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News événement Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
Profil de daFrans,  Jeuxvideo.com
daFrans - Journaliste jeuxvideo.com

Le 10 novembre dernier, l’AccorHotels Arena de Paris fut le témoin d’un spectacle extraordinaire. Des milliers de visiteurs ont envahi ses 15 000 sièges afin d’assister à la finale du League of Legends World Championship. Billets écoulés en quelques minutes, spectateurs par millions sur Twitch, cérémonie d’ouverture grandiose, show à l’américaine… Cet événement hors-normes n’avait rien à envier aux plus grandes compétitions sportives du monde. Si l’attention médiatique accordée à toute cette affaire a pu en étonner certains, il ne s’agit pourtant que de l’aboutissement logique d’une industrie progressant à pas de géant. L’Esport rassemble aujourd’hui 454 millions d’adeptes à travers le monde et génère près d’un milliard d’euros de revenus annuels selon Newzoo. Un marché stratégique pour la ville de Paris qui remue ciel et terre afin d’accueillir d’autres événements de cette ampleur à l’avenir. Les possibilités sont nombreuses, les enjeux importants, surtout lorsqu’on a la chance d’accueillir les Jeux Olympiques en 2024…

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
Jean-François Martins passant le flambeau à Shanghai lors des Worlds de LoL.

Marier Jeux Olympiques et jeu vidéo compétitif ? C’est l’un des dossiers brûlants qui se trouve actuellement sur le bureau de Jean-François Martins, adjoint aux Sports de la Ville de Paris. Cet homme croit dur comme fer au développement de l’Esport, un combat qu’il mène depuis déjà plusieurs années, notamment auprès du Comité international olympique (CIO). Pourtant, l’intégration du jeu vidéo compétitif aux JO de 2024 s’annonce comme un long chemin de croix, les officiels ayant déjà récusé cette éventualité en décembre 2018. Les raisons de ce refus sont multiples, intérêts financiers privés dérangeants, violence de certains titres, fragmentation de la communauté… Le verdict est clair, un ajout de l’Esport serait prématuré. Malgré ce revers, Jean-François Martins ne perd pas espoir. Pour lui, la légitimité de cette discipline aux JO ne fait aucun doute.

Du point de vue de la ville hôte des Jeux 2024, si on se dit que les meilleurs compétiteurs de la planète seront là à l'été 2024 – olympiques comme paralympiques, toutes les disciplines reines – de mon point de vue, il n'est pas possible que des compétiteurs ultra professionnels, ultra entraînés, qui engagent avec eux des communautés de plusieurs dizaines, voire parfois de plusieurs centaines de millions de fans dans le monde soient absents d'un grand rendez-vous comme celui-ci. Je répondrai plutôt par l'inverse : est-ce qu'on peut imaginer que lors du plus grand événement au monde, désormais, on puisse faire l'impasse sur l'Esport ? La réponse pour moi est non. (…)

Est-ce qu’en oubliant l’Esport, on ne rate pas toute une partie du monde et de la vocation universelle des jeux ? Je pense que c’est un peu le cas. Il faut lui trouver une place dedans, à côté, en marge du programme, mais il faut qu'on trouve quelque chose.

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins

La question n’est donc plus de disserter sur la légitimité de l’Esport, mais de lui offrir les moyens de s’imposer comme une discipline répondant aux standards de l’olympisme. Le CIO avait été clair dans son rapport publié l’année dernière, ce ne sera pas pour 2024. Tout en laissant la porte ouverte, l’organisme avait qualifié cette demande de "prématurée". Mais alors, qu’est-ce qui coince ? Que faudrait-il changer dans l’Esport pour finir de convaincre le CIO ? Selon Jean-François Martins, il s’agirait de structurer un milieu encore immature à certains égards.

Il y a deux choses. D’abord, culturellement, il faut du temps pour mieux comprendre, pour mieux expliquer, pour mieux codifier l’Esport, pour le faire entrer dans des standards qui peuvent correspondre à l’olympisme. Ça, c’est un temps de dialogue culturel qui est long. Deuxièmement, l’Esport a besoin de se structurer aussi, notamment parce que les Jeux Olympiques sont une compétition de nations. Aujourd’hui la structuration des équipes nationales est très faible à l'exception d'une ou deux licences qui l’ont très bien fait. Il y a la question de la structuration des équipes nationales et, in extenso, la question de la structuration des milieux Esport dans les pays.

On a la chance en France d'avoir une fédération France Esport qui est très en avance par rapport à celles de nos voisins européens et des autres pays du monde, mais il y a des pays où la réflexion n'est encore qu'embryonnaire. Donc si demain vous dites "on fait une compétition de Rocket League, il me faut une équipe pour représenter tel pays", qui choisit ? Ça, c’est au monde de l'Esport de répondre, avec la structuration du monde professionnel et amateur parce que, je le rappelle, les Jeux Olympiques, philosophiquement, sont une compétition amateure, sans prize money. Le monde de l’Esport a du chemin à faire.

Aspect commercial et violence, deux problématiques majeures

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins

En attendant une prise de conscience plus générale, la question de l’Esport aux Jeux Olympiques de 2024 reste d’actualité. Aussi motivé que la Mairie de Paris, Tokyo a annoncé il y a quelques mois l’organisation d’une compétition vidéoludique en marge des JO de 2020. Poussé par la détermination de l’entreprise Intel, le CIO a ainsi adoubé un tournoi baptisé Intel World Open et réunissant les meilleurs joueurs de Street Fighter V et Rocket League. Un premier pas qui révèle malgré tout deux failles déjà pointées du doigt par les responsables olympiques. Pour commencer, la présence d’Intel rappelle que l’Esport est "un secteur axé sur le commerce alors que le mouvement sportif repose lui sur des valeurs", comme l’explique le CIO. Si dans le football ou le basketball, les enjeux financiers sont aujourd’hui incontestables, leur concept et leur évolution ne sont, à l’origine, pas le fait de sponsors ou de sociétés privées. Une réflexion que Jean-François Martins est venu étayer durant notre entretien :

L’Esport a commencé, pour plein de raisons (on pourrait disserter sur le sujet durant des heures), d'abord sur une structuration professionnelle et s'interroge maintenant sur la pratique amateure. Je comprends cette phrase comme : aujourd'hui ce qui guide la pratique de l'Esport, ce sont plutôt les éditeurs, les tournois, les prize money, etc… Il y a des enjeux financiers dans la pratique qui sont plus importants que dans le sport pris dans son acception universelle. Mais à l'échelle du sport professionnel et de l’Esport professionnel, évidemment, on est dans le même genre d'enjeux économiques, si ce n'est que dans le sport, il y en a encore un peu plus. Mais il y a dans le sport une pratique amateure, alors qu’elle est encore trop faiblement développée et structurée dans la pratique Esport.

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
« Je ne crois pas à du FPS en 2024. »

Une première problématique qui s’avère donc tout à fait surmontable et que le temps se chargera de gommer. Le second barrage à cette inclusion aux Jeux Olympiques est plus complexe. Comme nous l’avons vu, seuls Street Fighter V et Rocket League feront office de disciplines officielles dans le cadre de l’événement tokyoïte. Où sont League of Legends, Dota 2, Counter-Strike ou Overwatch ? C’est là l’autre doléance adressée au milieu de l’Esport par le Comité olympique, la violence n’a pas sa place aux JO. La boxe et autres sports de combat sont considérés comme "des expressions civilisées d’affrontements réels", tandis que "les jeux dans lesquels le but est de tuer quelqu’un ne peuvent pas s’accorder avec les valeurs olympiques". Véritable casse-tête pour les défenseurs du jeu vidéo compétitif, mais pas vraiment pour l’adjoint aux Sports de Paris qui estime que les systèmes de classification ont un rôle à jouer dans cette sélection :

D’abord, dire que League of Legends est violent et que Street Fighter ne l’est pas… On pourrait avoir le débat longtemps. On a la chance d'avoir un système de classification PEGI 12, 16, 18 qui est suffisamment bon. L’exclusion des PEGI 18 me paraît légitime et normale. À partir d’en-dessous, on peut discuter. Là encore, cette question ne se pose que si on est dans le strict périmètre olympique et je crois que les déclarations du CIO sont aujourd'hui suffisamment claires. Elles disent qu’une intégration de l’Esport dans le strict périmètre olympique, avec athlètes sur le village, médailles olympiques, etc., est encore prématurée. Ensuite, tout le monde devra faire un chemin si on veut y arriver. Effectivement, je ne crois pas à du FPS en 2024, ça c'est sûr. Mais je ne vois pas ce qui interdit du MOBA, qui est quand même ultra populaire, je ne vois pas ce qui interdit du Versus Fighting et je ne vois pas ce qui interdit une partie des jeux de sport extrêmement populaires. Avec ça, vous avez largement de quoi faire. Typiquement, je ne vois pas la raison de sortir League of Legends, franchement.

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins

Après avoir débattu sur les considérations scénaristiques de League of Legends, titre dans lequel le joueur contrôle un avatar qui disparaît, plus qu’il ne meurt, nous en venons à poser la question suivante : ce ne serait donc qu’une question de représentation de la violence ? Si les personnages se contentent de disparaître, plutôt que de reproduire des gestes d’agonie, le CIO serait-il plus enclin à accepter un jeu ?

Je pense que c’est pour ça qu’il ne faut rentrer dans ce débat qu’avec le PEGI. On ne va pas refaire une norme. Il y a une norme, elle existe. Evidemment, les Jeux Olympiques dans leurs valeurs universelles doivent être visibles par les plus jeunes et doivent se dérouler sur des licences qui sont PEGI 16 maximum, voire 12. (…) Après, c'est à l'olympisme de dire ses valeurs. La question se pose vers le CIO. Nous, en tant que ville hôte, on verra bien. Si on est en marge de l'olympisme, on aura les coudées franches et on regardera quels sont les éditeurs qui ont envie. Car pour des raisons de propriétés intellectuelles, il faudra que les éditeurs aient envie de venir.

« Il y aura ce type de compétitions à l'été 2024 à Paris »

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
Le village Esport créé dans le cadre des Worlds de Paris.

À la lumière de cette dernière phrase, on comprend donc que, malgré les inquiétudes du Comité olympique, Paris ne laissera pas tomber l’Esport. Jean-François Martins nous l’a énoncé de manière claire, il y aura une compétition dédiée au jeu vidéo durant les JO de Paris. Reste maintenant à décider de sa forme et de son niveau d’intégration. Sans pouvoir nous dévoiler les détails de son plan, notre interlocuteur laisse entendre qu’il ne s’agira pas d’une véritable épreuve olympique, mais plutôt d’une compétition organisée en parallèle sur "deux, trois, quatre licences".

On y travaille, pour trouver la proposition qui aille plus loin que Tokyo. C’est très bien ce que fait Intel, partenaire du CIO sur deux licences, Street Fighter et Rocket League, (…) mais on sera quatre ans plus tard, donc il faut aller plus loin. Je ne fais pas de la question de la médaille olympique, du podium, une question centrale. Parce qu'évidemment, là, on va entrer directement en confrontation avec les purs enjeux de l'olympisme. Mais qu’autour des jeux, pendant les jeux, entre les olympiques et les paralympiques, on ait une grande compétition de deux, trois, quatre licences qui amène les meilleurs joueurs du monde à Paris, je ne perds pas espoir. Enfin, plus que de ne pas perdre espoir, j'ai une volonté très forte de le faire. À vrai dire, la question est désormais de savoir quel sera son niveau d'intégration à l’aventure olympique et paralympique. Mais il y aura ce type de compétitions à l'été 2024 à Paris. Le but maintenant, c'est de l'intégrer le plus possible à l'événement olympique et paralympique.

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins

En début d’année prochaine, Paris et le CIO auront ainsi une nouvelle discussion à ce sujet. En attendant de connaître les résultats de cette concertation, certains observateurs n’hésitent pas à renverser la question : l’Esport a-t-il besoin des Jeux Olympiques ? Est-il vraiment intéressant de tenter un mariage forcé, alors même que la question génère des débats houleux et que la croissance du marché du jeu compétitif semble inarrêtable ? Une vision qui apparaît comme un peu téméraire aux yeux de Jean-François Martins. Selon lui, les JO apporteraient au jeu compétitif un statut de pratique reconnue et universelle qui lui fait encore défaut à l’heure actuelle. Il s’agirait également de créer une forme de ferveur nationale au sein de cette discipline qui, comme nous l’avons vu plus tôt, repose pour le moment plus largement sur des marques et entreprises privées. Alors, l’Esport a-t-il besoin des Jeux Olympiques ?

Je pense que oui. Il faut être à la fois admiratif de la croissance et de l'audience de ce secteur, tout en mesurant qu'il reste encore aujourd'hui relativement petit, en audience, en maturité économique et culturellement dans la société, par rapport à des grandes traditions de disciplines. Donc oui, je pense qu’on aurait intérêt à intégrer l’Esport aux Jeux Olympiques. D’abord dans la visibilité, dans la banalisation et dans la position statutaire. Ce n’est pas qu'une vitrine d'audience, parce qu’on pourrait dire "regardez League of Legends fait 100 millions de spectateurs sur la finale". Mais les Jeux, ce n’est pas qu'une question d'audience, c’est une question de statut. Statutairement, vous êtes dans les Jeux Olympiques, ça dit quelque chose de votre discipline. C’est une installation dans la société en tant que pratique universelle et reconnue.

D’un autre point de vue, c'est bien d'avoir une compétition purement désintéressée comme les Jeux Olympiques, et puis il y a la question des équipes nationales. (…) Je pense que l'implication des fans derrière les équipes et derrière les joueurs sera toujours plus forte avec des équipes nationales. (…) Un Gotaga dans une équipe de France connaîtrait en termes d'audience et de supporters quelque chose que les équipes pros ne lui offriront jamais. (…) Jouer pour son pays, jouer pour les Jeux Olympiques, c'est un truc en plus. Je pense que, comme expérience à offrir aux athlètes, c’est un truc unique.

L'Esport, une affaire parisienne

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins

Pour terminer, tournons-nous vers l’avenir. Quid des Jeux Olympiques de 2028 ? L’Esport pourrait-il y être intégré de manière définitive ? Pour notre interlocuteur, cela dépendra largement de ce que Paris sera capable de proposer dans quatre ans. Si l’événement auquel songe Jean-François Martins rencontre un succès digne de ce nom et que le milieu du jeu compétitif parvient à se structurer au niveau national, la question sera certainement abordée d’une toute autre façon. Pour le moment, le constat des officiels parisiens fait donc état de deux problématiques majeures : laisser le temps à l’Esport d’être intégré culturellement et pousser les pays à créer des fédérations dédiées à la discipline.

Je pense que si en 2024, on arrive à faire quelque chose de bien, même si ce n’est pas strictement intégré au programme des Jeux, on aura fait un pas. Si en même temps, le milieu de l’Esport se structure pour offrir, non pas tant les garanties sur les contenus, parce que la variété des jeux et des licences aujourd'hui permettrait de lever toutes les questions sur la violence. Mais ce qui manque désormais c'est : vers qui je me tourne si je veux l'équipe croate de Rocket League ? Sur ça, on a besoin que les milieux nationaux se structurent pour avoir des interlocuteurs et faire ces équipes nationales. C’est un élément insurmontable à ce stade. (…)

Objectivement, je pense qu’avec huit ans de travail, d’acculturation réciproque, c’est possible. Mais c’est moins à moi de le dire qu’au CIO.

Jeu vidéo aux JO de Paris : « Le monde de l’Esport a du chemin à faire », selon Jean-François Martins
Level 256, la maison de l'Esport de Paris.

En définitive, la problématique de l’Esport aux JO n’a pas été pleinement résolue, mais les avancées sont particulièrement encourageantes. Parallèlement, rien ne semble arrêter cette jeune industrie à l’heure actuelle. Les audiences, la croissance, les revenus, tout est là. Grâce à la fructueuse relation entre ces trois composantes, les studios tels que Riot Games ont désormais les moyens d’organiser des événements dignes des plus grandes coupes du monde sportives. D’ailleurs, Jean-François Martins nous l’a confié, son équipe traite les Worlds de League of Legends de la même manière que n’importe quel grand rendez-vous sportif. Les interlocuteurs sont différents, certes, mais les retombées du point de vue touristique et économique sont parfaitement comparables. Dans ces conditions, la ville de Paris a fait du jeu compétitif un enjeu majeur pour les années à venir : « Paris doit devenir cette place forte de l’Esport à l’échelle mondiale ». Séoul et Pékin n’ont qu’à bien se tenir, la Ville Lumière se présente aujourd’hui comme un sérieux concurrent sur l’échiquier du jeu compétitif mondial.

Commentaires
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Rizzzla Rizzzla
MP
Niveau 3
le 04 févr. 2021 à 16:31

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