totoki, directeur financier de Sony Interactive Entertainment, qui a récemment annoncé une hausse du budget en vue d'améliorer le catalogue de la firme. "Nous comptons continuer d'investir dans les partenariats avec des studios externes, en plus d'investissements agressifs dans nos studios internes" explique-t-il. Il faudra au moins ça pour concrétiser la vision de Jim Ryan, PDG de Sony Interactive Entertainment, affirme que la PS5 aura plus d'exclusivité que les autres machines PlayStation.