"Il semble que Néron a voulu tenter une sorte de « révolution culturelle », dont il était plutôt le chantre que le créateur, car il préférait les arts d’interprétation, la musique et le théâtre, avec la conscience et le scrupule d’un véritable professionnel.
A la fois romantique et baroque, poète, artiste et bâtisseur, comme un Louis II de Bavière, il voulut s’évader des cadres étouffants du classicisme augustéen, accentué aux temps de Tibère et de Claude. Sous ce dernier règne, un « mouvement littéraire » était né, qui s’épanouit sous Néron : il réunit autour de lui une sorte d’Académie néronienne (aula Neroniana) qui ne groupait pas que des artistes (architectes, peintres et sculpteurs) mais aussi des musiciens (Terpnos) et des écrivains (Sénèque, Lucain, Pétrone).
Considérer Néron comme un simple « hellénisant » est une simplification abusive et l’analyse des créations artistiques, où son influence personnelle n’est plus discutée, révèle dans son architecture et sa décoration des tendances « modernistes » et un goût surprenant pour la performance technique.
Or, ses architectes, Severus et Celer, ses peintres, tel Fabullus, l’inventeur des « grotteschi », sont de purs Romains et l’on reconnaît dans l’art néronien la trace du vieux fonds populaire (ou plébéien) italique, ainsi que des influences égyptiennes, de toute façon un effort original qui fut très vite perdu, puisque la Maison dorée fut recouverte par les constructions de Titus et de Trajan.
Quant à la peinture murale, on estime aujourd’hui que le goût de Néron pour le théâtre explique le IVe style pompéien, aux scénographies somptueuses et compliquées. Et le romantisme du temps inspire des chefs-d’œuvre comme le célèbre « Cheval de Troie ».
En somme, la révolution néronienne recueillit des tendances et des courants que le classicisme augustéen avait étouffés dans tous les domaines et marque un effort de libération. Son amoralisme provocant s’oppose aux principes fondamentaux de la morale traditionnelle à laquelle les sénateurs stoïciens demeuraient attachés. Il est l’héritier de deux traditions, l’individualisme forcené des révolutionnaires italiens et la « vie inimitable » des souverains Lagides. Leur dernier représentant fut Marc Antoine, dont le sang coulait également dans les veines de Caligula et de Néron. Mais celui-ci poursuivit un rêve autrement cohérent dans ses aspects les plus chimériques que les inventions bouffonnes de Caius.
Néron voulut fonder sa monarchie sur des bases théocratiques et esthétiques et réaliser lui-même, en sa vie d’artiste affranchi des tabous, par ses fêtes et ses générosités, par ses palais et leur décoration, l’idéal nouveau qu’il proposait au monde. Les nobles sénateurs, les chevaliers issus de la bourgeoisie s’en indignèrent mais le peuple de Rome y fut réellement sensible, et pendant longtemps"