Dévoilé au Xbox Games Showcase du 23 juillet 2020, As Dusk Falls est le premier jeu du studio londonien INTERIOR/NIGHT, fondé par Caroline Marchal. L’ancienne responsable du pôle Game Design de Quantic Dream, qui est également passée par Sony London, revient en notre compagnie sur ce projet qu’elle a commencé à conceptualiser en 2015. Suivie par une équipe de vétérans de l’industrie ainsi que par un nouvel éditeur, elle ambitionne de raconter une histoire multigénérationnelle aux thèmes universels.
La bande-annonce de As Dusk Falls
Destins croisés
As Dusk Falls est un jeu narratif qui conte l’histoire de deux familles dont le destin va basculer dans le désert de l’Arizona, en 1999. L’aventure se déroule en fait sur une période de trente ans et adopte différents points de vue, comme celui des enfants de chacune des deux familles, avec en toile de fond le poids des erreurs du passé. En s’attaquant de nouveau au genre de l’Interactive Drama qu’elle a participé à populariser, Caroline Marchal a pour ambition de proposer une histoire aux thèmes forts sur laquelle le joueur a un véritable impact, en fonction de ses choix.
C’est l’histoire de deux familles très différentes qui ont des destins croisés. Il y a une famille qui voyage, qui essaye de redémarrer à zéro, et il y a une autre famille plus locale, qui habite dans une petite ville, et qui a également ses problèmes. En fait, on découvre au fur et à mesure de l’histoire qu’elles avaient des liens dans le passé. Le joueur, les joueurs, auront énormément de contrôles sur l’avenir des différents protagonistes. Car c’est très important pour moi. Oui, c’est cool de raconter une belle histoire mais ce qui est génial avec les jeux vidéo, c’est l’influence que les utilisateurs peuvent avoir sur la destinée des personnages et sur leur arc narratif. Toi, quand tu joues, tu prends des décisions pour les protagonistes en essayant de choisir ce qui te semble personnellement le plus raisonnable, ou émotionnellement ce qui leur convient le mieux. Quand tu fais ces choix, tu révèles des choses sur qui tu es en tant que personne, sur tes valeurs intrinsèques, sur tes principes. En jouant une histoire, tu apprends des choses sur toi-même, et c’est vraiment ce que je trouve passionnant dans l’Interactive Drama.
L’expérience de As Dusk Falls est donc basée sur l’empathie, à savoir sur ce que nous sommes capables de ressentir pour les protagonistes du jeu. Le studio se dit inspiré par des séries telles que True Detective ou The Americans. Les quatre auteurs de l'équipe ont également regardé des reportages sur des crimes, afin de mieux comprendre les motivations des individus qui franchissent toutes les limites. Avec en ligne de mire, l’objectif d’exposer un scénario complexe qui doit interpeller le joueur.
On incarne différents personnages, ce qui permet d’avoir différents points de vue. On comprend donc les motivations et les options qui s’offrent à eux. Toi, en tant que joueur, tu les aides à naviguer dans cet espace narratif, à naviguer dans toute cette histoire. Tout en expérimentant la même aventure, les chemins que l’on va prendre sont très spécifiques, uniques à chaque joueur. Les séries citées sont un mélange entre le drama et le crime. Il y a des éléments de suspens et de stress, il y a des situations compliquées où les enjeux sont énormes, mais aussi des moments où les relations sont plus intimes. C’est quelque chose que l’on retrouve dans True Detective mais aussi dans Le Bureau des Légendes, où il y a des enjeux énormes et des relations denses entre les personnages.
Les moments où les “enjeux sont énormes” seront donc accompagnés de séquences plus intimistes. Les thèmes abordés gravitent autour du pardon, des liens familiaux, de l’oubli. Des thèmes qui parlent à tout le monde et qui facilitent l’empathie recherchée. L’équipe d’INTERIOR/NIGHT insiste sur le fait que l’histoire n’intègre pas de zombies ni d’intelligence artificielle. Elle est ancrée dans notre réalité.
Dans As Dusk Falls, nous nous concentrons sur des thèmes universels. Nous posons des questions aux joueurs qui sont proches de celles de la vie courante. Par exemple, quand tu nais dans une famille un peu toxique, même si les gens t’aiment, mais que cette famille ne te fait pas forcément du bien, alors est-ce que c’est possible de rompre les liens et d’être heureux après ça ? Ou si tu as vécu quelque chose de traumatisant dans ton enfance, comment peux-tu arriver à surmonter ça et te construire en tant qu’adulte ? Est-ce que déménager et commencer un nouveau travail peut permettre de laisser ses problèmes derrière soi ? Toutes ces questions sont liées à la vie de tous les jours. Ce sont des thèmes qui résonnent chez tout le monde.
Un jeu narratif se doit d’apporter de réelles conséquences aux choix du joueur. Bien qu’il s’agisse de la marque de fabrique du genre, de nombreux titres ont surtout créé l’illusion de choix, plutôt que de multiplier les embranchements. As Dusk Falls semble assumer le parti pris de laisser une grande liberté de choix à l’utilisateur, plutôt que d’imposer une manière de vivre les événements.
Nous posons des questions au joueur, nous définissons les thèmes. Je pense qu’il y a plein de réponses valides, qui dépendent des points de vue. Nous essayons de créer l’espace narratif le plus large possible pour qu’il y ait toutes les destinées imaginables pour les protagonistes, en restant bien sûr dans la cohérence de notre univers. Nous ne sommes pas là pour dire qu’il y a un bon choix, un mauvais choix, une bonne fin, une mauvaise fin. Il y a juste de la nuance. J’aime les fins douces-amères, car la vie est un peu comme ça. Il y a rarement de la pure joie ou de la pure tristesse, tout est assez mélangé. Et c’est ce que l’on essaye de montrer.
Un jeu pour toutes et tous, à l'écriture complexe
S’attaquer à l’Interactive Drama aujourd’hui est plus risqué que ça ne l'était il y a dix ans. Les joueurs commencent à voir les grosses ficelles et les faux choix, et sont habitués à des séries télévisées d’excellente qualité disponibles sur les plateformes de streaming. Dans le monde du jeu vidéo, il demeure encore assez rare d’avoir des personnages véritablement bien écrits, complexes, comme ceux que l’on peut trouver sur grand ou petit écran. Caroline Marchal en est consciente et évoque le défi de concevoir un titre dont l’écriture n’aurait rien à envier à celle des productions HBO.
Je mentionne beaucoup la télévision à cause du travail qui est fait sur les personnages des séries. Il y a des personnages très complexes, qui ont des défauts tout en étant attachants. Maintenant, tout le monde est très malin et comprend les astuces de narration, comment une histoire bien faite doit être structurée. Et je trouve ça super car pour nous, c’est un challenge d’écriture... ça demande de plus en plus de qualité puisque les exigences sont de plus en plus hautes. En matière de qualité d’écriture, ce que nous visons est ce que l’on peut trouver sur Netflix, Amazon ou HBO. Des shows populaires mais complexes.
Le jeu narratif est souvent perçu comme étant une bonne porte d’entrée au monde du jeu vidéo pour celles et ceux qui le connaissent mal. As Dusk Falls veut aller encore plus loin. Cela passera évidemment par son gameplay, dont nous n’avons aucune information pour le moment, mais aussi par son histoire et son support. S’il ne sort pas sur Netflix, et passe donc à côté d’une forte concentration de “non-joueurs”, il arrivera néanmoins sur Xbox et PC. Ce qui veut dire Game Pass et, normalement, xCloud.
Le but avec l’histoire est d’être accessible et inclusive. Si ta grand-mère veut y jouer, elle pourra le faire ! Et puis nous sortons notre jeu sur le Game Pass, ce qui permettra à des gens qui de base ne sont pas certains d’aimer le narratif de l’expérimenter. Je pense sincèrement que le narratif est le meilleur genre pour essayer d’étendre la base de joueurs puisque c’est vraiment universel… tout le monde veut savoir ce qui va se passer après certaines scènes ! C’est le meilleur moyen d’attirer des gens sans forcément se concentrer sur des mécaniques, bien que nous ayons un game design très solide. Je ne peux malheureusement pas encore en parler, il va falloir attendre quelques mois.
Un style évocateur
Ce que nous remarquons d’emblée quand nous regardons des vidéos ou des images de As Dusk Falls, c’est sa direction artistique qui mélange "vraie" 3D pour les décors, et dessins de personnages en 2D, que l’on jurerait venir d’un roman graphique. Bien que nous puissions supposer qu’un tel procédé ait été utilisé pour des raisons économiques, les personnages 3D étant coûteux, INTERIOR/NIGHT explique que cette direction artistique a un double intérêt : elle sort visuellement le projet du lot tout en permettant de mieux travailler les émotions des protagonistes.
Nous voulions à la fois un style qui nous démarque et qui est très évocateur. On a une cinématographie similaire à celle d’un film ou d’une série. Ce n’est pas une visual novel, nous définissons plutôt cela comme une cinematic novel, qui est un mixte de roman graphique super détaillé et de film. Ce que nous permettent ces images 2D peintes à la main, c’est une absence d’uncanny valley. Nous avons des expressions faciales nuancées, nous ne passons pas par des étapes de digitalisation. Nous sommes un mélange entre un studio de films et un studio de jeux vidéo. Nous disposons d’ailleurs dans l’équipe de talents variés qui viennent de différents univers. Tous nos directeurs sont des vétérans de l’industrie avec au moins quinze ans d’expérience dans le jeu, mais on a aussi des talents qui viennent du film et de l’illustration 2D. C’est super enrichissant pour nous car tous ces points de vue augmentent la qualité de notre jeu. Le réalisme, c’est une quête valable et intéressante. Mais moi ce que je voulais, c’était avoir un style visuel unique, et ne pas entrer dans une course à l’armement pour le visuel.
Du côté du processus de développement, de “vrais” acteurs sont invités à jouer des scènes qui sont filmées. Ensuite, les rushs sont triés. Quand les spécialistes trouvent l’image où l’acteur a l’expression recherchée, ils l’envoient aux illustrateurs qui vont “peindre” par-dessus. Bien sûr, en période de Coronavirus, les tournages demandent quelques aménagements. Le studio dirigé par Caroline Marchal était déjà ouvert à l’idée du télétravail, mais la crise sanitaire actuelle accélère cette mutation vers la création à distance.
Ces derniers mois, il a fallu se réorganiser. Mais pour la production cela n’a pas vraiment posé de problème. Un de nos auteurs est un Américain qui habite en Indonésie, et cela ne pose aucun souci. Nous avons des gens qui travaillent depuis l’Europe… et la crise sanitaire a juste renforcé cette tendance. Londres c’est super car c’est un melting pot de talents, mais avec ce qui se passe, c’est aussi pratique et agréable de pouvoir travailler avec des gens tout autour du monde. Nous avons surtout dû nous réorganiser en ce qui concerne les tournages. Je pense quand même que le télétravail, c’est un peu le futur de pas mal de boîtes.
La grande aventure de la petite équipe d'INTERIOR/NIGHT
Caroline Marchal est restée dix ans chez Quantic Dream, où elle a travaillé sur Fahrenheit au Game Building, puis sur Heavy Rain et Beyond : Two Souls au Game Design. En mai 2014, elle a rejoint Sony London pour travailler sur des projets PSVR et sur des concepts narratifs. Elle a quitté la société deux ans plus tard avec comme idée de fonder son propre studio. Elle trouve un premier éditeur, SEGA, qui finit par se désengager du projet.
Depuis 2016, c’est une aventure, avec des bas et des hauts évidemment, mais je n’ai jamais douté. Ça fait cinq ans que je veux faire cette histoire. D’ailleurs, j’ai créé ce studio pour faire ce jeu. Nous ne sommes pas un studio pour un jeu unique, ce n’est pas ce que je veux dire, il y aura d’autres projets. Mais le point initial de la création de ce studio, c’était de faire ce jeu et de travailler avec des gens que j’estime. Ce que j’ai vraiment accompli en quatre ans, c’est d’avoir rassemblé une équipe talentueuse qui croit en ce qu’on fait. Une fois que l’on a ça, c’est le socle pour tout le reste. On a franchi plein de choses, et je sais que l’aventure n’est pas terminée et qu’il y aura d’autres défis, mais ça ne me dérange pas car nous sommes forts et nous maintiendrons le cap. Nous ne sommes que quarante, ce qui est pratique car tout le monde peut comprendre la vision et regarder dans la même direction.
En 2019, son chemin croise celui de Microsoft. Le géant est à l'écoute de partenaires à signer afin de diversifier son offre, tandis que Caroline cherche un nouvel éditeur. Avec Tell Me Why et désormais As Dusk Falls, la firme de Redmond montre qu’elle veut être présente dans le genre narratif.
Avec Microsoft, nous nous sommes rencontrés lors d’un show. Cela ne devait pas être un pitch et ça s’est terminé en présentation du jeu… c’est toujours comme ça les meilleures rencontres ! Je suis ravie de travailler avec eux. En fait, cette rencontre a fait que tout s’est amélioré pour nous. Tu as l’impression qu’il y a des revers, mais en fait ça aboutit sur des choses mieux. Quand nous nous sommes rencontrés, ils ont tout de suite compris ce qu’était le projet. Des fois quand tu exposes ta création, les questions sont un peu toujours les mêmes. Mais avec Microsoft, pas du tout, ils avaient tout compris de notre vision. Ils comprennent très bien le genre, ils comprennent son intérêt aussi, qui est de rendre l’interactivité plus accessible, et je pense qu’ils investissent là-dedans et je trouve ça super. C’est leur philosophie, ils laissent les studios travailler créativement comme ils le sentent. Ils sont là pour soutenir la vision créative et donner les moyens de rendre le jeu le plus abouti possible.
Aucune date de sortie n’est pour le moment précisée pour As Dusk Falls . Il reste donc du temps à l’équipe de développement pour nous présenter en détail comment ces histoires familiales seront domptées par les actions des utilisateurs. Le jeu développé par INTERIOR/NIGHT sortira sur Xbox One, Xbox Series X et PC. Il fera partie du Game Pass.