
Nos jeux vidéo auraient-ils un coût humain ? Depuis déjà quelques années, de nombreux développeurs alertent sur la pratique ancestrale du crunch dans l'industrie vidéoludique. Afin de boucler les productions dans les délais, certains studios vont jusqu'à faire travailler leurs employés des dizaines d'heures supplémentaires durant des périodes de rush intenses.


Très peu de grands noms ont été épargnés par ces témoignages éloquents, pas même Naughty Dog qui était au centre d'une polémique suite à la publication d'un article signé Kotaku. En cause, The Last of Us Part II qui donnerait des cheveux blancs à de nombreux employés du studio... Après ces premiers témoignages, c'est aujourd'hui au tour de Jonathan Cooper, ancien animateur de la firme, de faire part de son expérience sur Twitter. Avant même d'aborder le problème du crunch, il évoque certaines pratiques peu reluisantes constatées dans les locaux californiens de la filiale de Sony.
Lorsque j'ai quitté Naughty Dog en fin d'année dernière, ils ont menacé de retenir mon dernier salaire jusqu'à ce que je signe un document stipulant que je ne partagerai par leurs méthodes de production. Ils ont finalement fait marche arrière lorsque je leur ai signalé que c'était illégal...
Est ensuite abordée la question du crunch et des périodes de travail aux cadences infernales. Même s'il estime que les phases les plus intenses demeurent relativement raisonnables pour les "story animators", Cooper fait part de conditions bien plus inquiétantes pour d'autres services. L'un de ses anciens collègues aurait même été hospitalisé en raison d'un surmenage.
La vérité, c'est que je n'ai pas de terribles histoires de crunch. Les "story animators" comme on nous appelait travaillaient en moyenne 46 heures par semaine et je n'ai personnellement jamais dépassé les 55 heures. L'équipe du scénario est super organisée et on pouvait réagir à tout ce que l'on nous balançait. Ça ne veut pas dire que les autres ne souffraient pas.
Pour la démo montrée en septembre dernier, les "gameplay animators" ont 'crunché' plus que je ne l'avais jamais vu et ont dû prendre des semaines de récupération après ça. L'un de mes bons amis a été hospitalisé à cette époque à cause du surmenage. Il avait encore six mois à tenir. Il y a eu d'autres cas comme ça depuis.

Ces problèmes, les travailleurs gravitant autour de l'industrie du jeu vidéo les connaissent bien. Mais en plus de causer des dégâts humains, ceux-ci pousseraient Naughty Dog à modifier son mode de fonctionnement. Afin de remplacer les animateurs surmenés, le studio serait contraint d'embaucher des forces supplémentaires en pleine période de crunch et il s'agirait en majorité de juniors ou de personnes peu familières avec le jeu vidéo, moins au fait des conditions de travail.
La raison pour laquelle j'ai quitté (Naughty Dog), c'est parce que je ne veux travailler qu'avec les meilleurs. Naughty Dog ne fait plus partie de cette catégorie. Leur réputation de studio qui crunch à Los Angeles est si mauvaise qu'il était presque impossible d'embaucher des animateurs spécialisés dans le jeu vidéo via des contrats saisonniers pour terminer le projet. Du coup, on prenait des animateurs de cinéma.
Même s'ils sont super talentueux, ils n'ont pas les connaissances en termes de technique / design pour assembler des scènes. Également, l'équipe de design s'est gonflée avec des juniors pour compenser la perte de certains postes importants. Finaliser ce jeu a pris beaucoup plus de temps en raison du manque d'expérience de l'équipe.
Comprenez-moi bien, ces jeunes sont pour la plupart très bons et les meilleurs d'entre eux étaient excellents. C'est juste que quand le ratio junior / senior est mal équilibré, les choses peuvent vraiment s'enliser et on passe plus de temps à former qu'à vraiment travailler.

Selon Jonathan Cooper, le report de The Last of Us Part II serait donc lié à cette mauvaise réputation, entraînant ainsi des recrutements complexes. Il précise ensuite durant quelques tweets que, dans l'industrie vidéoludique, le secteur de l'animation se repose essentiellement sur des contrats précaires avec des promesses de CDI pas toujours respectées.
Quoi qu'il en soit, il ne doute pas que la nouvelle production de Naughty Dog sera un succès, mais regrette simplement les conditions et méthodes de travail au sein du studio américain. Il termine néanmoins en ajoutant qu'avec une équipe plus expérimentée, les aventures de Joel et Ellie seraient déjà terminées depuis un bon moment.
Au bout du compte, les jeux linéaires de Naughty Dog reposent sur une formule et ils les 'focus-test' à mort (ndlr : méthode consistant à faire tester des points précis d'une expérience à des joueurs expérimentés et à même de fournir des retours constructifs). Même s'ils sont talentueux, leur succès est largement dû aux poches bien pleines de Sony qui finance les délais, plutôt qu'à du talent pur. Une équipe plus senior aurait déjà publié TLOU2 il y a un an.


