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Sujet : [Fic] Au coeur de la tempête

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ThelVadam ThelVadam
MP
Niveau 10
11 octobre 2018 à 20:38:12

C'est pas pour me faire plaisir, c'est parce que l'orthographe c'est important, surtout quand le récit est de qualité, ça fait ombre au tableau.

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
11 octobre 2018 à 21:13:20

Le 11 octobre 2018 à 20:38:12 ThelVadam a écrit :
C'est pas pour me faire plaisir, c'est parce que l'orthographe c'est important, surtout quand le récit est de qualité, ça fait ombre au tableau.

Je ne peux que te rejoindre sur ce point :ok:

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
14 octobre 2018 à 17:31:33

Chapitre 15

Lorsqu'il fut en mesure d'ouvrir les yeux, Aris se redressa prudemment.
Devant lui ne s'étalait qu'un spectacle cataclysmique de cendres et de désolation.
Le mat du navire avait presque entièrement disparu, emporté par les flammes. Le monticule de bois calciné à la pointe encore incandescente se dressait à peine à niveau d'épaule, dépassant du pont comme un pieu de la poitrine d'un condamné. Partout autour, le plancher du navire était fendu de crevasses longilignes semblables à de larges plaies nécrosées empestant la mort et l'agonie. Enfin, dispersés aux quatre coins du navire, de petits monticules noirâtres se consumaient lentement, sinistre attestation que s'étaient bien tenus là des êtres humains.

Vu de loin, l'Esturgeon ne ressemblait plus à un bateau de commerce, mais à une embarcation funéraire dont le bûcher se serait évanoui subitement. En dépit du ciel couvert, un pêcheur égaré aurait clairement pu apercevoir la colonne de cendres voltigeantes s'élevant au-dessus de l'horizon, même à des kilomètres de distance.

Aris effaça précipitamment de sa mémoire les terribles images auxquelles il avait assisté avant de renoncer à contempler le massacre. Il y avait plus urgent.
Encore suffoquant dans l'air brûlant s'engouffrant dans ses bronches à chaque respiration, il se hâta en direction des quatre membres d'équipage ligotés. Deux d'entre eux avaient perdu connaissance sous l'incroyable déchaînement élémentaire qui venait faire rage sous leurs yeux, mais il fut capable de secouer les autres, simplement sonnés.

- Dépêchez-vous, montez à bord du navire ennemi ! cria Aris en tranchant leurs liens de la pointe de son épée. L'Esturgeon ne va pas tenir indéfiniment !

À quelques mètres de là, Ernard ne s'était pas fait prier. D'un pas titubant autant à cause du roulis grandissant que de la fatigue ou de l'hébétude, le bréton se dirigeait vers le flanc droit du navire, prêt à enjamber le mètre le séparant de sa nouvelle embarcation provisoire.

Voyant que les marins encore conscients semblaient en mesure de transporter leurs camarades en sûreté, le rougegarde se détourna d'eux.
À l'épicentre du chaos ayant signé le début comme la fin de l'affrontement, Dakin se tenait debout, rendu flou par la chaleur. À ses pieds, un petit tas de poussière se désagrégeait lentement, effaçant tout ce qui restait du flibustier qui avait fait trembler la baie pendant des semaines. Malgré lui, Aris adressa une prière silencieuse à l'âme des défunts, espérant que leurs esprits parviennent à trouver le repos après une fin pareille.

Le visage plongé dans l'ombre, le Dunmer aux pupilles closes et aux bras ballants ne bougea pas à son approche. Lorsqu'il parvint à son niveau, l'épéiste fut prit d'une puissante quinte de toux, et se plia en deux sous l'effet de l'inexplicable douleur irradiant son torse. Il ne tarda pas à remarquer que les cendres bougeaient anormalement autour d'eux, formant de larges spirales noirâtres s'élevant lentement au-dessus du sol. En raison de l'écart thermique entre l'air marin et la fournaise qui avait dévoré le pont supérieur, un tourbillon de particules irrespirables commençait à se former.
Le grondement monstrueux du navire sous ses pas ne fit qu'aggraver son jugement déjà pessimiste. Il s'agissait à présent d'une affaire de secondes.

- Dakin ? lança-t-il en tirant la manche de son ami. Il est temps de partir.

- Tu peux me porter ?

Aris suspendit son mouvement. La voix de l'elfe était rugueuse et éteinte, comme si le poids de l'âge s'était brusquement abattu sur ses épaules.
Bien sûr, pensa le mercenaire. Je ne préfère pas savoir à quelles obscures forces il a dû faire appel pour donner lieu à un feu de joie pareil, mais il est évident qu'un tel sortilège ne doit pas être sans conséquences pour son lanceur

- Ne t'en fais pas, je m'occupe de tout, reprit-il à voix haute en pressant tant bien que mal la paume de sa main contre sa bouche. Nous allons nous occuper de la suite.

À peine ces mots avaient-ils franchi ses lèvres que Dolovas s'effondrait dans ses bras, inerte. Le rougegarde l'attrapa avec douceur, comme s'il craignait de briser un corps pourtant plus imposant que le sien.
Alors qu'il s'apprêtait à rejoindre le reste de la troupe, un craquement surpuissant ébranla tout le navire. Le sol se déroba juste à côté d'eux, révélant un pont inférieur presque complètement immergé. Se relevant avec précipitation, Aris aperçu l'eau jaillir du sol comme un ras-de-marée sur sa droite, sciant la coque en deux sur toute sa largeur. Depuis le pont du galion pirate, Ernard et les marins leurs hurlèrent de monter à bord.

Saisissant son camarade par-dessus son épaule comme un sac de grains, le mercenaire plongea en avant, tandis que l'Esturgeon tout entier basculait de côté. En l'espace d'un instant, sa course se changea en escalade. Glissant le long du pont, les cendres des victimes se dispersèrent en un voile aveuglant qui les couvrit de son ombre vengeresse durant un bref instant. Aris se couvrit sommairement les yeux du dos du bras, ralentissant son ascension de quelques fatidiques fractions de seconde. Lorsqu'il reprit pleine possession de ses facultés, le navire penchait presque à la verticale.

Soumise à diverses forces de pression contraires, la coque cessa de bouger durant une courte seconde, tarissant les flots séparant les deux portions de l'embarcation. Il n'avait qu'un pas à faire.
De justesse, le rougegarde se propulsa de côté, passant par dessus la crevasse béante tandis que le rempart aqueux en rejaillissait. Passant à un cheveu du désastre, il agrippa le mât avec fermeté, se brûlant la paume de la main contre le bois encore fumant. Au-dessus de lui, le colossal obstacle semblait s'être changé en un sommet inaccessible. Serrant les dents, il bondit de toutes ses forces, dressant dans son esprit la liste des  points d'appui disponibles. Son pied trouva l'encoche d'une grille d'écoutille donnant sur la cale, lui offrant un second support sur lequel poursuivre son avancée. De nouveau, il sauta avec l'énergie du désespoir, et tendit le bras.

Par miracle, sa main se referma contre le bastingage, auquel il se hissa avec une grimace d'effort. Devant lui, la distance le séparant du salut avait triplé.
Lorsqu'il se jeta dans le vide, un brouhaha tonitruant explosa dans son dos, couvrant tout les autres sons durant plusieurs secondes.
Puis, après un interminable moment de flottement, le choc avec le pont du bateau de Zefir lui arracha un long gémissement, partagé entre souffrance et soulagement. La poigne commune des membres d'équipage le remit sur pied en un clin d'œil, le laissant entrapercevoir la carcasse de l'Esturgeon s'enfoncer sous la surface des flots dans un geyser d'écume.

- C'était incroyable ! s'écria Ernard, surexcité. Ce saut que vous avez fait... vous avez traversé plus de trois mètres !

- Assez ! Un peu de calme.

Le ton tranchant du Marcheur pourtant épuisé coupa court aux célébrations des rescapés, qui le sondèrent avec une anxiété nouvelle.

- Il reste probablement des hommes à bord. Et, qu'ils aient été ou non témoins de ce qui s'est produit à l'instant, ils se battront pour défendre leur navire. Suis-je bien clair ?

- Bien sûr, on-ne-peut plus clair, af-Ozalan. Je vais me charger de mettre votre camarade à l'abri. Il m'a l'air éreinté, mais j'ai sûrement de quoi le remettre d'appui. Grimpe-les-mâts, reste avec moi. Vous trois, allez lui prêter main-forte.

Tandis que l'argonien et le capitaine s'occupaient du Dunmer, les trois marins restants se positionnèrent devant Aris, adoptant une posture presque militaire. Après avoir constaté l'habileté dont il faisait preuve lame en main, leurs regards s'étaient teintés d'une lueur de respect mêlée de crainte.

- Suivez-moi, leur intima-t-il. Et tâchez d'être discrets.

<><><>

- Fabuleux ! C'est tout bonnement fabuleux !

Le sourire avide d'Afranius tordit la peau de ses joues en deux bourrelets flasques, conférant à son visage une largeur surhumaine.
Devant eux, les coffres de Zefir débordaient de richesses. Perles, lingots de métaux précieux, bijoux, monticules de septims mirroitants et toiles inestimables couvraient la pièce d'une extrémité à l'autre, s'entassant les uns sur les autres au point de presque s'écrouler. Non content d'être vide de toute présence hostile, le navire leur dévoilait à présent un butin digne d'un conte de fées.

- Il y en a pour... oh, par les Huit ! Je n'ai jamais vu autant d'or de ma vie !

Exalté par la somme mirobolante de joaillerie s'étalant contre les murs de la salle, le capitaine semblait avoir complètement oublié la perte de son navire chéri quelques minutes plus tôt.

- Je n'en crois pas mes yeux, siffla l'argonien avec un sourire désireux. Avec tout ceci, nous pourrions...

- Garde ta vilaine langue rangée là où elle fait le moins de bruit, Grimpe-les-mâts ! l'avertit un des deux rougegardes. Ce sont des biens conséquents, mais pas moins des biens volés. Le capitaine Ernard restituera toutes ces pièces à la couronne, comme sa position le lui ordonne !

Pressé de disperser tout doute quant à ses intentions, le contrebandier renchérit :

- Naturellement ! Et je ne doute pas que la bonté du Roi Daric de Daguefilante saura nous récompenser pour cette action de bonne foi ! Aris, sachez que vos actes et ceux de votre compagnon ne seront pas tus bien longtemps. Sa Majesté souhaitera sans aucun doute vous dédommager grassement pour le mal que vous vous êtes donné afin de protéger mes intérêts.

- Je n'en demandais pas moins, répondit distraitement le Marcheur. À présent, et puisque ma présence n'est plus nécessaire dans l'immédiat, je vais prendre congé auprès de mon ami. Faites-moi signe si vous voulez me voir.

Le rougegarde laissa le noble en compagnie de ses hommes, qui se disputaient dorénavant l'hypothétique récompense que leur accorderait le souverain bréton lors de leur arrivée à la capitale. Alors qu'il quittait les quartiers du défunt pirate pour rejoindre les dortoirs leurs voix s'estompèrent rapidement.
En sentant le bas de son dos le lancer douloureusement, le mercenaire songea avec amertume qu'aucune draperie ni aucun matelas brodé ne l'attendaient sur le pont inférieur. Si la première partie de leur voyage s'était faite dans un confort nocturne luxueux, la seconde serait synonyme de frugalité. Il n'y avait ici que des tas de paille et une poignée de hamacs à la toile trouée.

C'est allongé au sol dans un coin de la cale qu'il trouva Dakin. Alerté par son pas silencieux, le Dunmer releva péniblement la tête, avant de la laisser retomber contre sa couche. Même s'il pouvait bouger, l'ombre de la fatigue planait sur chacun de ses gestes, obscurcissant jusqu'au noble éclat de son regard rougeoyant.

- Tout va bien ?

- Mon crâne me fait un mal de chien et je ne sens plus mes extrémités, mais je suis vivant. À vrai dire, la journée aurait pu bien plus mal se finir.

Ces mots firent sourire Aris. Pour une fois, il ne dissimula pas son amusement.

- Cet optimisme contraste fort avec l'air grincheux que je vois d'ordinaire sur ton visage. Devrais-je m'en inquiéter ?

- Que veux-tu ? La fatigue ne me laisse guère ni le le loisir, ni le désir de me plaindre. Je suis simplement heureux que nous ayons survécu.

Le rougegarde s'adossa à la paroi de bois, et laissa le silence s'installer.

- D'ici combien de temps penses-tu pouvoir te battre à nouveaux ?

L'elfe laissa la réflexion sillonner son front, avant de répondre d'un air incertain.

- Je n'en sais rien. Je devrai pouvoir tenir une épée d'ici après-demain, mais j'ignore si je serai en mesure d'utiliser la magie avant plusieurs semaines. C'est la première fois que j'utilise ce sortilège, mais tu as sans doute deviné qu'il ne s'agit que d'un ultime recours. Tu veux que je sois honnête avec toi ? La prochaine fois, je creuserai sans doute ma tombe avec celle de mes ennemis.

Le mercenaire hocha silencieusement du menton.

- Je m'en doutais à moitié. C'est donc vrai ?

- Oui. Comme tu l'imagine sûrement, il ne s'agissait pas d'un vulgaire tour de prestidigitation visant à impressionner quelques académiciens de la Synode lors d'une démonstration de pyromancie. C'est un sort que les arcanistes de l'Ordre m'ont enseigné, peu après ton retour vers Tamriel. Mais même après des années d'études, je suis loin de le maîtriser. Je n'étais déjà pas sûr de pouvoir survivre à la première incantation, et je suis à présent certain qu'une seconde me serait fatale. Tu sais que je n'ai rien d'un grand mage, et parfaitement encaisser un tel contrecoup est une prouesse dont seul un psijique pourraient se vanter. La prochaine fois, mon corps ne résistera pas.

- Et pourtant, tu n'as pas hésité une seule seconde.

- Non. Que Diagna le veuille ou non, ces hommes devaient mourir pour garantir notre sécurité.

Aris dévisagea longuement son ami, et revécu aussitôt la scène s'étant déroulée à bord de l'Esturgeon.
Au terme du décompte, l'orbe brûlant invoqué par le Dunmer s'était laissé aller à une œuvre d'annihilation aussi splendide que terrifiante. La sphère avait éclaté dans un feu d'artifice destructeur, projetant d'innombrables langues embrasées dans toutes les directions. Guidées par une énergie surnaturelle, les flammes s'étaient emparées de chaque pirate comme les longs appendices d'un monstre marin venu les entraîner vers les abysses de l'Oblivion. Mû par une volonté sadique, le brasier s'était refermé sur leur gorges, leurs poignets et leur poitrines, les consumant de l'intérieur jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des coquilles vides. Tout ceci s'était déroulé dans la terreur primale des condamnés et les hurlements de la fournaise dévorant les chairs.
Étouffé par leurs bronches calcinées, l'air portant leurs cris d'agonie ne s'était pas élevé une seule fois dans la nuit. Malgré cela, les tympans du rougegarde s'étaient emplis de la teneur désespérée des râles inaudibles, portant une touche finale à cette insoutenable scène de dévastation dont son compagnon avait été l'organisateur consciencieux.

Zefir avait brièvement tenté de se débattre, mais le mage l'avait cloué au sol d'un seul geste. Un trait de feu avait fusé de l'index de l'elfe noir, perforant la poitrine du corsaire de part en part en en faisant jaillir un nuage de sang en ébullition. Mort avant d'avoir atteint son adversaire, il s'était effondré au sol, les bras tendus en croix. Combattifs jusque dans le trépas, ses muscles avaient tressauté durant quelques instants, avant que les flammes ne bourgeonnent au creux de sa cage thoracique comme une fleur au milieu d'un champ.

Bien qu'établit dès le premier instant, le déséquilibre ahurissant des forces avait enfin frappé le mercenaire de toute son ampleur. Prit d'un dégoût coupable face au massacre, il avait alors clos les paupières, pour ne les rouvrir que lorsque les rangs ennemis se furent définitivement changés en poussière.
Lorsqu'il avait regardé son camarade au travers du voile vaporeux des cendres dansantes, il lui avait semblé apercevoir autre chose que le Marcheur qu'il avait toujours connu. L'espace d'un instant, il avait crû saisir un fragment de Dakin plus sombre et plus sinistre que tout ce dont il avait été témoin au cours de ses pérégrinations des dernières années. Oui, durant cette fraction de seconde, la peur l'avait griffé de son empreinte indélébile. Une peur, funeste et viscérale, qu'il n'avait plus connu depuis son départ de l'archipel Yokudan, et qui semblait l'avoir brusquement rattrapé comme pour le punir d'avoir échappé à son destin.

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
14 octobre 2018 à 17:32:11

La voix sèche de Dakin le tira de ses pensées.

- Tu n'avais pas d'autre question concernant ce qui s'est passé ?

Le mercenaire secoua la tête si vivement qu'il en paru presque paniqué.

- Non. Quelle que soit cette chose, n'espère juste ne plus jamais avoir à y assister.

- Ça ne m'a pas plus fait plaisir qu'à toi, soupira le Dunmer. J'aurais aimé pouvoir négocier avec ces hommes, mais leur maudit commandant entendait bien mener ce combat jusqu'au bout. En conséquence, je ne pouvais pas courir le risque de tout voir s'arrêter maintenant. Notre voyage débute à peine, et le sort des derniers Marcheurs repose peut-être sur nos épaules. De quoi aurions-nous eût l'air devant les Dieux si nous avions péri avant même de faire face au véritable ennemi ?

- Tu as sans doute raison... Pardonne-moi. La fatigue me raidit plus qu'elle ne le devrait, mais c'est à toi de prendre du repos.

- Puisque ce point est éclairci... Tu pourrais me rendre une faveur et aller chercher de l'eau ? souffla l'alité. J'ai l'impression que je pourrais vider un étang.

- Je m'en charge.

Le rougegarde se retournait à peine, lorsqu'une main surgit de nulle part pour agripper son épaule.

- Une petite minute, je vous prie.

Jusqu'à présent dissimulée derrière une cloison de planches et de tonneaux, la silhouette altière d'Ernard surgit de l'obscurité, sous le regard médusé des deux hommes.

- Comment êtes-vous entré ici ?! lâcha le rougegarde en reculant vivement pour se soustraire à la poigne légère du nobliau.

- Par le même endroit que vous. Pourquoi une telle question ?

Aris et Dakin se dévisagèrent durant un cours laps de temps, pris au dépourvu. Malgré leurs sens aiguisés, aucun ne l'avait entendu approcher. Et si l'état du Dunmer l'en excusait momentanément, le mercenaire ne pouvait concevoir qu'un étranger à l'art de la discrétion se soit immiscé dans leur conversation sans faire le moindre bruit.

- Qui êtes-vous ? demanda le rougegarde d'un ton pressant. Vous êtes bien plus qu'un simple marin véreux, et nous le savons tous les trois, alors ne jouez pas au plus malin. Cette fois, je veux une réponse satisfaisante.

Lorsque le contrebandier entrevit la main du mercenaire frôler le pommeau de son glaive, un simple sourire éclaircit sa mine sérieuse. Lentement, il réajusta ses amples habits de brocart et de soie, avant de lever le bras en signe de paix.

- J'y viendrai. Avant tout, pardonnez moi d'avoir épié votre conversation de la sorte. Je me suis montré d'une cruelle impolitesse, mais je pressent cependant que ce petit manquement à mes valeurs mondaines aura des répercussions plus que bénéfiques sur notre futur commun.

- "Futur commun" ? cracha Aris. Vous me parlez de collaboration ?! Vous devriez déjà vous estimer heureux que ma lame ne repose pas au fond de votre poitrine à l'heure actuelle !

La tension accumulée au cours du combat précédent venait de ressurgir. Si le bréton était parvenu à assister à leur échange sans qu'ils ne le remarquent, il pouvait très bien ne pas s'agir de son premier acte de voyeurisme depuis le début du voyage. S'il savait par malheur quoi que ce soit à propos de l'Ordre, il devrait mourir. Et, bien que conscient d'avoir besoin de l'aristocrate pour atteindre Daguefilante, Aris savait qu'il s'agissait là d'un impératif auquel il ne pouvait se permettre d'échapper.

Visiblement inconscient des enjeux menaçant son existence, Afranius reprit d'un ton posé :

- Vous ne lèveriez pas la main sur moi, af-Ozalan. Pas alors que je m'apprête à vous offrir ce dont vous avez si désespérément besoin.

- Votre air suffisant vous est-il revenu ? Étonnant, vous sembliez l'avoir perdu lorsque Zefir tenait votre petite équipe à sa merci !

- Avant de vous emporter davantage, ayez la décence de m'écouter. Je suis encore maître des décisions à bord, et j'aimerai bénéficier de votre attention durant quelques instants.

- Laisse-le parler, Aris, murmura Dakin. Nous aviserons ensuite.

Le Marcheur fusilla son comparse d'un regard assassin, mais suivit néanmoins son conseil. Il fit mine de se relâcher, et l'atmosphère se détendit légèrement.
En réalité, le rougegarde brûlait d'envie de nicher son poing au creux du visage du navigateur. Au lieu de cela, il ne lui offrit qu'un air neutre et relativement serein.

En raison de la gravité de la situation, Aris venait sans même s'en rendre compte de mettre en œuvre l'une de ses facultés les plus notables.
Car, s'il y avait bien une chose dont il pouvait être plus fier que de son honorable adresse au combat, c'était sa capacité à se dissimuler derrière les faux semblants. Quel que soit le degré d'expertise de son interlocuteur, il pouvait tromper ce dernier, et faire passer n'importe laquelle de ses émotions pour une autre grâce à une reproduction parfaite du comportement visé.
Position de la mâchoire, dilatation des pupilles, degré d'ouverture des paupières, rythme respiratoire, position des mains et des doigts...
Grâce à un contrôle irréprochable de ses mimiques faciales et de son language corporel, Aris avait toujours été en mesure de se glisser hors de situations épineuses qu'il craignait ne pouvoir résoudre par l'épée. Avec la bonne méthode, le fantaisiste devenait réalisable, et le mercenariat en était la démonstration parfaite. Il lui était possible de sympathiser avec des hommes venus lui ôter la vie, voire même de les retourner contre leur employeur en usant de faux prétextes. Même lorsque la détermination et la fidélité de ceux-ci paraissaient indéfectibles, il était souvent simple de les dissuader en distillant de fausses pistes ou en faisant planer le doute sur les informations que l'on leur avait accordé.

D'ordinaire, ce talent ne lui était pas véritablement vital, et s'expliquait par une simple lassitude : la plupart des individus sur lesquels il s'en servaient ne le revoyaient jamais ou finissaient au bout du compte occis au fil de sa lame. Pour cette raison, peu d'hommes pouvaient associer au nom d'Aris af-Ozalan l'image d'un habile orateur ou d'un manipulateur hors-normes.
Malgré tout, chaque artifice connaissait ses limites. Même s'il l'avait souhaité en cet instant, il lui aurait cependant fallu se concentrer de toutes ses forces afin de masquer entièrement ses véritables intentions. La position de l'Ordre était en jeu. Et si ce dernier tombait, Dakin l'accompagnerait dans sa chute, le privant à jamais des réponses qu'il avait attendu pendant presque quinze ans. La mort d'un homme, ou la certitude de rester dans l'ignorance à jamais... Avait-il ne serait-ce qu'une bonne raison d'opter pour la seconde option ?

Soudain conscient qu'il lui faudrait faire taire toute animosité à l'égard du bréton s'il voulait avoir une chance de lui tirer les vers du nez, il maintînt son attitude calme, volontairement cette fois-ci.

- Vous avez entendu mon ami, lâcha-t-il. Parlez librement.

- Votre petite... représentation guerrière a piqué mon attention. À vrai dire, je n'en ait pas crû mes yeux. Je vous savais doué, mais pas à ce point. Enfin, je m'égare... À présent, je saisis que votre ami Dunmer ici présent a fait plus que risquer sa vie pour éliminer la menace. Vous auriez pu triompher autrement, mais vous les avez écrasé. Vous ne vouliez pas leur laisser la moindre chance, quand bien même il aurait été tout à fait dans vos cordes de régler les choses sans se fatiguer.

La toux sèche de Dakin interrompit le nobliau.

- Votre condensé d'éloges nous laisse de marbre, Afranius. Allez droit au but.

- Comprenez-moi, messieurs. Quel genre d'homme irait mettre feu à un baril de poudre pour se débarrasser d'une fourmi alors qu'il lui suffirait probablement de l'écraser de la plante du pied ? Assurément, tout homme sensé comprendrait qu'un tel homme possède quelque chose à protéger, quelque chose de si vital que la perspective même de l'échec lui soit inenvisageable. Me suivez-vous ? Je ne souhaite pas savoir ce qu'est cet Ordre dont vous parlez, pas plus que je ne m'intéresse aux intérêts que vous cherchez à défendre entre les murs de notre bonne cité. Mais je peux vous garantir une chose : une détermination comme la vôtre, accompagnée des moyens que vous êtes capables de mettre en œuvre pour en assurer l'aboutissement, constitue une force que je refuse de ne pas mettre à profit. Vous pouvez faire des choses, pas seulement pour vous-mêmes ni pour moi, mais pour notre nation toute entière.

- Je pensais que notre contrat était réglé : une traversée et une chambre contre une aide aux tâches de bord et la promesse de ne pas divulguer vos activités au reste de la noblesse. Rien de plus.

- Précisément. Mais aujourd'hui, les cartes ont changé de main. Voilà pourquoi je vous propose une chose... Si vous prêtez un tant soit peu d'attention aux divagations politiques des abrutis qui peuplent Hauteroche, vous savez que des rumeurs commencent à se répandre en ville. Pour diverses raisons, la révolte nous guette après des années de calme et de prospérité. Et j'ai la conviction que vous avez le pouvoir d'éclaircir la situation. En contrepartie, je serai prêt à mettre toutes mes ressources à votre disposition afin de m'assurer que vous atteignez votre objectif.

Sortant de son mutisme, Dakin ricana sèchement.

- Je n'y crois pas un seul instant. Vous demandez l'aide de deux voyageurs dont vous ne pouvez pas certifier la fiabilité, sous prétexte qu'ils savent se défendre ? Qu'avez-vous donc prévu de nous demander ? Prendre part à une petite querelle seigneuriale sur un champ de bataille ? Mater la rébellion de quelques paysans écrasés de taxes ?

- De plus, ajouta Aris, pensez-vous ne serait-ce qu'un seul instant que votre soutien nous sera d'un quelconque secours ? Comme vous l'avez dit, nous nous défendrons mieux que les gardes que vous pourriez nous fournir. Nous ne sommes intéressés ni par les femmes, ni par l'argent ou le prestige ridicule pour lequel chacun de vos pairs serait prêt à vendre sa dignité au plus offrant. Peut-être pensez-vous nous fournir des informateurs ? Des espions ? Ne me soyez pas ridicule. Vous ne disposez pas des ressources...

- Mes ressources sont illimitées, Aris.

La voix d'Afranius avait tranché le rougegarde avec une assurance singulière. Étrangement, elle semblait ne pas lui appartenir.
Et soudain, une transformation radicale s'opéra.

Les pommettes hautes du nobliau s'affaissèrent, avant de fondre comme neige au soleil, sa bouche s'étrecit encore davantage pour former une ligne sévère presque sans lèvres, et de profonds sillons vinrent creuser son front, duquel les mèches éparses disparaissaient les unes après les autres. Ses joues se rétractèrent dans sa mâchoire, son menton s'allongea, son nez désenfla, et ses pupilles se teintèrent d'un bleu glacial et calculateur.
Devant eux, Ernard venait de vieillir de quinze ans en un battement de cils. Et le capitaine n'avait plus rien de ridicule. Autrefois frappé par l'embonpoint, son visage désormais longiligne laissait apparaître avec clarté ce qui se cachait réellement derrière son comportement faussement flatteur.

À la place de l'avidité grasse et pataude qui animait son regard brûlait à présent le feu d'une ambition démesurée.
Croisant les mains dans son dos, le bréton rabattit les pans de sa robe derrière lui, révélant une carrure squelettique en comparaison de celle qu'il arborait une minute plus tôt.

D'une voix que l'âge et la conviction tempéraient à parts égales, il prit la parole d'une mine tranquille, conscient de l'effet provoqué par sa métamorphose.

- Puisque les présentations sont faites de votre côté, laissez-moi rectifier celles que j'ai précédemment effectuées. Je suis Ernard Afranius, Conseiller du roi Daric de Daguefilante et chargé du développement militaire de notre royaume.

Aris et Dakin se regardèrent de nouveau.
Et, sans échanger un mot, ils convinrent tous deux que la proposition de leur interlocuteur était à reconsidérer.

ThelVadam ThelVadam
MP
Niveau 10
15 octobre 2018 à 12:31:50

Putain, quand y'en a plus, y'en a encore https://image.noelshack.com/fichiers/2018/42/1/1539591688-1480115887-eee.png

A cause de Jean-Krengaard, je ne vais pas avoir le temps de lire ce chapitre avant de partir mais j'essaie de le faire dans la semaine :ok:

Message édité le 15 octobre 2018 à 12:32:33 par ThelVadam
TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
15 octobre 2018 à 20:29:43

No souci, je l'ai foutu sur le drive donc tu pourra l'imprimer avec les suivants si ca te va mieux :ok:

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
18 octobre 2018 à 07:48:27

:up:

bhecil bhecil
MP
Niveau 5
21 octobre 2018 à 17:42:44

Dire que c'est toujours aussi bien serait mentir: c'est de mieux en mieux...
:oui:

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
21 octobre 2018 à 17:52:30

Ça me va droit au cœur l'ami :ok:

Chapitre en écriture :)

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
24 octobre 2018 à 15:03:02

Chapitre 16

- Encore !

Renji fléchit les genoux jusqu'au niveau du sol, et bondit droit sur le Dunmer, déterminé à le terrasser d'un seul coup.
Ce dernier se décala au dernier moment, avec la fluidité d'une ombre. Au moment où le khajiit pivotait en pleine course afin de renverser son opposant, le pied de ce dernier se détendit brusquement. Sans même réaliser ce qui lui était arrivé, le félin se retrouva en plein air, privé de son appui crucial.

Du même geste qui l'avait fauché dans son élan, Athis projeta son genoux contre le front exposé de la recrue. La douleur explosa dans son crâne, et il roula de nouveau au sol.

- Encore !

La voix du Compagnon ne tolérait pas de refus.

Pour ce qui lui semblait être la millième fois, Renji se redressa, les habits mouillés de sueur. Il passa la main sur son crâne, contempla la petite tâche rouge ayant recouvert le bout de ses doigts, et plongea de nouveau vers l'elfe.
Cette fois, l'épéiste n'esquiva pas. Renji percuta Athis de plein fouet et le saisit par la taille, arrachant un grognement insondable au guerrier.

- Une minute, l'interrompit son mentor en fixant quelque chose derrière lui. Nous avons de la visite.

Le jeune chat mit pratiquement une seconde à comprendre ses mots, et s'arrêta finalement de pousser. L'esprit encore embrumé par les effluves du combat, il se retourna.

Au bout de la cour de Jorrvaskr venaient d'apparaître les visages de Rurick et Nemira, suivis de près par Rigel. Le Héraut salua les deux belligérants d'un signe chaleureux, avant de s'approcher, dépassant le nordique et la Dunmer.

- Athis ! Comment va l'entraînement ?

L'elfe noir dévisagea froidement le khajiit, jugeant ses progrès.

- Je pense qu'il commence à se défendre.

- Voilà qui porte un sourire sur mon visage ! rit le bréton en posant une main amicale sur l'épaule de l'intéressé. Et toi, que penses-tu que ces derniers jours t'aient apporté ?

- J'ai encore du chemin à faire, mais je comprend à présent ce qui me faisait défaut pour être efficace.

- De sages mots pour un futur adepte. Ne t'en fais pas, tu auras tous le loisir de constater le fruit de tes efforts d'ici ton prochain contrat. En parlant de ça, il me semble que tes amis ont une nouvelle pour toi. Quant à moi, je t'emprunte Athis. Lui et moi avons des choses à nous dire.

Prenant congé de l'épéiste d'un salut respectueux, Renji s'éloigna, et se dirigea d'un pas lourd vers ses deux comparses.

- Ma parole, tu as l'air d'un macchabée ! rit Rurick. Sors-tu d'une tombe ou d'une séance d'entraînement ?

Nemira ponctua les propos du nordique d'une claque sèche à l'arrière de son crâne, faisant tituber le jeune combattant d'une indignation forcée.

- Renji travaille dur, contrairement à toi. Estime-toi heureux d'être tombé sur une partenaire aussi prévoyante que moi, sans quoi ta chance pourrait tourner plus vite que tu ne le penses.

- Tu te fiches de moi !? Rappelle moi combien de ces scélérats tu as tué aujourd'hui ? J'en ait eût quatre ! Quatre, tu entends ?

- En comptant celui dont j'avais brisé le dos et les deux mourants que je t'ai demandé d'achever, peut-être... Mais c'est à moi que Rigel a remis les honneurs de cette mission.

- Je...

Outragé, le jeune nordique pâli, avant d'éclater brusquement de rire.

- Tu ne paies rien pour attendre, Nemira. Un jour, ce sera à toi de lutter de toutes tes forces pour sortir de mon ombre !

- Sois sans crainte; je te laisserai volontiers te débattre avec les hordes de gueuses en admiration que tes exploits guerriers feront parvenir à notre rencontre. Si tant est que leur passion aveugle suffise à leur faire oublier ta face de vasard.

Ce fut au tour de l'elfe de rire, face à un Rurick désemparé.
Les trois amis se mirent à marcher, à un rythme permettant au khajiit de suivre confortablement malgré ses courbatures. Blague à part, le nordique disait vrai : le moindre pas et le moindre geste étaient devenus douloureux à force d'entraînement. Et chaque jour qui de levait sur les exercices auquel il se consacrait sous la supervision du Dunmer n'arrangeait rien.

La nuit du fort s'était à présent achevée depuis près de deux semaines. Exception faite de la fine entaille traversant sa poitrine, ses blessures avaient guéri, mais la douleur n'avait pas encore complètement disparu, et il lui arrivait de se réveiller en pleine nuit à cause des démangeaisons.
Néanmoins, il s'exerçait sans relâche. Un matin, lors d'une de ses nombreuses insomnies, son ouïe acérée avait capté le son de l'acier frappant le bois à l'extérieur du dortoir. Curieux plus qu'inquiet, il s'était rendu au-dehors, et avait découvert Athis, lame en main, répétant les mêmes gestes dans la lueur de l'aube avec une régularité cérémonielle.
Le Dunmer avait bien sûr commencé par refuser platement sa requête, mais son insistance avait payé : le second jour, le Compagnon avait cédé, et lui avait jeté sa lame dans les mains avant de charger précipitamment vers lui. Après seulement quelques tentatives, le félin avait réalisé que l'elfe noir était bien plus doué que ne l'était Frognir. Depuis, il mordait la poussière à répétition, sans honte ni regret, conscient d'avoir la chance de prendre part aux exercices quotidiens d'un bretteur de renom.

Le khajiit poursuivit sa route en écoutant d'une oreille tranquille la conversations de ses camarades, sans véritablement y prendre part. Ils longèrent le muret délimitant le domaine de Jorrvaskr, jusqu'à parvenir devant les marches menant à la ville. Ils y croisèrent Torvar, l'un des plus anciens membres de l'ordre, soutenant par le bras la silhouette titubante de Joldir.
Le regard plongé vers l'horizon, le Compagnon nouvellement proclamé ne sembla même pas remarquer leur présence, et poursuivit sa route sans un mot à leur égard.

- On peut dire qu'il a mal digéré la mort de Fjori, soupira Rurick. C'est sûrement la troisième fois que je le vois revenir de la Jument Pavoisée dans cet état. Et cet ivrogne avec lui n'arrange rien...

La Dunmer secoua la tête en signe de négation.

- Tu te trompes. Les liens tissés dans la défaite sont tout aussi forts et étroits que ceux qu'il a pu fonder avec son ancien ami. C'est au contraire une bonne chose qu'il ait quelqu'un avec qui parler, fut-ce une choppe à la main. Si j'étais toi, je m'inquièterais plus pour sa survie sur le long terme que pour son état moral.

- Que veux-tu dire ? demanda Renji, intrigué.

- Joldir est faible. Tu as déjà du t'en rendre compte.

- Il m'avait pourtant semblé plutôt fort...

- Si tel était le cas, son camarade n'aurait pas rendu son dernier souffle dans les froides galeries de ce fort. Ceux qui meurent comme des proies ne méritent pas qu'on chante leurs louanges, ni même que l'on se souvienne de leur noms.

- Hé, du calme, intervint Rurick. Renji a aussi failli y passer.

- Peut-être bien. Mais Renji a agit et est allé à la rencontre de l'ennemi, tandis que ces deux imbéciles se sont contenté de rester immobiles en attendant que Frognir vienne les chercher. Je n'appelle pas cela de l'ingéniosité, ni de la prudence. Ils étaient lâches. Ils ont choisit la facilité de la passivité en évitant de se pencher sur ce qui se trouvait autour d'eux, et ils en ont payé le prix.

Le khajiit émit un gémissement de protestation.

- Ils se sont bien défendu. Sans eux, c'est moi que Frognir aurait tué.

La main de Nemira se referma soudain sur la joue de la recrue, tirant douloureusement sa fourrure entre ses doigts d'ébène.
Aussi dures que la pierre, ses pupilles d'émeraude accrochèrent son regard aussi sûrement qu'un hameçon, lui arrachant jusqu'à la possibilité de détourner les yeux.

- Écoute-moi bien, cracha-t-elle sans une once de compassion. Être un guerrier ne revient pas à se contenter de gagner, ni à se battre jusqu'au dernier souffle à la recherche d'une mort digne. Être un guerrier nécessite avant tout de savoir dans quels combats s'engager, et de quelles luttes fuir pour ne pas périr comme un idiot. Oublie ce que ces ignares nordiques, impériaux ou je-ne-sais quoi d'autre te diront connaître à propos de la guerre ou de l'honneur. Entre ces murs, ceux qui se vantent de savoir vaguement remuer une épée sont ceux qui en savent le moins. Les meilleurs guerriers ne sont pas ceux qui tombent pendant la bataille, ni ceux qui la dirigent, mais bien ceux qui la remportent et rendent l'âme sur leur lit de mort, entourés de leurs proches. Aucun homme ne peut avoir raison d'un véritable guerrier : seul le temps en est capable. Et si tu penses que ta survie était simplement due à la chance ou a la bêtise chanceuse de tes camarades, tu es plus bête que je ne le pensais.

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
24 octobre 2018 à 15:04:24

Déconcerté par l'assurance de la Dunmer, Renji garda le silence. Consciente de s'être montrée brusque, l'elfe se ravisa, et relâcha doucement sa prise sur sa joue.

- Enfin, dit-elle d'un air distrait. Ce n'est pas de cela que nous souhaitions te parler. Non, nous aurions besoin de ton aide.

- Mon... aide ?

Nemira leva la main en signe d'arrêt.

- Asseyons-nous quelque part. Nous allons avoir besoin d'un peu de calme.

Au loin, perdu entre les chaumières éparses du quartier des vents, la vue du Vermidor s'offrit à eux comme une évidence. Irradié de lumière comme un ange déployant les ailes fulgurantes de son feuillage doré, le véritable monument d'écorce et de sève millénaires semblait n'exister que pour les accueillir sous sa cime, prêt à bercer leur conversation de la mélopée de ses branchages frappés par la brise.

En cette période de l'année, les tons rougeoyant ornant les extrémités du colosse végétal se métamorphosaient en pétales d'or, comme pour s'assortir au duvet immaculé qui commençait déjà à recouvrir les rues en cet après-midi couvert. Ce constat rappela à Renji que l'hiver apporterait, cette année encore, son lot de changements et de complications. Entre autres, les bandits qui ne parviendraient pas à chasser en raison de l'enneigement du terrain auraient deux options : rentrer en ville pour l'hiver quitte à mettre de côté leurs pulsions criminelles, ou redoubler d'agressivité afin de garantir leur survie durant la saison froide. La fréquence des attaques de caravanes risquaient d'exploser avec la venue du froid, et la nécessité de mobiliser un maximum de ressources pour maintenir la sécurité sur les routes isolées de la région croîtrait de même. Retrouver un chariot accidenté pouvait sembler être une tâche terriblement banale et fastidieuse, mais dans le blizzard, la moindre quête pouvait se changer en traquenard mortel.
C'était l'une des raisons qui l'avait poussé en Bordeciel : en fin d'année, le danger grimpait, mais les primes aussi. Outre son désir de laisser Cyrodiil et ses problèmes derrière lui, le fait d'opter pour une terre où les prix étaient plus bas et les récompenses plus élevées était loin de lui paraître illogique. S'il n'avait qu'à survivre pour voir l'or s'amasser devant lui, il ne s'en priverait pas.

Lorsqu'ils furent installés depuis quelques minutes à même les racines et le dos au tronc, le khajiit décida de prendre les devants.

- Alors, vous avez besoin de moi ? Je suppose que c'est pour une mission ?

- C'est... compliqué, lâcha Rurick avec un sourire gêné.

- Ce qui veut dire ?

- Tu sais que la guilde des guerriers a reprit de l'influence récemment ?

- Bien sûr. J'ai grandi en Cyrodiil, donc je pense avoir suivi les grandes lignes.

- Alors, je suppose que tu es au courant que la branche nibenaise s'est désolidarisée de sa moitié colovienne il y a quelques années ?

- Oui, j'en ai entendu parler. Quel rapport avec votre requête ?

- Eh bien, tu sais que la branche colovienne s'oppose clairement à la présence du Domaine et à ses activités, tandis que l'autre se montre, disons... moins regardante envers la provenance de ses contrats.

- Pas besoin de jouer la prudence avec moi. Ils collaborent de bon cœur, c'est cela que tu veux dire ?

Le nordique acquiesça silencieusement.

- Nous avons reçu un contrat il y a quelques temps.

Le félin se tourna vers Nemira.

- Un contrat, tu dis ?

- Tu ne le sais peut-être pas, mais nous venons tout droit de Vvardenfell. Il y a quelques mois de ça, nous passions à proximité de Faillaise sur notre route vers Blancherive, et nous sommes tombés sur une troupe de messagers impériaux en partance vers Solitude. On a fait un bout de chemin avec eux, et l'un d'eux nous a donné quelque chose. Rurick ?

- Oui, oui, une minute...

Le nordique sortit de sa sacoche un morceau de papier froissé et jauni. Il le déplia avec précaution, révélant un texte recroquevillé par le manque d'espace de la page au point d'en paraître illisible.

- Normalement, la missive aurait du parvenir avec ses copies jusqu'à la capitale impériale de Bordeciel, avant de prendre la mer en direction des cités portuaires de Hauteroche. Mais, va savoir pourquoi, il s'est dit que nous aurions nos chances.

- Il s'agit d'une liste, expliqua la Dunmer. Une liste de lieux, dispersés dans la partie nord du continent, où les différentes provinces impériales suspectent la présence d'éléments dits "dangereux au maintien de la paix et de l'ordre". Il n'y en a que trois en Bordeciel, et les coursiers savaient que nous prévoyions de rejoindre les Compagnons de Jorrvaskr, alors ils nous ont fait confiance. L'opportunité de clôturer une part du contrat avant même qu'il ne parvienne aux oreilles d'Élisif devait sans doute leur faciliter les choses. Enfin, c'est tout pour les explications générales.

- Ça m'a tout l'air risqué, objecta Renji. Vous ne savez rien de plus à propos de ces "éléments dangereux" ?

- Pas plus que toi, hélas. Mais je parierais sur des déserteurs de la Légion ou des bandits au service de quelque obscur conspirationniste.

- Et pourquoi ne pas directement transmettre le message aux Compagnons ? Rigel ne serait-il pas plus à même de régler une telle situation ?

- C'est bien là le problème. Tu sais quoi que ce soit à propos de notre ancien Héraut ?

Se rendant compte qu'il ignorait presque tout de l'homme hormis son nom, la recrue rougit en effectuant un signe de négation.

- Non, pas vraiment...

- Pas étonnant, il n'aime pas en parler. Mais si tu demandes aux bonnes personnes, tu découvrira que c'est un ancien Sombrage. Il est arrivé à Blancherive en tant que rebelle durant le siège d'Ulfric sur la ville, il y a un peu plus de deux ans. Après la bataille, il a été capturé et enfermé à Fort-Dragon jusqu'à la fin du conflit, avant d'être libéré faute d'antécédents. La suite, tu peux sans mal la deviner. Il avait besoin d'or, les Compagnons en offraient contre ses services, et il s'est retrouvé là de fil en aiguille.

Voyant que le félin ne saisissait toujours pas, Rurick enchaîna.

- La mission provient directement de la Guilde des guerrier nibenaise. Si tu es au courant de leurs agissements, alors Rigel aussi. Et connaissant les conflits d'idéaux qui doivent régner entre lui et les organisation possédant une quelconque affiliation au Domaine Aldmeri, il est impensable qu'il officialise ce contrat, et encore moins qu'il nous autorise à l'effectuer en connaissance de cause. Je ne dis pas qu'il fait le mauvais choix ; ses convictions ne regardent que lui. Mais si nous ne nous en chargeons pas, personne ne le fera avant un bout de temps.

- Ça ne vous semble pas risqué ? Si ce contrat est destiné à la Guilde des Guerriers, ce n'est pas à nous de nous en charger...

- Mais le contrat paye bien, fit Nemira d'une voix sèche. Très bien, même. Je ne souhaite pas mentir à Rigel, alors nous ne lui avons rien dit pour le moment. Tout ce qu'il sait est que nous avons un travail pour toi. Étant donné que nous avons le même âge, il s'attend à ce que nous soyons amis. Tu es le seul à qui nous pouvions en parler sans risquer de l'alerter.

Pensif, le félin se plongea dans ses pensées, pesant longuement le pour et le contre.
Si le Héraut apprenait quoi que ce soit à propos de leur petite excursion, ils seraient très probablement durement réprimandés. Les Compagnons étaient réputés pour ne pas faire cause commune avec les ordres guerriers issus du cœur du continent, et chacun aimait donc garder ses affaires pour soi sans mettre le nez dans celle des autres. S'ils étaient découverts, le bréton ne les éloignerait pas pour autant de Jorrvaskr, mais il risquait fort de garder amèrement en mémoire le souvenir de leur petite entreprise solitaire.
Malgré tout, cette histoire l'intriguait. Si la paye était conséquente, le danger devait l'être aussi. Mais que perdaient-ils à se rendre sur place pour estimer la situation ? Peut-être y découvriraient-ils quelque chose qui en valait réellement la peine ?

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
24 octobre 2018 à 15:06:07

Après avoir estimé qu'il n'aurait qu'à mettre fin à leur escapade s'il considérait finalement le danger trop grand, le félin hocha la tête.

- Très bien. Je vous accompagnerai, mais à une condition : laissez moi quelques jours.

- Pourquoi ça ? protesta le nordique Chaque heure qui passe joue contre nous. Si nous arrivons après qu'un groupe d'aventuriers leur soit tombé dessus par hasard, nous pouvons dire adieu à notre récompense !

- C'est important. J'ai besoin de sommeil si je veux être en état de me battre d'ici là.

- Il a raison, Rurick, renchérit l'elfe noire. Il s'entraîne d'arrache-pied depuis l'autre jour, et je pourrais le terrasser avec deux doigts vu son état d'épuisement. Nous avons besoin d'un troisième membre fonctionnel, et non pas d'un ahuri titubant quinze mètres derrière nous en produisant un vacarme monstrueux à chaque pas.

Ne sachant s'il devait prendre l'intervention de sa nouvelle camarade pour un compliment, une moquerie ou un mélange des deux, il ne répondit pas.
À son tour, le nordique le dévisagea.

- Si Nemira le demande, je n'ai pas vraiment mon mot à dire, conclut-il formellement. J'aimerais autant que nous nous hâtions, mais je ne peux pas te forcer la main. C'est entendu, nous attendrons la fin de la semaine.

Satisfaits de la tournure prise par la conversation, les deux alliés se remirent à discuter, tandis que lui s'allongeait contre le tronc du Vermidor afin de se ressourcer un peu.
Brièvement, il se demanda si la sève de l'arbre possédait effectivement des vertus curatives. S'il parvenait à mettre la main sur quelque chose capable d'entailler la carapace ligneuse qui protégeait son essence, peut-être pourrait-il dire adieu à ses courbatures ?

Soudain, il s'en voulut de tenir de telles pensées. Cela lui semblait tout à fait illégal, et ne serait-ce qu'oser porter atteinte à l'intégrité du symbole de toute une châtellerie lui vaudrait sans doute un séjour prolongé à Fort-Dragon.
Cette pensée en réveilla une autre, plus préoccupante.

- Je dois vous laisser, s'excusa-t-il en se relevant.

Rurick interrompit la dispute qu'il venait d'entamer avec la Dunmer concernant la probabilité qu'un dragon les attaque en chemin, et toisa le félin d'un air étonné.

- Déjà sur la route ?

- Oui, j'avais quelque chose d'important à faire, mais ça m'était sorti de la tête.

Malgré sa tendance curieuse, le nordique n'insista pas. Le ton du khajiit était distant, comme si ce dernier n'était déjà plus là.

- Eh bien, prend soin de toi, Renji. Essaye de ménager tes forces d'ici notre départ. Courbatures ou pas, nous levons les voiles ce Sundas à l'aube !

- Ne t'en fais pas, je vais prendre un ou deux jours de repos avant mon prochain entraînement.

Le khajiit s'éloigna de quelques pas, avant de sentir le regard presque brûlant des deux recrues porté sur lui.

- À ce propos... lâcha-t-il d'un air faussement distrait. Pourquoi m'avoir choisi pour vous accompagner ?

Un sourire presque narquois trancha une ligne pourpre entre les fossettes de la Dunmer.

- Ça n'a rien de sorcier. Lors de notre première mission, tu n'as pas hésité à mettre ta vie en jeu pour nous, alors que tu nous connaissait à peine. Même si ta tentative n'a sans doute rien changé à l'issue finale du combat, nous te sommes redevable d'avoir tenté de couvrir nos arrières. De plus, le genre de travail dans lequel nous allons nous engager nécessitera vraisemblablement plus de deux personnes.

Rurick se leva au milieu de la dernière phrase de son amie, et rattrapa Renji pour se mettre face à lui, formant un cercle avec ses mains.

- Imagine-toi au milieu d'une horde d'ennemis. À deux, combien penses-tu pouvoir en repousser ?

- J'imagine que tout dépend de ceux qui se trouvent dans chaque camp... hésita le chat en dissimulant mal son empressement.

- En réalité, peu importe ! Car il suffit d'une seule erreur à l'un des deux membres pour que lui ou son camarade périsse. En revanche, ajoutes un troisième membre...

Le nordique mima l'explosion du cercle en courbant les pouces.

- ... et l'ennemi n'a plus la moindre chance.

- Il exagère un peu, mais c'est la vérité, confirma la combattante. La différence d'efficacité entre un groupe de deux et un trio peut se révéler colossale en fonction de la situation. Et, puisque c'est ton jour de chance, nous cherchions justement ce troisième membre.

- Content de savoir que je fais partie du groupe, rit le félin. Bon, je vous laisse. Je vous retrouverai ce soir à la Jument Pavoisée.

<><><>

- Qu'est ce que tu veux ? Tu va venir m'enquiquiner tous les jours, c'est ça ?

Frognir contempla dédaigneusement la jeune recrue se tenant face à lui, l'observant depuis l'autre côté des barreaux de sa cellule.

- Il ne fait pas aussi beau qu'hier, dit Renji. Même si le froid est encore supportable, je vais bientôt avoir besoin d'autre chose que mon pelage pour me tenir au chaud.

- Oh, pauvre petit chaton ! ironisa le captif en levant ses mains -désormais menottées- en direction de sa gorge pour mimer un étranglement. Ne t'en fais pas, tu finira avec une masse enfoncée dans le crâne avant de mourir de froid. Les petits naïfs dans ton genre ne font pas long feu par ici. Tu va découvrir à tes dépends que la grêle est bien le dernier des soucis d'un gardien de l'ordre en cette période de l'année.

- Je ne mourrai pas, Frognir. Pas avant de t'avoir montré.

Le prisonnier ricana joyeusement, et tenta d'applaudir, avant de réaliser que ses fers ne lui permettaient pas d'accomplir de tels mouvements.

- Ces trucs me donnent de ces démangeaisons... Gamin, t'as déjà passé un seul jour derrière les barreaux ?

- Pas à ma connaissance, non. Mais je suis presque jaloux. Tu dois bien t'amuser, ici, avec tous les camarades qui viennent te rendre visite.

- Tu tournes en boucle, chaton. J'ai bien compris que t'avais une dent contre moi. Encore obsédé par cette histoire ? Fais-toi à l'idée. Fjori et Joldir se trouvaient là où ils n'auraient pas du être. Et toi aussi.

Les mots de Nemira ressurgirent dans l'esprit de Renji.

- J'ai survécu. Et je ne pense pas que ce soit un hasard.

- Bien sûr que non. Je m'amusais tellement que je n'ai pas vu le temps passer. Ni tes petits amis arriver, à vrai dire.

- Ça n'arrivera plus.

Des pas les interrompirent. Un garde, sans doute le même que d'habitude à en juger par son allure boiteuse, venait de pénétrer dans le couloir. Il s'arrêta devant une première cellule, un large plateau à la main. Le soldat servit sa pitance au premier prisonnier, avant de passer aux suivants. Après plus d'une minute passée dans les grognements réciproques échangés entre le maton et les captifs en toute guise de conversation, il s'approcha finalement d'eux.

- Encore toi ? fit l'homme derrière son casque en apercevant l'apprenti Compagnon. Ces interrogatoires n'en finissent pas, ma parole.

Frognir s'esclaffa de son côté, tandis que le gardien glissait un bol de soupe sous la grille de sa cellule, avant de reprendre sa route.

- Des interrogatoires ? fit le nordique en remuant sa cuillère dans son auge d'un air morose. C'est tout ce que tu as trouvé ? Il va falloir finir par lui avouer que tu as un penchant pour moi, gamin.

Le hors-la-loi rit une fois de plus, avant de se mettre à manger.

- Comment est la soupe ? demanda le khajiit.

- À vomir. Tu en veux ?

Renji secoua la tête.

- J'ai fais des progrès, aujourd'hui.

- Vraiment ? En quel honneur ?

- Avec Athis.

Le bandit avala quelques cuillerées de potage, laissa échapper une grimace de dégoût, puis se retourna vers lui.

- Toujours debout, hein ? Cette vieille peau grise est plus tenace qu'elle en a l'air. Un jour si tu es sage, je te raconterai comment nos amis les mains d'argent ont massacré deux de ses frères d'armes. Pour tout te dire, c'est mon histoire préférée !

- J'étais terrifié à l'idée de te revoir, et encore plus à celle de t'affronter. Mais plus maintenant.

Le son du bol se posant contre les dalles humides résonna dans le silence avec un écho sinistre. Frognir s'était remit à le fixer, avec ce même regard qu'il adoptait chaque fois que la colère le gagnait.
Le geôlier repassa près d'eux, son plateau vide pendant le long de son bras. Ils le laissèrent passer sans un mot ni un regard, attendant que le son de sa démarche claudiquante s'évanouisse au fond du corridor. Enfin, la porte du baraquement claqua, leur restituant le calme confiné dans lequel ils avaient maintenant pour habitude de converser.

- Libère-moi, et nous verrons bien... sussura Frognir d'un souffle suave.

- Tu n'es qu'un homme avec une épée. Et je n'étais qu'un enfant.

- Tu n'étais ? Et dans ce cas ? Qu'es-tu donc, à présent ?

- Un enfant du bon côté des barreaux.

D'un regard glacial, le bandit jaugea le khajiit de haut en bas, presque comme l'avait fait Athis quelques heures plus tôt.

- Tu dis vrai. Tes épaules sont plus larges, et ta posture m'évoque désormais davantage celle d'un Compagnon que celle d'un garçon de ferme. Mais tu as du mal à marcher.

- Tu avais remarqué ?

- Évidemment.

- Je vais demander aux gardes d'augmenter tes rations. Lorsque tu sortira d'ici, je veux que ta forme soit la meilleure possible.

Cette fois, le malfrat ne ricana pas, pas plus qu'il ne le regarda avec animosité. Pour l'une des premières fois en deux semaines, il paraissait tout à fait sérieux et dénué d'arrière-pensée acerbe.

- Hélas, l'ami... La prochaine fois que je mettrai les pieds hors d'ici, je creuserai la tombe de tant des tiens que tu en oubliera jusqu'à l'éventualité de te venger.

Et Renji s'en alla, loin d'imaginer que les mots du nordique étaient peut-être plus terriblement vrais qu'il ne pouvait le concevoir.

bhecil bhecil
MP
Niveau 5
25 octobre 2018 à 11:24:07

ah enfin des nouvelles de notre petit kajiit préféré !!!!
:hap:

JALLET_ledire_ JALLET_ledire_
MP
Niveau 10
25 octobre 2018 à 11:51:38

Mais le premier topic a disparu ou c'est parce qu'il manque trop de chapitres ?

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
25 octobre 2018 à 14:32:01

Le 25 octobre 2018 à 11:51:38 JALLET_ledire_ a écrit :
Mais le premier topic a disparu ou c'est parce qu'il manque trop de chapitres ?

C'est parce qu'il manquait des chapitres, que j'avais recommencé, et que j'ai décidé de continuer pour faire quelque chose de mieux même une fois qu'ils sont revenus :ok:

Je te laisse le lien au cas où : https://www.jeuxvideo.com/forums/42-19348-42080570-1-0-1-0-fic-au-coeur-de-la-tempete.htm

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
17 novembre 2018 à 13:12:36

J'ai surmonté la gueule de bois farouche et finit de corriger le chapitre :ok:

Chapitre 17

Lorsque Renji ouvrit les yeux, il se retrouva plongé dans l'effervescence qui animait le dortoir. Il se redressa lentement, le pourtour de la vision embrumé par le sommeil, et observa ses amis s'animer d'un air détaché.
Nemira enfilait précipitamment son armure, tandis que Rurick retournait la pièce à la recherche de quelque chose. Plus loin, Athis et Vilkas aidaient un imposant nordique à enfiler son armure de plates, et Rigel discutait nerveusement avec un vieillard dans l'encadrement de la porte. Alors qu'il s'apprêtait à se renseigner sur la cause de cette agitation si matinale, trois impériaux passèrent en trombe dans le couloir, portant de lourdes piles caisses leur cachant la vue. En ce jour, les préparatifs battaient leur plein.

- Renji ! Ne traîne pas ! lui lança Nemira en ajustant les lanières de ses gants.

- N...Non, ca va aller... répondit le khajiit en grognant. Je serais prêt à temps...

- J'espère bien. Comme tu peux le voir, nous ne sommes pas les seuls à avoir une mission à remplir aujourd'hui !

Renji fouilla sa mémoire quelques instants, avant de se souvenir des quelques détails dont il avait besoin pour commencer sa journée du bon pied.
Le grand jour était arrivé. Après sa discussion avec les deux amis à l'ombre du Vermidor, il avait comme convenu prit un peu de repos, et avait arpenté la ville et ses alentours durant presque deux jours sans participer aux entraînements matinaux. Il avait profité de ce répit pour rendre visite à Isolda et Dresnil à la Jument Pavoisée, et avait à présent la certitude que l'intérêt que lui vouait la Bosmer était d'ordre plus que professionnel. Malheureusement, son appartenance aux Compagnons ne suffisait pas à légitimer sa présence aux yeux du mari de la patronne, Gerald Libre-hiver.
En se renseignant un peu, le khajiit avait ainsi fait une découverte pour le moins singulière : le nordique venait tout droit de Vendeaume, où il avait intégré les forces d'Ulfric au début de la guerre civile. Et, tout comme Rigel, il n'avait enjambé les barrières de la captivité qu'une fois la province sous contrôle impériale. Refusant de retourner au foyer où ses frères et sœurs avaient refusé de lui prêter main-forte dans le rétablissement du culte de Talos, il s'était installé à Blancherive, et y avait fondé cette union pour le moins singulière.

Privilégiant le calme aux fêtes et aux beuveries incessantes faisant trembler le plafond du dortoir en toute heure du jour, Renji s'était contenté de la seule autre auberge populaire du quartier des Plaines. Il avait ainsi fait connaissance avec le propriétaire du Chasseur Ivre, Anoriath, qui lui avaient même donné quelques conseils d'archerie durant les conversations qu'ils avaient pu avoir en quarante-huit heures.

Étonnamment, ce cours laps de temps passé loin de Jorrvaskr avait suffit à faire disparaître ses courbatures, et il s'était même décidé à rejoindre Athis la veille afin de mener un dernier entraînement en sa compagnie. Cette fois, le bretteur lui avait inculqué les rudiments du maniement de la lance. Les résultats n'avaient au premier abord pas été très concluants, mais après quelques heures de pratique, les bons réflexes lui étaient finalement restés. Il savait à présent comment placer ses appuis et comment tenir la hampe de son arme, et cela lui suffisait amplement. De par sa facilité d'utilisation, la pique demeurait l'un des outils guerriers les plus répandus dans les campagnes, et la maîtriser ne serait-ce qu'un peu lui serait probablement utile un jour ou l'autre.
Malgré sa sempiternelle mine d'enterrement et ses réprimandes acerbes, il lui avait semblé que le Dunmer était content de le revoir. Peut-être s'était-il attendu à ce qu'il abandonne au bout de quelques jours, comme avaient dû le faire tant de recrues avant lui.
Mais lui avait tenu bon. S'il voulait ne serait-ce que se rapprocher du niveau de Rurick et Nemira, et espérer évoluer par ses propres moyens au sein de l'ordre, il lui fallait apprendre des meilleurs. Et le Dunmer en faisait immanquablement partie.

Tiré de ses rêveries par un sifflement impatient de Nemira qui venait d'achever ses préparatifs, le khajiit se leva lentement, et saisit sa capuche de cuir, posée sur sa commode depuis sa mission d'intégration. Avec surprise, il constata que celle-ci était couverte de poussière. Du temps avait passé depuis leur première opération. Cette fois, pas question de frôler la mort en se frottant à un adversaire trop gros pour lui. Si prendre l'initiative dans les ruines lui avait de justesse évité le trépas, il misait désormais sur la carte de la prudence et de la précaution. La Dunmer avait raison : fuir n'avait rien de lâche si le combat menaçait de virer au massacre. Après tout, les lions les plus véloces ne s'en attaquaient-ils pas moins aux biches les plus lentes du troupeau ?

Tiré de ses élans métaphoriques par les regards insistants de la dirigeante naturellement imposée du trio, il reprit ses préparatifs. Ayant comme chaque soir enfilé sa chemise pour la voir mystérieusement disparaître au réveil, revêtir sa tunique et son armure en peau ne lui prit que quelques secondes. Lorsqu'il fût à peu près paré au départ, il s'approcha de Rurick, toujours aux prises avec son équipement.

- Tu es prêt ? lui demanda le nordique en enfilant finalement un premier gantelet après d'innombrables tentatives. Tout le monde s'active ici-bas, il semblerait. Rigel ne m'avait pourtant pas parlé d'une mission aujourd'hui. Les secrets des vétérans, je suppose...

- Nous pourrons toujours lui demander en rentrant à Blancherive, fit le khajiit en scrutant ses brassards de cuir à la trace de la moindre tâche ou entaille. Tu as vu mon arc ? Je l'avais posé ici hier soir, mais je ne le retrouve pas...

- Ça fait un moment que tu ne t'en es pas servi, pas vrai ? Fais donc un tour en haut. Vilkas avait parlé de fabriquer de nouvelles pointes de flèches et d'aiguiser un peu les armes à la Forgeciel, alors peut-être qu'ils ont aussi embarqué nos équipements.

Tout au long de leur échange, Rurick avait religieusement gardé une main posée contre la housse de toile reposant au pied de son lit, d'un air qui parut presque affectif aux yeux du félin.

- Tu vas encore prendre ça avec toi ? demanda-t-il. Ça m'a tout l'air encombrant.

- Bah... Nous ne sommes qu'à un ou deux jours de marche de notre objectif. Si j'ai survécu avec ce truc sur mon dos depuis que j'ai mit les pieds en Bordeciel, tu imagines bien que je ne vais pas m'en séparer pour un simple contrat.

- Tu ne veux décidément pas me dire ce qui se cache là-dedans, n'est-ce-pas ?

Le nordique tiqua, et le dévisagea d'un air mal assuré.

- Ce n'est pas ça. C'est juste qu'il s'agit de quelque chose que je préfère éviter de trimbaler à la vue et au su de tous. Tu comprendra pourquoi si tu as l'occasion de les voir un jour.

- "Les" ?

- Les guerriers en herbe ont aussi droit à leurs secrets, répondit le nordique avec une grimace espiègle. Maintenant, plus de questions. Je peux presque sentir les yeux de Nemira peser sur moi, et j'aime autant te dire que je préfèrerais me jeter dans la tanière d'un troll plutôt que de la mettre en rogne de si bon matin.

Le brouhaha monta d'un cran lorsque Renji passa les épaules hors du dortoir pour s'aventurer dans le couloir. De part et d'autre de son regard, les murs disparaissaient sous les coffres, les hommes, les caisses et les tas d'équipements ou de curiosités amenés au cours des dernières minutes. Une pléthore d'hommes et de femmes passaient sans cesse entre les pièces du sous-sol, dont le calme ordinaire avait cédé face à un fourmillement invraisemblable. Face à tout ce raffut, il se demanda comment il avait été en mesure de fermer l'œil jusqu'à ce que Nemira ne vienne le secouer.

Son intérêt pour les événements présents ne le cloua pas sur place bien longtemps. Craignant autant que Rurick le courroux de l'elfe noire, et soucieux d'honorer sa promesse de ponctualité, il prit le chemin des escaliers et grimpa à l'étage. Le temps qu'il atteigne le hall, son regard avait déjà glissé sur une bonne douzaine de faciès inconnus, qu'il cessa de compter sitôt parvenu dans la salle de banquet. Et pour cause : partout, des dizaines d'aventuriers se regroupaient en une foule opaque, massés aux quatre coins de l'âtre comme un nuage de papillons nocturnes autour d'une lanterne. Quelques secondes durant, il chercha le réconfort des visages familiers à travers cette masse indiscernable de corps et de choppes levées, avant d'abandonner devant l'ambition de l'entreprise. Étouffant déjà sous les remous de l'assemblée piétinante, il saisit son sac de voyage d'une main, et se fraya un chemin au-dehors à coups d'épaule.

La bise était aussi glaciale que l'intérieur de Jorrvaskr lui avait paru chaleureux. Les relents d'alcool et de victuailles furent soufflés par l'odeur de la pluie et de l'ardoise, dispersant du même coup les échos fêtards émanant de l'antre guerrier.

- Impressionnant, tu ne trouves pas ?

Renji sursauta. Nemira l'avait suivit tout du long, et se tenait à ses côtés, furtive comme une ombre.

- Je ne savais même pas que les Compagnons possédaient autant de membres... avoua le khajiit.

- Et ce n'était pas le cas jusqu'à très récemment. Il y a presque deux ans déjà, la fin de la guerre civile a renvoyé nombre d'hommes aux champs, mais une part d'entre eux a mal digéré le fait de remplacer l'épée par la faucille. Alors beaucoup sont venus ici, et ont mit de côté leurs différends pour reprendre les armes sous une même bannière.

- Et pourquoi sont-ils à Blancherive ? Ou plutôt ; pourquoi maintenant ?

- Tu n'as pas demandé à Rigel ? L'hiver est là. Alors, c'est l'occasion pour tous les membres de Bordeciel de se réunir avant que le gel ne rende certains sentiers impraticables. C'est pour beaucoup d'entre eu  la dernière chance de revoir leurs frères d'armes et de partager leurs découvertes avant de se retrouver isolés aux quatre coins de la province jusqu'au printemps.

Le khajiit hocha pensivement la tête. Ainsi, le gros des Compagnons s'apprêtait à s'unir ici, à Jorrvaskr. Et il n'était à ses yeux pas exagéré de parler de force armée. Approximation faite, il devait bien y avoir deux cents hommes à l'intérieur, et sans doute encore davantage en route pour la capitale commerciale du pays. D'un simple coup d'œil, il aperçu de nouveaux arrivants franchissant fièrement le pavillon surplombant l'escalier principal, paumes sur la garde et mains sur la hanche. Derrière eux, les rues de la cité grouillaient de monde malgré l'heure matinale, et la plupart des passants portaient effectivement bien trop de bagages et d'armes pour n'être que de simples paysans.

La Dunmer soupira et s'assit contre le sol, genoux et poitrine tournés vers le ciel.

- Jamais depuis les Cinq Cents d'Ysgrammor nous n'avons été si nombreux. Cela devrait te donner une idée de la chance que nous avons eu de pouvoir les intégrer. Il s'agit de l'apogée des Compagnons, Renji.

- Au contraire, je trouve que le titre en perd de son charme, rétorqua le félin avec une demi-grimace. Nous sommes supposés faire partie d'une caste d'élite... S'il y en a des légions comme nous, à quoi bon se considérer uniques ?

- Détrompe-toi. Ce sont tous des vétérans, ou à minima des hommes et des femmes assez expérimentés pour effectuer proprement le travail qu'on leur confie. La Légion comme les rangs Sombrages ont su tirer parti des facultés des recrues locales pour en faire des tacticiens ou des combattants de front. Et aujourd'hui, c'est aux Compagnons et à la sécurité de la province que leurs efforts profitent le plus.

La mine de la recrue s'assombrit.

- Mais pour chaque rebelle et chaque légionnaire reconverti en honnête chasseur de primes, combien de déserteurs avides de sang et de pouvoir ?

- Ne t'inquiète pas pour ça. Nos ennemis sont nombreux, mais pas assez pour nous poser problème dans l'immédiat, ou tout du moins pas à Blancherive. Maintenant, va me dégoter ce satané arc que tu es venu chercher avant que je ne fracasse ta tête contre celle de Rurick quand il arrivera.

Soudain vastement préoccupé par l'éventualité de subir un sort pour lequel il savait posséder une crainte partiellement fondée, le khajiit hocha la tête avec empressement, et s'élança d'un pas rapide vers la Forgeciel. Athis lui avait demandé d'éviter cet endroit, d'ordinaire réservé aux requêtes artisanales et aux réunions secrètes du Cercle, mais il estimait être excusé par la situation présente. Après tout, aucun Héraut digne de ce nom ne souhaitait retrouver la cervelle de ses nouveaux membres disséminée dans les rues de la cité.

À sa surprise, le promontoire rocheux était désert. Malgré tout, il demeura un instant figé devant le spectacle. Devant ses yeux, la forge brillait d'un éclat majestueux, presque aveuglant de blancheur. À sa surface ne s'agitait aucune flamme ni ne dansait la moindre volute de fumée, et le calme du lit de braises incandescentes reposant au creux de la pierre lui parût infiniment plus apaisant que la nuit de sommeil qu'il venait de passer. Sous l'aigle de pierre jugeant ceux qui venaient se prosterner devant lui aussi sûrement qu'un dieu devant les âmes défuntes, la Forgeciel tout entière étincelait d'un un éclat pur semblant étranger à ce monde.

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Niveau 31
17 novembre 2018 à 13:14:43

- Qu'est-ce que tu veux ?

Le khajiit fit volte-face, presque habitué à se faire surprendre de si bon matin.

- Tu ne m'avais pas vu ?

Joldir se tenait juste au sommet des marches, presque confondu dans sa tenue de maille avec les pans de roche grise grimpant le long des remparts.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda précipitamment la recrue. Cet endroit est interdit aux nouveaux.

- Et pourtant, t'y voilà bien. Qu'est-ce qui t'amène ici ?

- Je cherche mon arc. Tu n'as pas répondu à ma question.

Le nordique soupira, puis s'étira brièvement avant de se lever.

- Tu sais, c'est à la chaleur de cette forge que les cendres de Fjori se sont envolées vers Sovngarde. Une fin digne de lui. Enfin, je ne saurai sans doute jamais si les Divins ont eût la bonté de guider son âme à bon port, et tu dois pas mal te ficher de mes histoires. Tes affaires doivent être au fond, près de la meule. Rigel les a apporté ce matin avec celles des autres.

- Il ne t'a pas vu ?

- Tu es le seul ici dont le sommeil engourdi les paupières, l'ami. Il m'a remarqué avant même d'arriver au pied de l'escalier. Mais il tolère ma présence ici. J'imagine que mon histoire lui a foutu une larme à l'œil, ou je ne sais quoi d'autre.

Renji saisit son arc, effectivement entreposé aux côtés de l'aiguisoir en compagnie d'une dizaine d'autres. Avec un soupçon de jalousie, le khajiit contempla d'un air envieux les cordes tressées et les poignées gravées des arceaux reposant sur les dalles, avant de saisir un carquois posé non loin.

- Pas touche aux flèches, lança Joldir d'une voix morose. Ordre du Cercle.

La recrue écarta les bras, désignant son arme avec une mine indignée.

- Comment suis-je censé m'en servir si je n'ai rien à mettre au bout de ma corde ?

- Vois ça avec eux, pas avec moi. Je ne vais pas jouer au vigile, mais tu connais la chanson. S'ils s'aperçoivent que tu as désobéi, tu risques bien de passer quelques semaines sans contrat.

Joldir se plongea de nouveau dans son mutisme, et vint retrouver sa position initiale, collé contre le muret. Comprenant qu'il n'en tirerait rien de plus, Renji rebroussa chemin, maussade.

Il trouva ses deux camarades discutant à voix basse devant l'entrée de Jorrvaskr. Vêtu d'une tunique de tissu blanc faisant disparaître presque toute trace de son maillage, Rurick lui adressa un signe des deux mains, désormais couvertes par une paire de gants assortis aux tons immaculés de son attirail. Malgré l'esthétisme de son accoutrement, le nordique ne s'était pas ainsi couvert pour parader, mais bien en prévision de la mission qui les attendait : sitôt parvenu en milieu enneigé, sa tenue, son teint clair et sa chevelure blond platine allaient conférer au jeune combattant un camouflage que ni lui ni Nemira ne pourraient prétendre égaler.
Dans son armure de chitine, l'elfe noire n'en paraissait pas moins impressionnante. Le khajiit l'avait vu sauter d'une muraille de plus de trois mètres et se réceptionner sans une éraflure, et il avait bien compris aux regards que les vétérans lui lançaient qu'elle serait la première d'entre eux à rejoindre le Cercle. Un sourire décontracté mais sérieux déposait au bas de son visage un arc de cercle rosé, indicateur d'une détermination tranquille. Et voir une guerrière avérée arborer une telle expression était à ses yeux plus rassurant qu'il ne voulait bien l'admettre.
Le félin gonfla la poitrine, soucieux de paraître aussi tranquille et préparé que ses deux camarades.

- Prêt ? lança Rurick avec un sourire radieux.

- Eh bien oui. Je risque bien de ne pas avoir la moindre flèche à décocher, mais je suppose que nous ferons avec.

- Notre ami ici présent te prêtera une épée, alors ne traînons pas, conclut la Dunmer en le tirant par l'épaule. Le jour s'est levé depuis bien longtemps déjà, et j'aimerais avoir quitté la région avant de monter notre camp cette nuit.

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La piste était fraîche. Penchée sur le cadavre du vieux nordique, Nemira frotta entre ses doigts le sang encore poisseux récupéré contre la cage thoracique du malheureux.
Derrière elle, Rurick et Renji scrutaient les bois d'un air anxieux.

- Tu vois des traces ? lâcha le nordique à son comparse d'une voix étouffée.

- Non. Et l'odeur du sang couvre tout. Je ne sens rien d'autre.

- Alors pas le choix. Nemira, on fout le camp d'ici.

- Vous n'envisagez tout de même pas de faire demi-tour pour un paysan avec un peu de rouge sur la poitrine ?

- Non, je veux dire que nous devrions continuer d'avancer. S'il s'agit de nos hommes, ils ne sont plus très loin.

Renji acquiesça.

- Poursuivons la route. Mais autant vous dire que je n'aime pas ça. Un mort, ici, au milieu de nulle part ? Ça n'a pas de sens.

- Peut-être un fugitif, proposa l'elfe.

- Encore armé ?

La Dunmer observa la main du macchabée, encore crispée autour d'une hache de bûcheron. La résistance qu'il avait opposé à son agresseur dans ses derniers instants s'était révélée aussi vaine que farouche. Sa barbe et son menton n'étaient même pas tâchés de sang : la première blessure avait été fatale, et la mort, presque immédiate.

- Difficile de dire exactement ce qui s'est déroulé ici. Mais comme vous l'avez deviné, je doute que s'attarder ici nous soit d'une grande aide.

Le félin huma de nouveau l'air environnant, mais les effluves de pin et d'hémoglobine couvraient décidément toute autre indication olfactive, humaine comme animale. Sans dévisager davantage le corps du fermier, ils se remirent en chemin. L'ennemi se faisait de plus en plus proche, et ce cadavre faisait taire tout doute à ce sujet.

Leur première journée de voyage s'était déroulée sans encombre. La froide toundra de Bordeciel les avait accueillit de ses bourrasques polaires en fin d'après-midi, portant un sourire au visage de Rurick ainsi qu'une grimace à ceux de ses deux camarades. Le choc culturel s'était rapidement fait sentir : le souffle glacial du vent avait arraché frissons et claquements de dents aux deux étrangers des heures durant, tandis que le nordique n'avait presque pas bronché. Renji s'était prêté à imaginer ce qui serait advenu si les rôles avaient été inversés et qu'ils s'étaient trouvés en plein désert, mais la pensée de sa terre natale ne fit remonter dans son esprit que des souvenirs si lointains qu'ils lui en parurent presque étrangers.

Et, avant qu'ils le réalisent, le soir avait déposé son voile obscur sur eux. Préférant ne pas s'attarder de nuit dans une région qu'aucun d'entre eux n'avait traversé auparavant, ils avaient continué de marcher jusqu'au petit matin, longeant soigneusement la lisière des forêts à la faveur de l'éclairage lunaire pour ne pas dériver de leur objectif.
La fatigue s'était levée en même temps que le soleil. Bien sûr, aucun membre du trio n'avait prit la peine de s'encombrer de véritable matériel de couchage, et Renji était le seul à avoir emporté une couche de fortune avec lui. Après des heures de marche à la recherche d'un campement abandonné, ils s'étaient finalement assoupis aux pied d'un vieux hêtre au bord d'un lac gelé. Rurick, qui avait accepté de céder le confort du sol pour celui des branchages, s'était réveillé avec la tunique couvert de sève, et avait passé le reste du jour à se plaindre sous les soupirs d'une Nemira déjà tendue par le manque de sommeil. Sans que le nouveau membre du trio ne sache pourquoi, l'elfe avait insisté pour monter la garde tout leur arrêt durant.
Très vite épuisés par leur marche que le froid et la poudreuse ne rendaient guère plus commode, ils s'étaient arrêtés au bout de quelques heures pour déballer leurs provisions et laisser l'atmosphère se détendre un peu. Les trois amis avait finalement repris la route d'un pas plus décontracté lorsque l'astre du jour s'était mit à décroître dans les cieux, et Renji s'était même longuement surpris à contempler d'un air rêveur les plaines enneigées, semblables à une mer de joyaux étincelants. Malgré un réveil difficile, tout allait pour le mieux, et les plaisanteries allaient bon train jusqu'à quelques minutes plus tôt.

Cela venait de changer. Après de longs kilomètres de marche le long d'un vieux sentier forestier à peine épargné par le givre naissant, la macabre découverte avait suffit à défaire la tranquillité fragile de leur périple. Soudain, les éclaboussures vermillon creusant la neige venaient de rappeler à Renji que sa vie était véritablement en jeu, et que si tout ne se passait pas comme prévu, l'aube du jour suivant pourrait bien ne jamais se lever sur lui ou ses comparses.

Comme si leurs doutes avaient été gage de leur faiblesse, la nature redoubla d'hostilité en l'espace de quelques minutes. Sous les branchages, les flocons accumulés au fil de la journée commençaient tout juste à fondre, et parsemèrent très vite le sentier d'une myriade de filets d'eau qu'ils évitèrent tant bien que mal pendant un temps, avant de se résigner. La montée, déjà rude, se fit impitoyable, et la terre dévorée de racines congelées se déploya sous leurs pieds en un enchevêtrement labyrinthique qui ne semblait guère disposé à épargner leurs bottes rendues lourdes par la lassitude. Le clapotis insistant des gouttes s'installa dans le décor, inondant la forêt toute entière de son écho profond et étouffant les sons alentours. Leurs tenues étaient sales et couvertes de branchages, leurs pieds baignaient dans la neige fondue, et la route était fréquemment rendue impraticable par les crevasses et les arbres abattus, de plus en plus fréquents à mesure qu'ils avançaient. Rapidement, leur respiration commune se mua en un souffle exténué, au point qu'ils cessèrent complètement de parler, à la fois trop épuisés et trop concentrés pour oser troubler le silence relatif des lieux. Rien ici ne se montrait favorable à la présence humaine, et l'enjeu de leur quête n'arrangeait pas les choses.
À chaque pas, les conditions désastreuses de leur progression faisaient croître un peu plus le découragement dans le cœur de Renji.

«C'est de la folie» songea-t-il.
«Trois contre quoi ? Dix, douze malfrats ? Peut-être plus ? Ça n'a rien d'équilibré. Une erreur, et nous sommes morts. J'aurais dû savoir que quelque chose clochait dans cette mission. Cet endroit est bien trop dur d'accès. Nous arriverons a bout de forces, et ils ne feront qu'une bouchée de nous... Ce n'est pas un contrat destiné à des recrues, mais à de véritables experts rompus à l'aventure et aux aléas de la nature. Pourquoi ne suis-je pas resté à Jorrvaskr ?»

Leur route se poursuivit malgré tout sans encombre supplémentaire durant un temps. Aucune trace ni aucun indice autour d'eux ne laissait présager que des êtres vivants avaient bien emprunté ce chemin, et ils avaient bien du mal à songer que cette zone soit empruntée, même en période estivale. Les trois intrus au calme sylvestre semblaient parfaitement seuls au milieu des cimes et des vallonnements du sol, couvert d'aiguilles rendues cassantes par le gel.
La canopée s'ouvrit un peu, leur révélant un spectacle à la mesure de l'épreuve qu'ils traversaient : au-dessus de leurs têtes, les cieux se déchiraient désormais en une tempête de couleurs oranges, dont seuls leur parvenaient quelques rais de lumière chaude filtrant à travers les troncs interminables des arbres les entourant. Sous l'éclairage crépusculaire, la chevelure de jai de Nemira se retrouvait constellée de reflets ambrés s'étendant à sa suite comme une toile faite de fils d'airain. Et, juste à côté d'elle, Rurick avançait sans un mot, le dos toujours couvert par sa large housse et ce qui se cachait dessous. Du coin du regard, le khajiit entraperçut les marques de sève salissant les bords de sa tunique. Le temps avait fait virer la couleur claire de la résine à un rouge macabre, et leur organisation lui évoqua celle de traînées ensanglantées dessinées par les doigts d'un mourant contre un mur. Ainsi, la Dunmer et le nordique ne ressemblaient plus à deux recrues des Compagnons, mais à une impératrice et son exécuteur progressant dans le sous-bois à la recherche de leur prochaine victime.

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Niveau 31
17 novembre 2018 à 13:17:31

Combien d'ennemis ce duo singulier avait-il défait ? Et combien de missions de ce genre avaient-ils bien pu accomplir pour accepter celle-ci avec tant de confiance, alors que les moindre détails de la situation leurs étaient toujours inconnus ?
Les doigts de Renji se renfermèrent nerveusement sur le poignard porté à sa ceinture. Combien de camarades avaient-ils perdu de la sorte, si tant est qu'ils en aient jamais eût ?

- Hé. Venez voir ça.

Rurick s'était immobilisé devant un tronc frappé par la foudre. En s'approchant, le khajiit nota immédiatement ce que le nordique voulait leur montrer. L'écorce noircie de l'arbre était marquée d'une large et profonde croix.

- Quelle était l'arme de l'homme que nous avons retrouvé ? demanda Renji à brûle-pourpoint.

Nemira se tourna vers la souche, et fit courir ses doigts contre le symbole.

- Bien vu, Renji. Cela a été fait à la hache, et la taille des marques correspond avec celle qu'il avait avec lui. C'est encore bien peu de chose, mais s'il a effectivement laissé ce signe, alors nous allons probablement dans la bonne direction.

Sans le moindre avertissement, le nordique laissa soudain tomber son sac et s'étira bruyamment, laissant échapper un bâillement tonitruant qui campa ses deux amis sur leurs appuis.

- Rurick ! s'exclama l'elfe noire. Tu penses vraiment que nous sommes au bon endroit pour ça ?! L'ennemi pourrait se trouver à portée de voix !

- Cette mission me court sur les nerfs. J'ai la tête trempée à cause de cette satané pluie et mes doigts sont pleins d'échardes. Faisons une pause, d'accord ?

- Tu te fiches de moi ?! Ce genre de comportement pourrait te coûter la vie !

- Nemira a raison, lâcha le félin. Tout ceci me court aussi sur les nerfs, mais nous devons au moins rester calmes, et tu devrais le savoir. Cela dit, je n'aime pas non plus cet endroit, et je n'ai pas envie de me retrouver pris dans un combat dans cet état. Nous avons peu dormi la nuit dernière, et celle-ci pourrait bien être toute aussi courte étant donné l'endroit où nous nous trouvons. Bougeons d'ici et trouvons un coin plus sûr pour camper.

- C'est hors de question, trancha Nemira. On continue jusqu'à localiser l'ennemi. Une fois cela fait, nous pourrons nous assurer de camper loin de leur regard. Mais je ne m'arrêterai pas au milieu de nulle part en me contentant d'espérer qu'ils ne tombent pas sur nous.

- Rurick n'est pas concentré. Et si tu t'inquiète pour lui, tu ne le sera pas non plus. Je n'ai personellement aucune idée de ce qui nous entoure, et mon odorat n'y changera rien dans le cas présent. En réalité, ils pourraient très bien nous prendre à l'improviste à n'importe quel moment. Ton plan est bon, mais nous ne sommes pas en état de survivre à une attaque surprise.

- Ma parole, vous êtes de vraies pleureuses ! Si vous vouliez me saboter, il fallait le dire dès le départ !

Le jeune nordique frottait à présent frénétiquement sa chevelure blonde, infestée d'une bonne douzaine d'aiguilles de pin.

- Tu sais ce que j'en pense, Nemira. Nous n'avons jamais pressé les choses de la sorte auparavant, et faire partie des Compagnons ne nous ramènera pas d'entre les morts si nous mourrons pour notre imprudence. Après avoir sermonné Renji comme tu l'a fait l'autre jour, montre donc l'exemple. Je ne veux pas avoir la mort de l'un d'entre nous sur la conscience, et je sais que toi non plus.

L'elfe soupira longuement.

- Être Compagnon ne rend pas invulnérable, mais cela rapporte infiniment plus que de quémander sa prime aux hommes du Jarl. Toutefois, tu marques un point. Je n'irai nulle part toute seule, et vous me ralentiriez dans un état pareil. Si vous tenez tant que ça à vous arrêter, je m'incline. Mais faites-moi le plaisir de traîner vos carcasses puantes jusqu'à un coin où nous serons au moins en sécurité pour la nuit.

La réaction de la Dunmer soulagea Renji. Une inquiétude viscérale montait en lui depuis le matin même, et savoir qu'il dormirait encore quelques heures avant de risquer sa vie pour de bon lui redonna courage.
Nemira désigna d'un geste vague la montée les surplombant.

- De deux choses l'une. Soit leur campement se situe au sommet de cette butte, auquel cas il nous faut impérativement trouver un endroit à l'abri de leur regard, soit ils l'ont battit suffisamment loin de l'autre côté pour ne pas craindre que des ennemis en surgissent avant qu'ils puissent réagir en cas d'assaut. Si la deuxième option est la bonne, nous sommes encore en sécurité ici tant que nous nous faisons discrets, mais nous risquons de nous retrouver à découvert dès que nous sortirons de la forêt, ce qui leur donnerait plus qu'assez de temps pour nous repérer. Il nous faudrait donc idéalement frapper tôt le matin, tant que le soleil ne s'est pas levé. Puisque nous sommes en hiver, cela nous laisse largement le temps de récupérer avant de passer à l'action.

- Il doit bien y avoir une caverne ou un endroit où poser nos affaires et passer la nuit, ajouta Rurick en agitant les cheveux d'un air désespéré. Poursuivre notre ascension me parait risqué. Autant contourner l'obstacle plutôt que de se jeter dessus.

Devant la mine encore songeuse de leur interlocutrice, Renji se sentit forcé de renchérir.

- Plus nous nous rapprochons et plus nos chances d'être découverts sont grandes. Si le corps que nous avons trouvé est bien l'un des leurs, ou qu'il s'agissait d'une de leurs victimes, alors ils l'ont abandonné volontairement et n'iront sans doute pas le chercher. Ils ne devraient donc pas repasser par ici de sitôt.

Nemira se contenta d'un vague haussement d'épaules.

- En fait, faites comme vous voulez. Je m'en fiche, tant que vous êtes prêts à vous battre d'ici demain.

L'attente ne fut pas longue. Après moins d'un quart d'heure de recherche, le trio tomba sur un éboulis rocheux à flanc de colline. Si les sapins ici plus clairsemés laissaient l'endroit sans grande couverture visuelle, les alcôves formés dans la paroi offraient un abri idéal que les rochers en contrebas rendaient difficile d'accès pour les prédateurs.
Les hommes ne faisant pas exception à cette règle, ils durent batailler pendant ce qui leur paru être une éternité afin de parvenir jusqu'au plateau d'un mètre sur deux formé par un énorme bloc de pierre abattu. L'équilibre du tout semblait précaire, mais ils se résolurent à courir le risque, et s'y installèrent finalement.

À peine assit, Rurick étouffa un nouveau bâillement.

- Je tombe de sommeil, fit ce dernier en s'écroulant au sol sans même ôter son bagage. Nemira, tu prend le premier tour de garde ?

La Dunmer hocha la tête avec un grognement.

- Renji, il faut démarrer un feu. Collecte quelques branchages et allonge toi près du fainéant, je m'occuperai du reste.

Le Compagnon s'exécuta sans un mot, lui aussi pressé d'en finir au plus vite pour pouvoir s'abandonner au doux réconfort du sommeil.
Une fois un petit tas de bois mort entre les bras, il retrouva la Dunmer, qui lui fit signe de tout disposer un peu plus loin.

- Bonne nuit, laissa-t-il échapper en se blottissant dans un renfoncement du mur.

À côté de lui, le nordique ronflait à poings fermés, nullement gêné par le froid ou l'humidité de leur campement. Les yeux du félin ne tardèrent pas non plus à se clore, écrasés par une fatigue colossale.

- Renji, je peux te demander quelque chose ?

- Oui ?

Derrière l'obscurité de ses paupières, le khajiit entendit sa camarade se rapprocher.

- Es-tu réellement prêt à faire ça ?

- Tu parles de demain ? Oui, je le pense. Je sais que tu n'en a peut-être pas l'impression, mais je n'ai pas peur de tuer. Simplement de mourir.

Un ricanement gracieux retentit devant lui.

- Je ne peux pas t'en vouloir. Qui ne craint pas une telle chose ?

- Va savoir... Je m'inquiète simplement de ce que nous trouverons une fois là-bas. Nous ne savons rien de l'ennemi, et cela pourrait bien se retourner contre nous.

- Craindre le pire ne l'empêchera pas de survenir. Il faut approcher la situation avec calme. Rurick est en train de s'y faire, et j'espère que toi aussi.

Le silence autour d'eux était total. Le khajiit ouvrit les yeux.

Nemira n'était qu'à quelques centimètres de son visage, et le fixait avec un intérêt songeur dont il ne saisit pas bien la teneur. Rougissant brusquement face à la proximité de la jeune femme, le félin voulu reculer, mais se trouvait déjà dos à la paroi.

- Tu... Tu voulais me demander autre chose ?

- Assure-toi de couvrir ses arrières lorsque nous mènerons l'assaut demain. Il n'est pas à l'abri d'une erreur ou deux.

- L'es-tu ?

- Plus que tu ne pourrais l'imaginer.

Le regard de la recrue se durcit.

- Je me suis toujours posé une question. Depuis que je vous connais, pas une fois tu n'as laissé entendre que tu avais besoin de lui. Il ne s'adresse à toi que comme si sa survie dépendait de ton bon vouloir, quand bien même nous savons l'un comme l'autre qu'il sait se défendre. Alors pourquoi restes-tu avec lui ? Avec nous ? Si nous ne sommes que des fardeaux pour toi...

L'index de la Dunmer clos les lèvres de la recrue avec douceur, mais la fermeté de son expression suffisait à nuancer la délicatesse de son geste.

- Tu apprendras qu'on ne juge pas un guerrier à ses combats, mais à ce qu'il a su bâtir par ses victoires. Gagner pour gagner ne rime à rien, et amasser les richesses sans but n'a jamais rendu aucun homme ni aucune femme heureuse. Non, je n'ai pas besoin d'être protégée. Mais devrais-je pour autant passer mon existence dans la solitude ?

Le félin se tut. Les propos de son amie faisaient parfaitement sens. Beaucoup avaient rejoint les Compagnons pour la gloire ou pour alimenter leur fierté, mais les âmes solitaires à la recherche d'une famille étaient tout aussi nombreuses. N'en faisait-il pas lui-même partie ?

Non. Il n'avait pas fuit Skingrad et la misère d'un peuple livré au bon vouloir de la corruption et des brigands pour se faire des amis, même s'il l'oubliait fréquemment. Comme si cette seule pensée avait suffit à laisser transparaître ses émotions, Nemira lui retourna la question fatidique à laquelle il avait espéré ne jamais devoir répondre face à autrui.

- Et toi ? Pourquoi es-tu ici, Renji ?

- Nemira. Es-tu heureuse ? Te lèves-tu chaque matin en souriant face au monde dans lequel nous vivons ?

- Une question bien vague. Mais tu sais bien que je ne suis pas du genre souriante.

- Moi non plus. Sais-tu pourquoi ? Parce qu'il est impossible d'être véritablement heureux, à moins de fermer les yeux sur la misère qui nous entoure. Et lorsque l'heure viendra de dresser le bilan de nos vies, je refuse d'être du côté de ceux qui ont fait mine d'oublier la réalité pour mener leur petite existence paisible dans un coin.

- Pourquoi me dis-tu cela maintenant ?

- Si je ne rentre pas à Jorrvaskr, je veux que quelqu'un sache.

Le khajiit regretta presque immédiatement ces mots, bien trop semblables à un aveu de faiblesse.
La Dunmer haussa un sourcil. Dans le vert éclatant de ses yeux, Renji lu quelque chose de singulier. Était-ce du respect ?

TheEbonyWarrior TheEbonyWarrior
MP
Niveau 31
17 novembre 2018 à 13:18:16

Soudain, il comprit que l'elfe noire était en train de le sonder du mieux qu'elle le pouvait. Cela le rassura à moitié. Devait-il se sentir fier d'avoir attisé l'intérêt d'une telle femme, ou craindre pour ce qu'elle pourrait comprendre à son sujet ?

- Tu n'est pas ici pour l'argent ? demanda-t-elle d'un ton laissant entendre qu'elle connaissait déjà la réponse.

- L'argent n'est qu'un moyen de concrétiser une ambition. Il ne sert qu'à ceux qui accomplissent le bien.

- Le bien ? C'est ce que tu penses accomplir ici ?

- Oui.

La Dunmer s'assit à côté de lui, décidée à poursuivre.

- Ces notions sont subjectives. Un bien ne se fait jamais sans mal.

- Mais le mal existe parce que la souffrance a des responsables. Et ils doivent payer.

- Je vois. Non pas la richesse, mais la vengeance ?

Renji secoua la tête.

- Ce n'est pas une question de vengeance. C'est une question de justice.

- De bien grandes paroles pour un chat à peine capable de manier une épée. Qui pourrait bien décider de ce qui est juste ou ne l'est pas ?

- Certainement pas les hommes dont les fermes sont brûlées et les femmes violées par d'autres parce qu'ils ont eût le malheur de s'être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Eux n'auront jamais le luxe de pouvoir se prononcer sur la question.

- Mais alors, celui qui prend les armes pour combattre le mal devra tuer. Il causera la perte à son tour, et deviendra l'un de ceux contre lesquels il s'était engagé.

- Apporter une mort sans souffrance à ceux qui la méritent n'est pas comparable aux atrocités que certains se plaisent à commettre.

- Mais ces hommes ont aussi des familles.

- Et ils ont choisit de causer le chaos plutôt que d'en profiter.

La Dunmer laissa quelques secondes de calme peser sur eux avant de reprendre.

- Tu sais, les circonstances peuvent pousser chacun de nous au pire. Certains ont peut-être leurs raisons.

- Tout le monde a ses raisons. Cela nous empêchera-t-il de prendre la vie de ces hommes demain ?

- Non, bien sûr. Mais les mots de Frognir ont une part de vérité. Lorsque nous nous rendions vers le fort, il t'a dit que les Compagnons ne valaient pas mieux que les hommes qu'ils pourchassaient. Et, en un sens, il ne s'est pas trompé. Après tout, qui aurait pu prévoir que nos rangs abritaient un tel homme ? Nous tuons, nous nous battons et nous dépensons l'argent que nous gagnons, tout comme lui. Il avait de nous l'image que nous avons de lui aujourd'hui, et rien n'indique que d'autres hommes de son acabit ne se cachent pas parmi nous.

- Tu penses que l'ennemi nous a infiltré ?

- C'est une éventualité à ne pas exclure. Un conseil : garde autant que possible tes convictions pour toi sous le toit des Compagnons. Lorsqu'ils passeront à l'action, et ils le feront, je ne veux pas que tu sois en haut de leur liste.

- Être considéré comme un assassin par d'autres assassins ne me pose pas le moindre problème.

- Alors tu ne définis les hommes par leurs actes ?

Le félin dévisagea Nemira d'un air surpris.

- Bien sûr. À quoi d'autre les juger ?

L'elfe sourit.

- Tu es peut-être moins bête que tu en as l'air.

- Le compliment fait son effet, rétorqua Renji en lui retournant un rictus complice. Mais le sommeil creuse son chemin, et j'aimerais fermer l'œil avant que le froid ne s'installe et me tienne éveillé toute la nuit. Réveille moi pour le premier tour de garde quand l'obscurité sera bien installée. Si mon ouïe et ma vision peuvent servir à quelque chose, autant que ce soit à empêcher l'ennemi de se glisser jusqu'à nos couchettes.

Le félin se démena quelques secondes pour trouver une position confortable contre la pierre, puis, ne parvenant pas à s'installer convenablement, se roula finalement en boule comme un nourrisson. Nemira attendit quelques minutes qu'il s'endorme, puis jeta un œil discret vers Rurick.
Le nordique ne fit pas mine de bouger.

- J'ai été convaincante ?

- Plutôt, acquiesça le nordique à voix basse. Je suis content de voir que ses motivations vont au-delà de celles de Joldir.

- Il ne m'avait pas l'air de se considérer particulièrement sage ou vénérable.

- N'est-ce pas là le propre de tout homme vertueux ?

Elle ne répondit pas.

- Tu vas vraiment y aller ? lâcha le jeune homme.

Elle ne lut que la crainte et le regret dans sa voix.

- Ais-je le moindre choix ?

- Tu pourrais nous attendre. Quelques heures ne te tuerons pas, et tu as aussi besoin de repos.

- Tu sais bien que je ne dors pas. Je ne vais pas faire semblant.

Le jeune homme se redressa, et lui jeta un long regard plein d'empathie. Ses pupilles glissèrent brièvement sur son large sac de toile, afin de revenir sur l'elfe noire.
Il se retourna soudain, comme surpris par un bruit traversant les bois dans la lueur de la nuit tombante. Puis il soupira, et hocha la tête en signe d'impuissance.

- Comment vont tes jambes ?

- Aucun problème. Je pensais devoir m'arrêter en cours de chemin, mais je pourrais sans doute faire l'aller-retour jusqu'à Jorrvaskr d'une traite sans risquer de les abimer.

- Et tes bras ?

- Renji t'as demandé ce qu'il y avait dans ton sac ce matin. Que lui as-tu dit ?

- Ne t'en fais pas. Il n'en saura rien à moins que tu en décide autrement.

- Je vais te l'emprunter pour la nuit. Je reviendrait en un seul morceau, sois sans crainte.

- Ne les brise pas de nouveau, murmura Rurick pour taire leur conversation aux oreilles du khajiit assoupi. Tu sais bien qu'il ne nous en reste que deux paires, et le seul moyen d'en obtenir plus serait de retourner là-bas.

- Plutôt mourir que de remettre un pied en Vvardenfell. Pas après ce qu'ils t'ont... ce qu'ils nous ont fait.

- Ils ne te rattraperont pas, Nemira. Je ne les laisserai jamais faire.

- Moi non plus, Rurick. Moi non plus.

<><><>

Juché sur les branchages d'un sapin, Titus observa les silhouettes des deux compagnons encore debouts s'activer pour la dernière fois de la journée.
Le nordique s'allongeant finalement contre le sol, et la Dunmer ne tarda pas à faire démarrer un feu. À sa surprise, l'elfe n'eût besoin que d'un claquement de doigts pour embraser les branchages pourtant humides.
Puis, sans un mot ni un son, elle se releva, saisit le fardeau que portait son ami, et s'éclipsa dans l'obscurité.

L'impérial hésita à la suivre, mais se ravisa bien vite. Le vacarme de ses deux amis avait suffit à défaire sa vigilance, mais une fois seule, elle n'aurait probablement aucun mal à le repérer. Il pouvait clairement sentir que cette jeune combattante évoluait dans un monde tout autre que celui de ses camarades. À vrai dire, chacune des décisions qu'il l'avait vu prendre n'était pas seulement pratique, mais également très prudente. Nemira ne laissait rien au hasard. Après tout, Rigel l'avait prévenu.

Mais les trois recrues avaient néanmoins commis une erreur qui, bien que ne les mettant pas en danger, arrangeait bien le vieillard qui les observait depuis maintenant deux jours.

S'ils avaient fait l'effort de mettre de côté leur empressement au profit d'un peu de méticulosité, ils se seraient rendus compte que le cadavre à la hache n'en était pas vraiment un. Et, si un seul d'entre eux s'était tenu aux aguets en ouvrant les paupières dans le dortoir de Jorrvaskr au lieu de réserver sa méfiance à l'instant du départ, l'image du septuagénaire au nez arqué, à la barbe grisonnante et à la longue queue de cheval discutant avec Rigel ce matin-là lui serait revenue en tête à l'instant où ce qu'ils avaient pris pour un mort leur était apparu.
Feindre une blessure était facile, et suivre sans bruit un groupe persuadé de faire face à l'ennemi l'était plus encore. Il n'avait guère pour habitude de procéder de la sorte, mais les ordres étaient les ordres.

Alors, il ne pouvait pas suivre la Dunmer. Aussi grande soit sa curiosité concernant sa conversation avec le nordique, il devait s'assurer que le troisième membre de la troupe reste en vie. Car, si Renji vivait assez longtemps pour tourner comme le Héraut l'avait prédit, plus rien ne pourrait arrêter leur ordre.
Et, très vite, les brigands de Cyrodiil entendraient parler d'eux et de leur nouvelle carte maitresse.

ThelVadam ThelVadam
MP
Niveau 10
17 novembre 2018 à 21:09:49

Je vais pas pouvoir lire avant très longtemps, je ne vais même pas sortir la tête hors de l'eau avant très longtemps (35h + l'épisode le plus important et de très loin le plus long à produire) donc je vais faire comme la dernière fois, lire d'une traite et faire une review globale.

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