Les Exploits extraordinaires du fabuleux Capitaine Ronchonot et de son fantastique équipage

d'après le livre de bord tenu par le moussaillon Baf, dit « Capitaine Glouglou »

1er Jour de la Première Saison de l'An XX21

Ce matin, le Capitaine Ghislain Ronchonot, contrairement à son habitude, était de fort belle humeur. Alors que j'étais en train d'approvisionner le navire en boulets, planches et autres victuailles pour notre prochaine traversée, je le vis sautiller gaiement sur le pont, un parchemin à la main.

« Olà, Moussaillon ! Sonne la cloche et que tout l'équipage me rejoigne dans ma cabine. Nous avons un contrat lucratif à honorer ! »

Quelques instants après, tout l'équipage composé de Pif le Maître-Coq, d'Antoine l'Artificier et de moi-même se rassembla autour du bureau du Capitaine. Ce dernier avait déplié son parchemin et se mit en devoir de nous en décrire le contenu :

« La Ligue des Marchands nous confie cette mission de la plus haute importance. Il s'agit de retrouver un navire transportant une importante cargaison qui n'a jamais assuré sa livraison. Il semblerait bien qu'il ait eu des ennuis durant son voyage. Notre travail consiste à le retrouver et, si possible, de ramener la cargaison. La rétribution se compte en milliers de pièces d'or. Aussi, je vous demanderai à tous d'être au meilleur de vos capacités ! Pas d'alcool ou de quelconques distractions durant toute la durée de la mission. C'est bien compris ? »

Ce faisant, le Capitaine me décocha un regard lourd de sous-entendus. Il est vrai que, lors de ma première traversée au sein de son équipage, j'avais fêté mon recrutement à grands verres de rhum. Piqué au vif par une remarque désobligeante de Maître Pif, et complètement ivre, je m'étais mis en devoir de mettre le feu à la Sainte-Barbe, ce qui m'avait valu un séjour au cachot, avec pour ultime châtiment l'humiliation de me faire vomir dessus par tous les membres de l'équipage, Capitaine inclus ! Aussi, depuis cette date, ai-je scrupuleusement respecté les ordres de Ghislain Ronchonot, histoire de racheter ma conduite parfaitement indigne, même pour un pirate.

Cette mise au point étant faite, le Capitaine nous ordonna de lever l'ancre et de mettre le cap sur la dernière île qu'avait croisée notre navire marchand avant de ne plus donner signe de vie. Après plusieurs heures de recherches intensives à guetter la moindre mouette au-dessus de l'océan, l'ami Antoine nous indiqua l'emplacement probable d'une épave. C'était celle du navire que nous recherchions. Nous remontâmes la cargaison et étions sur le point de repartir quand soudain...

« Kraken ! hurla le Capitaine qui était resté à la barre. Tous aux canons, nous devons le repousser ! »

Le Kraken, pour les marins d'eau douce qui ignoreraient l'existence de ce sinistre animal, est en fait un calmar géant aux tentacules surmontés de gueules aux dents pointus qui s'attaque aux bateaux en teintant la mer d'un noir d'encre. C'est un adversaire des plus redoutables, car il se met en devoir de briser les navires en deux si les marins ne parviennent pas à lui faire lâcher prise à temps.

Le combat fut acharné. Mais grâce à mon généreux approvisionnement et à la disposition de caisses de munitions un peu partout sur le pont, nous parvînmes à faire fuir l'infâme bestiole. Cependant, notre navire avait subi de gros dégâts et Antoine l'Artificier commença à réparer la coque, tandis que Maître Pif écopait.

Tout semblait rentrer dans l'ordre quand un coup de canon retentit et que la coque du navire fut traversée de part en part !

« Mille sabords, de petits saligots tentent de nous envoyer par le fond ! » jura le Capitaine dans sa moustache.

Il s'agissait en effet de pirates qui, constatant notre détresse à la suite de l'attaque du Kraken, avaient décidé de tenter leur chance avec leur Brigantin, tels de parfaits petits charognards.

La bataille s'engagea. Malheureusement, notre Galion, moins manœuvrable et rendu vulnérable par les assauts du calmar géant, ne put supporter bien longtemps la charge furieuse du Brigantin adverse. Bientôt, Antoine surgit de la cale en nous annonçant que tout était perdu et que nous allions couler.

Résigné, le Capitaine donna l'ordre d'abandonner le navire. Nous montâmes tous dans la chaloupe et ramèrent le plus loin possible de cette bande de vautours. Nous parvînmes à nous échapper et mîmes le cap sur le premier avant-poste venu.

Post Scriptum : Assis à côté du feu, dans la taverne de l'avant-poste où nous avons trouvé refuge, et alors que mes compagnons, rompus par la fatigue, dorment du sommeil du juste, j'aperçois le Capitaine. Son regard est perdu dans les flammes. Ses pupilles sont dilatées. Ses lèvres tremblent. Il semble ruminer de biens sombres projets. Qui que soient nos assaillants, j'en viendrai presque à les plaindre. Car je sais que la Sea of Thieves ne sera jamais assez vaste pour qu'ils puissent échapper à la colère de Ghislain Ronchonot. Et je sais que ce sera un honneur pour moi que de combattre à ses côtés. La vengeance sera nôtre, c'est une certitude !

2e jour de la Première Saison de l'An xx21

Les premiers rayons du soleil venaient à peine de pointer à l'horizon que le Capitaine se mit en quête de trouver un nouveau bâtiment. Ce qu'il y a de formidable sur les îles de la Sea of Thieves, c'est qu'il est très facile de se procurer un bateau pour une somme dérisoire, les constructeurs préférant gagner leur vie sur la personnalisation des navires (peintures, figures de proue, voiles...). Mais avoir le bâtiment le plus chatoyant de la marine n'intéressait nullement le Capitaine Ronchonot. Ce qu'il voulait, lui, c'était un bateau fonctionnel qui puisse le conduire aux plus près des flibustiers qui avaient eu l'impudence de l'attaquer dans le dos, et de les envoyer par le fond...

Il opta finalement pour le même modèle que sa précédente frégate : un Galion, noir de la coque à l'extrémité des mâts, voiles comprises, et dont la figure de proue, en forme de requin, témoignait que son ancien propriétaire devait être un chasseur de squale. Le bateau portait le nom d' « Orca », mais le Capitaine le débaptisa très vite au profit de « Pillar of Autumn ». Allez savoir pourquoi...

Nous mîmes immédiatement le cap sur la dernière position connue de nos agresseurs. Comme ils n'étaient que deux ou trois, il leur avait certainement fallu de longues heures pour remonter notre cargaison. Aussi ne devaient-ils pas être bien loin...

Quelques heures plus tard, le Capitaine eut le fameux Brigantin dans sa longue-vue. Il se planta derrière la barre et nous ordonna, avec l'excitation que seule procure la chasse, de serrer le vent au plus près avec les voiles. Nous gagnâmes ainsi progressivement du terrain. Mais l'équipage du Brigantin nous avait vraisemblablement repérés. A plusieurs reprises, il changea brusquement de cap pour nous semer. Le Capitaine écumait de rage. Le « Pillar of Autumn » ne pouvait rivaliser en vitesse avec un Brigantin, il le savait.

Il décida alors de changer de tactique et chargea notre Artificier de consulter les cartes afin de deviner la destination finale de nos agresseurs et de les rattraper en profitant le plus possible du bénéfice du vent. Après quelques minutes de recherches, il apparut évident pour l'ami Antoine que nos adversaires se dirigeaient vers Reaper's Hideout.

Reaper's Hideout. Un petit îlot rocheux sur lequel une mystérieuse confrérie avait élu domicile. Nous avions déjà eu l'occasion de faire du commerce avec ces gens-là. Ils achetaient de tout pour des sommes sonnantes et trébuchantes, mais le Capitaine les trouvaient louches, aussi cela faisait quelques temps que nous ne leur avions pas rendu visite. Notre prochaine entrevue allait, de toute évidence, s'annoncer mémorable...

Nous mîmes le cap sur Reaper's Hideout. Grâce à son expérience des courants marins, le Capitaine mit peu de temps à mener le bateau à bon port. Nous vîmes bientôt les contours de l'île... ainsi que la silhouette du Brigantin.

« Branle bas de combat, serrez au plus près, tous les hommes sur le pont, chargez les canons ! » tonna le Capitaine.

A cet instant précis, nous croisâmes les restes d'une épave, et je vis à la surface flotter un baril de poudre. Je m'armai d'un harpon, et commençai à l'attirer vers notre trois-mât. Mais à peine le tonnelet effleura-t-il la coque du navire que ce dernier explosa, faisant dangereusement tanguer le « Pillar of Autumn » !

« Morbleu ! Ils ont un tireur d'élite ! » vociféra l'Artificier qui avait entrevu un éclat de lumière sur le Brigantin juste avant la détonation.

En effet, un des flibustiers n'avait pas perdu une miette de nos déplacements et avait saisi l'opportunité de nous ralentir en tirant sur le baril pile au moment je tentais de le récupérer.
« Enfer et damnation ! Nous allons perdre un temps précieux à réparer le navire et, pendant ce temps, ces saligots vont pouvoir vendre leur rapines à la Secte de Reaper's Hideout ! Moussaillon Baf, par votre bêtise, vous risquez de nous coûter la victoire ! Allez donc vous cacher dans la soute, avant que je ne mette en tête de vous jeter en pâture aux requins ! »

Je ne cherchai même pas à protester. Le Capitaine avait raison, tout était de ma faute. La tête basse je descendis dans la cale et aidai notre Maître-Coq a colmater les brèches qui étaient apparues à la suite de l'explosion.

« T'en fais pas petit, tenta de me rassurer Maître Pif, ce sont les aléas de la vie de pirate. Tu verras, un jour, tu seras un vrai loup de mer, comme nous tous ! »

Mais ces paroles de réconfort ne pouvait rien faire contre la tempête qui s'était déclarée en moi. Jusqu'ici, je n'avais strictement servi à rien pour aider mes compagnons. Pire, j'avais mis leurs vies en danger par mon imprudence ! Il fallait que je répare mon erreur, coûte que coûte, il en allait de mon honneur.

Nous mouillâmes à quelques encablures du Brigantin. Le Capitaine Ronchonot désirait le garder à l’œil. Au moindre signe, de débarquement, le « Pillar of Autumn » lui tomberait dessus sans coup férir. Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi. La nuit commençait à tomber et je craignis à cet instant que les forbans ne profitent du couvert de l'obscurité pour écouler leur butin. Je fis part de mes inquiétudes à Maître Pif, qui lui-même en fit part au Capitaine. Ce dernier nous ordonna alors de débarquer discrètement sur l'île pour aller espionner les « Chiquitos » (oui, notre Capitaine a des origines hispaniques). Maître Pif et moi empruntâmes alors la chaloupe et ramâmes en direction de l'île.

A peine débarqués, nous nous approchâmes discrètement du Brigantin. Nous pûmes voir nos adversaires commencer à entasser leurs richesses sur le pont. De toute évidence, ils allaient tenter une sortie en force. Même si nous les attaquions, il y avait de fortes chances qu'au moins la moitié du butin ne nous échappe.

« Il faut avertir le Capitaine, chuchota Maître Pif.
- Certes, allez-y, moi je vais tenter quelque chose...
- Pas d'imprudence petit. Ta petite mésaventure de tout à l'heure ne t'a donc pas suffi ?
- Ne vous en faites pas, je sais ce que je fais. Partez sans vous retourner, et faites en sorte de venir à ma rescousse le plus vite possible.
- Quoi ? Mais que comptes-tu faire, pauvre fou ?
- Vous le verrez bien le moment venu ! » conclus-je en commençant à m'éloigner.

Je laissai donc le Maître-Coq repartir avec la chaloupe pour aviser le Capitaine de la situation. J'avais remarqué une petite barque échouée sur le rivage. Je la pris et commençai à ramer en douceur vers le Brigantin. Je fis en sorte de ne donner que de très rares coups de rames et de me laisser porter par mon élan afin de ne pas alerter les flibustiers de ma présence. Arrivé au niveau du gouvernail, je grimpai silencieusement sur le pont. Nos ennemis étaient fort affairés à remonter le fruit de leurs rapines de la cale. Ils avaient organisé une chaîne pour aller plus vite et le pont était jonché de richesses diverses et variées. En résumé, je n'avais qu'à me méfier des allers et venus du marin qui posait les coffres sur le pont.

Je m'approchai avec prudence, laissai le marin pénétrer dans la cale et me saisis du premier coffre qui me tomba sous la main. Je m'approchai du bastingage de la poupe du Brigantin et le laissai tomber directement dans la petite barque en contrebas. Je renouvelai ce stratagème une bonne dizaine de fois, tant et si bien que ma barque commençait à disparaître derrière l'amoncellement de coffres.

C'est alors que tous les forbans remontèrent de la cale. Il ne leur fallut que quelques secondes pour comprendre qu'il manquait un certain nombre de leurs coffres, d'autant que j'avais pris soin de récupérer les plus onéreux lors de mes petits chapardages. Il était plus que temps de tirer ma révérence.

Je descendis en hâte dans ma barque et commençai à ramer furieusement vers le large. Un de nos adversaires m'aperçut alors, et l'alerte fut donnée. Je vis les voiles du Brigantin se déployer et le navire commencer à se mouvoir. Des coups de feu retentirent et j'entendis les balles siffler tout autour de moi. A moins d'un miracle, je n'allais pas tarder à connaître un destin funeste...

C'est alors qu'un coup de canon retentit. Le « Pillar of Autumn » venait à ma rencontre et se dressa bientôt entre moi et le Brigantin. Ce dernier entreprit un virage serré pour éviter la collision mais se prit tout de même une bordée de nos canons de plein fouet. Nous remontâmes en toute hâte la barque et j'eus alors droit à une tape amicale de l'ami Antoine ainsi qu'un sourire en coin du Capitaine qui semblait vouloir dire : « Bien joué, mon gars ».

Mais nous n'étions pas au bout de nos peines, car, déjà, le Brigantin faisait volte-face, prêt au combat. Son équipage semblait bien décidé à ne pas laisser filer une pareille fortune.

Le Capitaine Ronchonot nous adressa alors un discours d'encouragement :

« Le combat n'est pas encore fini, mes braves ! Tous à vos postes ! Canonniers à vos pièces ! La lutte s'annonce rude, mais, par ma moustache, nous allons apprendre à ces flibustiers de carnaval ce que c'est qu'un véritable équipage ! Nous sommes plus malins, plus courageux, et plus unis qu'eux. Nous ne pouvons que gagner ! A vos sabres d'abordage, mes amis, à vos tromblons, mes vaillants combattants. La nuit sera longue, mais, à l'aube, je vous le jure, il ne restera qu'un seul navire dans ce port, et ce sera le nôtre ! »

Les deux navires se faisaient face, immobiles, comme s'il se défiaient du regard. Sur le pont, chacun s'affairait à charger les canons de boulets traditionnels, mais aussi à chaînes, explosifs voire même maudits. Les deux camps se toisaient, guettant le signal de l'attaque. Et c'est au moment où le Capitaine s'apprêtait à donner l'ordre de libérer les voiles qu'Antoine s'écria :

« Capitaine, deux autres Brigantins se dirigent droit sur nous! »

De toute évidence, Reaper's Hideout était devenue une île à la mode, où tous les pirates semblaient s'être donnés rendez-vous pour vendre le fruit de leurs larcins. Deux Brigantins, provenant de deux directions différentes, convergeaient, en effet, vers nous. Et étant donné le pavillon rouge hissé en haut de leurs mâts, ils ne semblaient pas vouloir nous rejoindre pour boire le thé...

« De mieux en mieux, marmonna le Capitaine. Vous vouliez de l'action, mes jolis, et bien vous allez être servis ! »

Une gigantesque escarmouche était sur le point de se déclarer. Je consultai ma montre, il était 23h59. La prochaine journée allait s'annoncer comme la première du reste de ma vie... ou bien la dernière...