Une bonne idée, c'est tout ce qu'il faut

Car oui, si Mario Kart 8 Deluxe bénéficie d’une si grande popularité, c’est bien car sa formule est infaillible. Malgré le fait qu'il s'agisse d'un portage d’un titre Wii U et que sa sortie Switch fut pratiquement simultanée à celle de la machine, le jeu de course de Nintendo continue de se vendre par palettes. La raison est simple, Mario Kart a l’image du jeu tout public par excellence. Pas violent pour un sou, très accessible… C'est un jeu qu’il faut avoir sous le coude en cas de soirée entre amis. C’est un fait unanimement reconnu, et cela, le jeu de course le doit à son game design d’une efficacité sans faille. Dans Mario Kart, tout le monde doit avoir sa chance. Ainsi un trainard récupèrera des objets bien plus puissants que les meneurs. De cette volonté d’accessibilité nait une palanquée d’objets à la puissance et à l’utilité variable. Les participants moins aguerris peuvent donc aisément revenir dans la partie et chacun peut s’amuser. Cette idée est présente depuis le tout premier volet, Super Mario Kart.

Cette logique de game design simple et accueillante a toujours été au cœur des expériences de jeu estampillées Nintendo. Et si le niveau 1-1 de Super Mario Bros. en est un exemple particulièrement criant, cette philosophie est partout dans les jeux de la firme. Nintendo met l‘action, le jeu, au centre de ses productions. Il faut donc une idée principale, un pilier fondateur qui régira le reste de l’expérience. Les features supplémentaires doivent se greffer harmonieusement et avoir du sens. Dans un Luigi's Mansion, si le frère du plus célèbre des plombiers doit capturer des fantômes façon Ghostbusters, alors il utilisera un aspirateur. S’il dispose d’un aspirateur, quelle interaction amusante peut-il avoir avec son environnement ? Ainsi viennent s’ajouter les ventouses à fixer puis à tirer, les niveaux emplis de sable, la navigation sur bouée… D’un concept fort, les équipes de Nintendo déroulent une expérience qui additionne les mécaniques de jeu logiques. Les situations rencontrées par le joueur tirent profit d’un verbe de gameplay cristallin. Ce n’est pas pour rien qu’il est fréquent qu’un élément de gameplay, anodin de prime abord, soit finalement central à la communication faite autour d’un jeu ou à son scénario. Au cours de sa carrière, Mario fait donc la rencontre de J.E.T., un Jetpack aquapropulsé, de Cappy, un chapeau lui permettant de prendre le contrôle de ceux qui le portent… Le cas le plus extrême est peut-être celui du Lakitu de Super Mario 64 qui conceptualise la rotation de la caméra. Le petit caméraman nous permet de changer d’angle de vision et de nous familiariser avec des déplacements en 3D. Quand on vous dit que chaque mécanique doit avoir du sens…

Plus récemment ce sont les développeurs de Splatoon qui ont fait preuve d’une simplicité ingénieuse pour créer leur univers. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c'est le cœur de gameplay qui a conditionné le reste de l’expérience. Un jeu de tir chez Nintendo ne pouvait décemment pas être violent. Pour gagner, les joueurs doivent recouvrir le terrain d’encre. Ce concept initial est ensuite agrémenté d'autres idées permettant d’offrir de la personnalité au titre produit par Shintaro Sato. Les joueurs se devaient de pouvoir interagir davantage avec l’encre. Ainsi ils peuvent s’y camoufler, rechargent en s’y plongeant, mais ralentissent dans l’encre adverse. Plusieurs apparences ont été envisagées pour les Inklings. Même Mario et ses amis furent envisagés, mais encore une fois c’est le gameplay qui régira leur apparence et l’identité de l’expérience. Des ados qui écoutent du Punk et qui peuvent se transformer en calamar… Peut-on faire plus à propos pour un jeu où recouvrir tout ce qui bouge (et ne bouge pas) de peinture est le nerf de la guerre ?

Le fun avant tout

Les jeux Nintendo ont tendance à se reposer sur des mécaniques de jeux d’une simplicité cristalline, polies pour atteindre une pureté de game design. Quoi qu’en disent quelques hardcores gamer, la Wii en est une fière représentatrice et a accueilli de nombreuses expériences au design épuré reposant sur la clarté de ses contrôles. Ainsi l’intégralité du gameplay de The Legend of Zelda : Skyward Sword repose sur la direction des coups portés par Link, ce qui n’aurait pas été possible sans le Motion Plus. Ces concepts forts se doivent d’être parfaitement assimilés par le joueur afin de pouvoir lui opposer des challenges de plus en plus ardus. Ainsi dans un jeu Nintendo, chaque concept introduit est présenté au joueur dans un environnement dénué de toute pression. Le premier Goomba de Super Mario Bros débarque seul et aucun trou n’est présent dans les environs. Les mouvements tridimensionnels de Super Mario 64 peuvent être appréhendés en toute quiétude dans le Château de Peach, un endroit désert qui n'oppose aucune résistance au joueur. On se rappelle également que ce niveau était au centre de la démonstration faite du jeu à l'E3 1996. C'est tout naturel car pour les créateurs, le simple fait de déplacer Mario ou de le faire sauter se devait d'être amusant. Centrer son jeu autour d'une axe principal est une chose, rendre cet axe divertissant à lui tout seul en est une autre. De nombreux projets chez Nintendo débutent leur prototypage par des fondations extrèmement minimalistes pour s'assurer que la moelle du gameplay soit aux petits oignons. Par exemple, lorsque Splatoon a été sélectionné entre des dizaines de projets, le prototype faisait s'affronter de simple cubes blancs et noirs. Ryuoh the Fighting Game, le jeu qui deviendra Smash Bros, faisait s'affronter des bonshommes ressemblant à des mannequins. Si le jeu est au centre de tout, il se doit d'être parfait avant même que les autres éléments de gameplay ou visuels viennent s'y greffer.

Si dans l’absolu ces logiques de game design paraissent d’une simplicité déconcertante, elles ne sont pas monnaie courante dans le reste de l’industrie, du moins pas dans les jeux à gros budget. On retrouve des titres aux mécaniques épurées par centaines sur la scène indépendante. Nintendo reste un cas à part dans sa manière de concevoir le jeu vidéo. L’un des exemples les plus parlants de ces dernières années est à n’en pas douter Zelda Breath of the Wild. Cet épisode prend le contrepied de nombre de jeux en monde ouvert sortis avant lui. Ainsi l’idée même d'open world est ici l’axe central du titre. L’exploration, la liberté et l’aventure deviennent les features principales auxquelles s'ajoutent tous les autres éléments. Là où d’autres usent de ce concept en remplissant l’espace de quêtes, de dialogues et de fragments d’histoire, BOTW embrasse les contraintes qui accompagnent cette liberté étourdissante. Le joueur doit pouvoir faire ce qu’il lui plait quand ça le chante. Jamais on ne lui reprend la main artificiellement. Pour permettre à la narration de ne jamais empiéter sur le jeu, c’est par de simples souvenirs complètement facultatifs que l’essentiel du scénario est raconté. Si ce point précis a divisé les fans, il témoigne du jusqu'au-boutisme du titre de Nintendo. Absolument toutes les subtilités du titre, les points de désaccord ou les mécaniques célébrées par le public découlent de la radicalité de la proposition. Son système d’escalade libre, ses innombrables Korogus que seuls des acharnés se mettront en tête de tous récupérer, ses armes qui se brisent, sa lune de sang, ses sanctuaires, ses tours Sheikah… Toutes ces particularités créées de toutes pièces, ou empruntées à d’autres titres avant d'être remaniées, sont là pour légèrement structurer la progression et continuellement offrir des objectifs aux joueurs. Ces moteurs de gameplay sont au service de l'exploration et se payent même le luxe d'être facultatifs. Il en résulte un jeu qui laisse le joueur prendre ses propres décisions, ce qui par conséquent en fait le vrai héros de l'aventure.

Cette centralisation du fun, de l’acte de jouer, rend les expériences Nintendo particulièrement aisées à appréhender, à entamer, à abandonner, à reprendre et à retrouver. Et si certains reprochent à l’éditeur de s’être un peu trop reposé sur ses lauriers à certaines époques, cette logique de conservatisme permet à toute une frange de joueurs de se replonger dans leur univers préféré à n’importe quel moment de leur vie. Un joueur ayant découvert Super Mario Bros à l’époque de la NES sera plus enclin à reprendre la pratique du jeu vidéo en posant les yeux sur la frimousse du moustachu qu'en découvrant le nouveau héros à la mode. Il reconnait instantanément le plombier et sait exactement à quel type d'expérience de jeu s'attendre. Nintendo propose des jeux à l'identité visuelle et de gameplay forte, c'est indéniable. Et oui, sur le fond un New Super Mario Bros. U Deluxe ne propose ni plus ni moins qu’une expérience similaire à ses prédécesseurs, mais y a-t-il vraiment quelque chose à changer ? En aura-t-on un jour assez de sauter sur des Koopas en famille ? Rien n'est moins sûr. On peut se lasser d'univers éculés, d'un genre surreprésenté, mais le fun, lui, est indémodable.

Les jeux Nintendo doivent beaucoup à leurs univers colorés et accueillants, mais si le public est si enclin à jouer à des expériences sorties il y a des années, c’est bien parce que les fondations de ces titres sont d’une efficacité redoutable. La firme nippone maitrise le concept même du fun, au point que des logiciels vieux de plusieurs décennies peuvent être parcourus encore et encore. Chez Nintendo, le jeu est roi, ainsi la course à la puissance ne les intéresse pas et ce ne sont pas les récentes déclarations concernant un nouveau modèle de Switch qui nous feront mentir.